Les Hommes sans Épaules ont tou­jours quelque chose à dire !… Est-ce le cas à pro­pos d’Alain Delon, lequel, com­ment l’ignorer ?, est décédé le 18 août 2024 à Douchy-Montcor­bon (Loiret), à l’âge de 88 ans. Oui, mais de manière indi­recte, con­traire­ment à son ami et rival Jean-Paul Bel­mon­do (dis­paru en 2021, au même âge que Delon : 88 ans) qui, a, pour sa part, pub­lié dans la revue Poésie 1 n°4 (1969), entière­ment con­sacrée à Arthur Rim­baud. Qui, pour évo­quer le Rimbe ? Jean Bre­ton a eu son idée et a appelé la per­son­ne en ques­tion, qui lui répond : « Rim­baud, ça me botte ! Dans 48 heures c’est fait ! » Le texte de Bel­mon­do est excel­lent et a été repro­duit dans mon arti­cle, Jean-Paul Bel­mon­do, l’an 1969 de Poésie 1 (in recoursaupoeme.fr, 21 sep­tem­bre 2021).

La rela­tion à Alain Delon, con­cerne Hen­ri Rode1, grand écrivain autant que grand poète, qui fut l’ami pré­cieux et l’aîné tutélaire de trois généra­tions d’Hommes sans Épaules, de 1953 à sa mort, en 2004, à 87 ans. De ses débuts lit­téraires (romans, nou­velles et poésie) à Avi­gnon, durant l’Occupation, aux côtés de Pierre Seghers et Louis Aragon, René Tav­ernier et sa revue Con­flu­ences, Jean Bal­lard et Les Cahiers du Sud, Alain Borne, André de Richaud, etc. Hen­ri évolue, sans jamais lâch­er la lit­téra­ture, vers le monde du ciné­ma en devenant à la fin des années 50, rédac­teur (durant douze ans) du mag­a­zine Ciné­monde, ce qui l’amène à nouer des rela­tions priv­ilégiées et même des ami­tiés, avec, je cite en vrac, Alfred Hitch­cock, Fed­eri­co Felli­ni, Alber­to Lat­tua­da, Simone Sig­noret, Mar­lon Bran­do, Jean-Pierre Merville, Sophia Loren…, cette dernière que je croise un jour, début des années 90, en mon­tant l’escalier qui me mène au petit stu­dio parisien dans lequel Hen­ri vit modestement.

Par­mi les ami­tiés d’Henri, la plus emblé­ma­tique et inat­ten­due, au pre­mier abord, est assuré­ment celle d’Alain Delon qui, en 1960, a tourné dans moins de dix films, dont, tout récem­ment : Plein Soleil de René Clé­ment et Roc­co et ses frères, de Luchi­no Vis­con­ti, qui est un ami d’Henri, qui rap­porte : « Delon, déclarait Luchi­no, a quelque chose qui n’est qu’à lui, out­re sa séduc­tion fulgurante. »

Hen­ri Rode, Delon, PAC, 1977, 312 pages, 35 €.

Cette ami­tié entre Delon et Hen­ri se noue sur la durée et elle est mise à l’épreuve car l’acteur est méfi­ant et exigeant : « C’est env­i­ron à l’époque de Plein Soleil, témoigne Hen­ri, que je vis pour la pre­mière fois Alain, avenue Kléber. Mal dégagé encore d’une juvénil­ité impérieuse, à vingt-qua­tre ans, il sem­blait brûler et danser à la fois sur la plante des pieds, un pull blanc faisant ressor­tir sa car­na­tion, sa chevelure japon­aise, ses yeux bleus d’un éton­nant éclat. Sa per­son­ne entière, d’un jet uni­ment racé, don­nait l’idée d’un éveil, qui n’était pas défi mais cer­ti­tude, sans doute, de porter l’apanage de l’être rare – celui que l’on ne ren­con­tre que par excep­tion. » Hen­ri a tou­jours été rég­lo avec lui et Delon le sait, qui a lu et aimé ses écrits et pas seule­ment ceux qui sont liés au ciné­ma. Tout début des années 70, Hen­ri se trou­ve chez Delon, qui n’est plus seule­ment le jeune Roc­co Paron­di de Vis­con­ti, mais son Gué­pard (1963), la Tulipe noire (1964), L’Insoumis (1964), le Cen­tu­ri­on (1966), le Samouraï de Melville (1967), le Jean-Paul Leroy de La Piscine (1968), le Sicilien du Clan d’Henri Verneuil (1969), le Roch Siffre­di de Bor­sali­no (1970), ou le Corey du Cer­cle rouge de Melville (1970).

