L’amour, on en en connaît la puissance euphorisante et les forces sombres. Broyantes. Pourtant Alain Crozier dans Nuit marine nous en dit quelque chose d’autre. Tout au moins, nous le dit autrement, avec un brin d’acidité qui fait « tourner » le ton poétique.
La singularité de son style, qui joue tant de la brutalité des mots que de leur tendre fluidité, nous surprend, quelquefois nous égare, tout feu éteint. Les passages rapides d’un état à son opposé, entre les rêves de plénitude et la conscience brûlante du manque, nous délivrent d’une descente en chute libre dans les langueurs du sentiment amoureux, pour laisser place à des sonorités délicatement désinvoltes. Le poète pose ses mots, sans complaisance, pour écrire l’intensité d’un impossible dénouement qui ne cesse pourtant de s’accomplir tout au long de l’ouvrage.
Et puis cet ouvrage a un sacré rythme. Un rythme de scène, de retournements et de coups de théâtre : les portes s’ouvrent, se ferment. Elles claquent, on se perd de vue, on se retrouve, on se cherche. On reprend tout dès le commencement. On se perd définitivement. Et puis on devient sage !
Alain Crozier, Nuit Marine,
Jacques André Éditeur, Collection
Poésie XXI , 85 pages
L’amour ici a fait son nid dans l’âme, dans le temps et la chair. Comment le déloger de là alors que l’odeur de l’aimée, qu’elle soit M ou (plus rarement) Marine, imprègne la mémoire du corps : Je sens ses mains / je sens mes doigts. Cette odeur qui reste là / Comme sa pression / En sensation. Alors que Les sentiments disent / De s’écouter. / Aller se coucher / Penser. / Et la retrouver dans mon rêve.
Où se trouve la sagesse dans ce bain de fusion d’acier trempée ?
Le poète la cherche, la pressent. C’est peut-être ce léger décollement du rêve et de la réalité, serrés l’un contre l’autre, pour ne pas se perdre, « pour qu’en un instant mille caresses parcourent sa peau, pour là encore la rêver/dans d’autres nuits.
C’est la dilution des ombres du passé qui avaient chuté dans le présent. Les longues respirations retrouvées, chacun de son coté. Une purification, la fraicheur, un peu de tranquillité.
Arrêter cette plénitude
Etre conscient et raisonné.
Paralyser ce corps.
Cette peau et son odeur.
Gommer cette vie,
Ses chants et ses couleurs.
Contenir tous les manques
Qu’il restera.
Oublier ces règles venant
Au fil du temps …
C’est enfin retrouver la légèreté, la jubilation des forces qui se lèvent, l’élan d’aubes nouvelles. Un soudain sentiment de l’avenir.
L’écriture d’Alain Crozier traduit avec une vraie subtilité le profond dilemme de l’amour qui hante ses nuits, nourrit ses cauchemars et son inépuisable faim. Et comme l’évadé ou le fugueur, il garde le goût des clôtures et des enceintes : partir / rester. L’amour attache, toujours. Il y revient pour en ressentir encore les dernières lumières, lorsque le soleil asséché lutte de ses dernières forces, / Avec tout le courage qui / Lui restait . Il retient les derniers instants de la présence de l’aimée, pour une dernière danse, avant de la laisser disparaître loin derrière les collines, où l’amour se confronte à l’épreuve de ses promesses, dans l’incompréhension d’un infini douloureusement bleu-noir.
L’histoire cherche sa fin entre les sursauts de bonheur, les pluies diluviennes et les naufrages de la tristesse. Il faut dire que L’aventure avait pris / De l’espace et que La lune est revenue / Trop tôt, / Fatale.
Mais l’étoile brille sur le poète, l’emporte dans ses secrets d’éternité : ses rayons me / réchauffent à jamais / On sait / Tout ce qui / Nous appartiendra/ A jamais ….
Alain Crozier mène son texte. Un texte dont la musique s’allonge dans l’inlassable retour des vagues contre l’obstacle. Il nous donne à lire une poésie qui conjure la perte de l’autre en soi, de soi en l’autre, dans le rythme d’Une histoire / Qui se ferme / Sur une faim / Entre ciel / Et montagne / ……La nuit / l’étang… /La lune se noie dedans….
Présentation de l’auteur
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