Delon a tou­jours refusé que l’on écrive sa biogra­phie. Il a même attaqué plus d’une fois. Ce jour-là, il demande à Hen­ri de l’écrire cette fameuse pre­mière biogra­phie : « Cer­tains jour­nal­istes roman­cent, d’autres pas. Je suis bien cer­tain avec vous, aujourd’hui, de ne pas être trahi. ». Hen­ri, sur­pris, n’a pas le temps de réfléchir : il accepte. Delon en con­fi­ance, ouvre ses archives le laisse aller et venir chez lui comme sur les plateaux, chez ses proches (longs entre­tiens d’Henri Chez Mireille Darc et chez Jean-Pierre Melville) et répond à toutes ses ques­tions, nom­breuses et fouil­lées, sans fil­tre, car Delon l’a décidé ain­si. Delon, le livre d’Henri Rode paraît en 1974, chez PAC édi­tions. Il sera régulière­ment réim­primé et aug­men­té jusqu’en 1981. C’est un grand suc­cès, car Delon, qui nous dit sincère­ment : « J’ai tou­jours vécu mes rôles. Je n’ai jamais joué. Un acteur est un acci­dent. Je suis un acci­dent. Ma vie est un acci­dent. Ma car­rière est un acci­dent »), est un immense acteur et il se livre ici comme jamais il ne l’a fait, sans rien esquiver. Que l’acteur ait, par­al­lèle­ment à son exis­tence réelle, une réal­ité mythique, voilà qui est une évi­dence depuis longtemps. L’accord entre Delon et Hen­ri fut de faire ressen­tir plus avant, l’individualité de l’homme : « Pour Delon, chaque fois qu’il doit être Delon, il s’agit d’un cer­tain tour de force. Rien n’est jamais du tout cuit avec lui et c’est sans doute ce qui, dans son cas, est pas­sion­nant… Delon doit créer, à chaque fois, Delon. Le tour de force est d’autant plus appré­cia­ble qu’aucun comé­di­en mois que Delon ne donne l’impression de se con­former à des clichés per­son­nels. Delon ne fait jamais sa pro­pre par­o­die, comme Bel­mon­do sait faire celle de Bebel – à quoi l’on applau­dit d’ailleurs… La dis­cré­tion, la pudeur de jeu d’Alain Delon ont tou­jours été sa règle. Ce n’est jamais de l’Actor’s Stu­dioou du Con­ser­va­toire qu’il relève, mais du Hol­ly­wood plus dis­cret de Spencer Tra­cy, de Gable, de Bog­a­rt, des stars des années 40–55. Il n’a pas tra­ver­sé les phas­es démon­stra­tives d’un Bran­do ou d’un War­ren Beat­ty. Sauf excep­tion, il ne s’exerce jamais au morceau de bravoure. À quoi cor­re­spond tant de mesure ? Au fait, sans doute, qu’il n’a pas éprou­vé à l’origine le « feu sacré ». Il ne s’en est jamais caché, ayant réal­isé ses réus­sites par intu­ition, maîtrise de soi, goût du per­fec­tion­nisme. Mais un fait l’a cer­taine­ment con­duit à son pro­fes­sion­nal­isme sans bavure : un jour, encore jeune homme, Delon s’est vu embar­qué vers la gloire, et som­mé d’accepter l’aventure, ou de se démet­tre… Jamais, à ses débuts, Delon ne cul­ti­va cette ten­ta­tion roman­tique : être un grand acteur, une star qui ferait date. Il s’est con­tenté d’accepter, un beau matin, le fab­uleux cadeau, qu’il dut d’abord à son ray­on­nement physique, puis à ce « petit quelque-chose en plus », dont a si bien par­lé Jean-Pierre Merville à pro­pos de Delon-star. Le tour de force fut qu’ignorant de tous les trucs du méti­er, ne sor­tant d’aucune école, Alain Delon ait pu si tôt tenir tête à un René Clé­ment, un Vis­con­ti, un Anto­nioni. C’est qu’il rassem­bla tous les pos­si­bles de sa per­son­nal­ité, fonça en se resser­rant, avec, sinon le besoin d’obtenir une auréole, le goût de bien faire le tra­vail qu’on lui demandait, en se défen­dant de la gra­tu­ité d’un « charme » trop facile, d’un angélisme un peu noir… Delon, par défi peut-être, un peu par orgueil, par revanche sur une enfance malaisée, puis par recon­nais­sance envers le priv­ilège qui lui était accordé, a forgé Delon… » Jean-Pierre Melville déclare à Hen­ri Rode : « Delon, avec Gabin, Mon­tand et Bel­mon­do, est l’une des qua­tre dernières stars mas­cu­lines qui nous restent en France . Les autres n’étant que des vedettes. Mais qu’est-ce qu’une star ? Quelqu’un que les Améri­cains définis­sent comme n’importe qui, avec quelque chose de plus. Eh bien oui, j’aime le petit quelque chose en plus. »

On décou­vre sous la plume, non pas d’un cri­tique de ciné­ma, mais d’Henri Rode, c’est-à-dire d’un écrivain (c’est une pre­mière et cela reste sans équiv­a­lent), un Delon qui n’omet rien de sa vie et de son par­cours, de ses engage­ments, de ses idées et con­cep­tion du ciné­ma : Acteur, mais aus­si pro­duc­teur (sa société de pro­duc­tion, Adel Pro­duc­tions, pro­duit une ving­taine de films jusqu’en 1988), réal­isa­teur, comé­di­en au théâtre et homme d’affaires, Delon con­fie à Hen­ri : « Je n’ai jamais accep­té un film pour l’argent ou le pres­tige qu’il représen­tait. J’ai tourné sans cachet Mélodie en sous-sol, de Verneuil : je sen­tais le per­son­nage. » Delon con­fie à Hen­ri : « Melville con­nais­sait mieux que moi ce per­son­nage qui et moi. » Apprenant que Melville était au plus mal, durant l’été 1973, on sait que Delon tra­ver­sa de nuit la France en voiture pour se ren­dre auprès de lui, hélas, trop tard. Melville est décédé le 2 août 1973 à 55 ans des suites d’une rup­ture d’anévrisme. Arrivé sur place et apprenant la nou­velle, Delon s’effondra lit­térale­ment sur place. « Alain, rap­pelle Hen­ri, m’a dit avoir des rap­ports pro­fes­sion­nels solides, un ami d’enfance et deux ou trois autres amis qui ne sont ni célèbres ni con­nus. Plus qu’à l’amour, il croit à la pas­sion, et plus qu’à la pas­sion à l’amitié. » On décou­vre avec Hen­ri Rode, que Delon n’est pas seule­ment le plus grand acteur de sa généra­tion, mais un être intel­li­gent, cohérent avec lui-même (même si, comme Hen­ri, nous ne parta­geons pas tout, loin de là, de cette « cohérence ») et doté d’une grande cul­ture. Ses répons­es et con­fi­dences à Hen­ri le démon­trent, comme le texte inédit qu’il con­fie à Rode : une ren­con­tre imag­i­naire avec Pablo Picas­so. Avec Delon, vous par­lez bien sûr ciné­ma : « La respon­s­abil­ité de l’acteur me paraît per­son­nelle­ment très min­ime. On ne peut pas situer l’acteur sur le plan de ses per­son­nages. Il inter­prète, il traduit un indi­vidu, truand ou saint, sans plus. Par ailleurs, lorsqu’un film est signé Melville par exem­ple, il présente objec­tive­ment deux points de vue : celui de la loi et celui de la pègre. Dans Le deux­ième souf­fle, Melville donne des chances égales à Meurisse, le polici­er, et à Ven­tu­ra, le truand. Au pub­lic de juger… J’observe les gens, le milieu ambiant qui cor­re­spon­dent au film que j’interprète, ou même en général : cela fait par­tie du pro­pre de l’acteur. On pique, ici et là, un petit truc. Dans l’autobus, au café, partout où je vais, j’observe. Je sais que des comé­di­ens préfèrent la tour d’ivoire. Pas moi. C’est une ques­tion d’éducation. On a tort quand on imag­ine un acteur dif­férent des autres hommes. Il doit rester en con­tact avec l’humanité : c’est essen­tiel. » Avec Delon, on par­le aus­si de poli­tique, de lit­téra­ture ou de pein­ture. Delon ne voulait pas de vente posthume, alors il a fini par ven­dre en 2023, l’attachement de toute une vie, sa col­lec­tion d’œuvres d’art : Dufy, Delacroix, Mil­let, Vlam­inck, Bugat­ti, Dür­er, Véronèse, Géri­cault (« La per­son­nal­ité de Géri­cault m’a tou­jours fasciné : on la retrou­ve dans La Semaine Sainte d’Aragon, dont j’aimerais beau­coup camper le héros »), Degas, Corot, Rivera, Riopelle, Har­tung… Delon dit : « L’art doit cir­culer pour con­tin­uer à vivre. » Hen­ri remar­que aus­si chez Delon, fasciné par Géri­cault dont il pos­sède tableaux, des œuvres de Bronzi­no, Rubens, Dür­er, Balthus, Ingres et Cal­lot. Mais une chose agace Delon, qu’il répète à Hen­ri : « Je m’admets comme je suis. J’estime que cha­cun a le droit de faire ce qu’il veut, et je ne com­prends pas pourquoi l’on tient tou­jours à savoir ce que je pense, moi. » Naturelle­ment, et comme Hen­ri le fit observ­er à Delon qui acquiesça lui-même : « Quand il est ques­tion d’Alain Delon, rien ne ressem­ble à l’attention qu’on prêtre aux autres acteurs. » Alors, la mort d’Alain Delon, pensez-donc !

Beau­coup d’émotion et d’éloges, de notices mor­tu­aires, de nuances sur l’homme et sa car­rière, sans oubli­er, sans nuances, les insultes des « gens aux cuiss­es pro­pres » (sont-elles si pro­pres que cela ?). Alain Delon a répon­du à Hen­ri Rode : « En tant qu’acteur, je me suis tou­jours refusé à exploiter la vio­lence gra­tu­ite. Je la hais. Rien ne m’est plus odieux que ces mou­ve­ments de foule dont l’objectif numéro un, d’abord poli­tique puis décalé, ressem­ble au plaisir de tuer. » Delon n’a jamais caché qu’il était un homme de droite, se déclarant gaulliste (« Dès mon enfance, de Gaulle a été une référence pour moi. Il s’est assim­ilé à un ordre de grandeur qui, à mes yeux, reste une empreinte ful­gu­rante. Si l’image de « père de la patrie » est con­cev­able, c’est tel qu’il m’apparaît… Une des plus grandes faveurs de mon des­tin a été d’avoir pu acquérir le man­u­scrit de l’appel his­torique du 18 juin, pour le restituer à l’Ordre de la Libéra­tion ») et qu’il s’était engagé dans la marine pour échap­per à un avenir promis par sa famille de char­cuti­er, dont il a obtenu le CAP (« Alain plaisante en pré­ten­dant qu’il est le seul acteur à pou­voir couper cor­recte­ment le saucis­son et à faire un pâté en croute »), à dix-sept ans et demi, ce qui l’avait amené dans Indo­chine en guerre (« J’étais entraîné dans un mou­ve­ment dont l’horreur ne m’est apparue que lorsque j’ai repris pied dans un monde nor­mal. La frousse, la peur de la mort, tout cela, alors sem­blait faire par­tie de mon excès de vital­ité, de jeunesse », con­fie Delon à Rode, qui ajoute : « Alain con­naît les embus­cades, le canon qui vous met en joue et l’autre, qui tonne »), péri­ode qui le lia d’amitié à Jean-Marie Le Pen. Delon était con­tre l’adoption d’enfants par des cou­ples homo­sex­uels. Il était aus­si pour la peine de mort, etc. Certes, on peut ne pas partager cela avec lui, et je ne le partage pas.

La chose la plus moche con­cer­nant Alain Delon, c’est Ari Boulogne, dont per­son­ne ne par­le, « éton­nam­ment ». Ari Boulogne est le fils que Delon « aurait eu » en 1962 avec Nico, man­nequin alle­mand et future chanteuse du Velvert Under­ground, alors qu’il est en cou­ple avec Romy Schnei­der. Delon a tou­jours refusé la recon­nais­sance en pater­nité, bien que Ari lui ressem­ble physique­ment, à l’instar d’Anthony, comme deux gouttes d’eau, et qu’il ait été élevé par Édith, la mère d’Alain Delon. Sa vie, c’est l’histoire de bout en bout d’une lente et cer­taine autode­struc­tion, un jeu de mas­sacre, une course vaine après l’amour, qu’il racon­te dans son livre, L’amour n’oublie jamais (Pau­vert, 2001). Ari Boulogne, devenu hémi­plégique, est retrou­vé mort, chez lui, le 20 mai 2023, à l’âge de 60 ans. L’histoire est hor­ri­ble. Il n’y a aucun « roman­tisme » là-dedans, pas même l’histoire sou­vent romancée, en fait, plutôt la chute con­tin­uelle de la belle Nico, la mère, qui n’assume pas davan­tage son fils et l’entraîne même dans l’abîme de ses veines blanch­es… Je ne dédouane, ni Nico, ni Delon, mais, je demande à ce que les juges d’autrui ouvrent… leurs pro­pres armoires familiales.

Je note en revanche que plusieurs films d’Alain Delon con­tre­bal­an­cent son image réac, ain­si : L’Insoumis (1964), d’Alain Cav­a­lier, et Les Cen­tu­ri­ons (1966), de Mark Rob­son, qui pren­nent posi­tion con­tre la guerre d’Algérie, et Mon­sieur Klein (1976), de Joseph Losey, sur la France de Vichy et la rafle du Vél’ d’Hiv, film, un chef d’œuvre, pour lequel il s’est bat­tu. En 1973, il incar­ne aus­si le rôle prin­ci­pal dans Deux hommes dans la ville, avec Jean Gabin : un film à charge con­tre la peine de mort. Ajou­tons son engage­ment à pro­pos de la réforme du milieu péni­ten­ti­aire, comme il s’en ouvre à Rode : « C’est dans le même esprit, en vue d’une jus­tice plus humaine, après les évène­ments de Clair­vaux, Toul, Nîmes2, etc., que j’ai pris par­ti, dans la presse, pour la réforme péni­ten­ti­aire – et con­tre les sévices infligés aux pris­on­niers : mise pro­longée au « lit de con­tention », carence des organes de con­trôle, autorité abu­sive faisant abstrac­tion de toute per­son­nal­ité chez le délin­quant. Il me sem­ble que la pri­va­tion de lib­erté en soi, dans bien des cas, est une puni­tion suff­isante pour ne pas sup­port­er d’être assor­tie de brimades, d’humiliations ou de vio­lence. » Ajou­tons encore les films avec Vis­con­ti, qui était, on le sait, et com­mu­niste et homo­sex­uel. Alain Delon n’ignorait pas non plus, qu’Henri Rode était homo­sex­uel et c’est pour­tant à lui qu’il a con­fié l’écriture de sa biogra­phie, lui dis­ant : « Qui pour­rait penser qu’en cette fin du XXe siè­cle qui a vu tous les pro­grès sci­en­tifiques s’épanouir, où la « con­science morale » tend à devenir quelque chose d’universel, où l’antiracisme est le fait de tout hon­nête homme -, oui, qui pour­rait penser que le géno­cide, cette plaie dégoû­tante de l’humanité, cela puisse exis­ter encore ? (..) Notre époque ! Ce qui m’indigne le plus en elle, c’est que le géno­cide, cette plaie dégoû­tante de l’humanité, puisse encore s’y pro­duire à cause de cer­taines guer­res. Que, dans des camps de mis­ère, vivent encore des enfants à peu près aban­don­nés – de quelque race qu’ils soient : indi­ens, noirs, arabes, juifs, jaunes. C’est là une con­damna­tion évi­dente de notre civil­i­sa­tion. Voilà pourquoi j’applaudis à des mou­ve­ments comme l’Unicef, la Croix-Rouge inter­na­tionale, Oxfam, Terre des Hommes, la Car­i­tas mon­di­ale et à divers organ­ismes œcuméniques…. Dan­ny Kaye ne cesse de se déplac­er dans le Tiers-Monde pour des goss­es qui meurent de faim. Kaye nous rap­pelle qu’un acteur est sem­blable à tous les hommes doués de con­science, que la tour d’ivoire des stars est dev­enue une légende dérisoire… Qu’est-ce qu’une star ? Quand vous sortez du stu­dio, la vie se charge de vous ramen­er à la réalité. »

En mai 2004, j’arpente le boule­vard Haus­mann, à Paris, lorsque soudain, avançant face à moi, à une dizaine de mètres, je recon­nais Alain Delon. Nous allons nous crois­er, mais je n’ai pas l’intention de lui adress­er la parole. Pour­tant, arrivé à sa hau­teur, je lui dis : « Mon­sieur Delon, Hen­ri Rode est mort ! » Il s’arrête et me fixe quelques sec­on­des avant de con­tin­uer son chemin sans rien dire. Il ne s’écoule pas une minute, avant qu’il ne revi­enne vers moi : « Hen­ri Rode, bien sûr ! Excusez-moi. Je me sou­viens très bien de lui. Que lui est-il arrivé ? Quel âge avait-il ? » S’en est suivi un court échange. Delon, un « sale type » ? Ce ne fut pas le cas, ce jour-là. Les « sales types » sont à chercher ailleurs, sur les réseaux soci­aux (?), il me semble !…

Notes

  1. À lire : Hen­ri Rode ou l’émotivisme à la bouche d’orties, par Christophe dauphin, dessins de Lionel Lath­uille, Les Hommes sans Épaules n°29/30, 2011.

     2. Clair­vaux, Nîmes, Arras, Paris, entre le 19 juil­let et le 5 août 1974 près d’une cen­taine de pris­ons, 89 selon l’administration péni­ten­ti­aire, sont touchées par un mou­ve­ment de révolte des pris­on­niers, qui refusent de réin­té­gr­er leurs cel­lules en fin de journée.

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Christophe Dauphin

Poète, essay­iste et cri­tique lit­téraire, Secré­taire général de l’Académie Mal­lar­mé, Christophe Dauphin (né le 7 août 1968, à Nonan­court, Nor­mandie, en France) est directeur de la revue “Les Hommes sans Epaules” (www.leshommessansepaules.com).

Il est l’auteur de deux anthologies :

  • Les Riverains du feu, une antholo­gie émo­tiviste de la poésie fran­coph­o­ne con­tem­po­raine, Le Nou­v­el Athanor, 2009 ;
  • Riverains des falais­es, édi­tions clarisse, 2011

Il est égale­ment l’au­teur de quinze livres de poèmes, dont récem­ment, aux édi­tions Librairie-Galerie Racine, en 2010 : Totems aux yeux de rasoir, poèmes 2011–2008, et L’Homme est une île ancrée dans ses émo­tions, et de onze essais, dont, Jacques Hérold et le sur­réal­isme (Sil­vana édi­to­ri­ale, 2010) ou Ilar­ie Voron­ca, le poète inté­gral (Editinter/Rafael de Sur­tis, 2011).