traduction et présentation de Marilyne Bertoncini

 

Réduite à deux lignes, accom­pa­g­nant sa pho­to,  sur le site des édi­tons Tapir­u­lan qui pub­lient le poète, la biogra­phie de ce dernier annonce :

 Né n’im­porte où en 1962, Alber­to Man­zoli vit et tra­vaille à Parme. Méfi­ant et Scor­pi­on, il préfère lire lui-même ses vers en pub­lic. En ce moment, il vous regarde avec méfiance. »

Sa poésie, primée à divers­es repris­es,  est pub­liée en revue et dans des antholo­gies, il par­ticipe au jury d’un con­cours lit­téraire, il est aus­si l’auteur de pré­faces, d’essais (sur le Futur­isme en par­ti­c­uli­er, de mono­logues et textes dra­ma­tiques, et d’adaptations d’auteurs anglo­phones (Philip Larkin,  Sam Shep­ard, Derek Walcott).

Mais lui ne livr­era pas plus que les deux lignes de sa biogra­phie offi­cielle :  c’est une per­son­ne secrète, présente mais dis­crète – car  con­traire­ment à bien des poètes aspi­rant à la notoriété, notam­ment à tra­vers les réseaux soci­aux, Alber­to Man­zoni est réti­cent à se mon­tr­er, con­scient que l’œuvre est ce qui importe. Il  l’a fait pour­tant  auprès de Lucia de Ioana, sur La Repub­bli­ca (je lui dois les cita­tions d’Alberto Man­zoli), où il par­le à cœur ouvert de son tra­vail d’écriture, de l’importance dans sa vie de la poésie décou­verte dans l’enfance, dev­enue essen­tielle avec son pre­mier achat, Les Fleurs du Mal : « Baude­laire a été pour moi, comme je crois qu’il l’a été pour beau­coup, mon guide vers la poésie. Dès lors, les choses ont sim­ple­ment com­mencé à se pro­duire ». Baude­laire, un mod­èle « dont il faut vite s’éloign­er, dit-il – lui préférant «  Dante, la poésie épique nordique et les Gil­gamesh, les mod­ernes : San­dro Pen­na, pour sa grâce foudroy­ante, Anna Achma­to­va, pour le don de la tragédie, Fer­nan­do Pes­soa, pour le don de l’ag­i­ta­tion, le calme roi des labyrinthes, Jorge Luis Borges, et l’imag­iste Pound. Si je crois que peut-être, pour se lim­iter au 20e siè­cle, le poète par­fait est Fed­eri­co Gar­cia Lor­ca, qui a réus­si à com­bin­er le max­i­mum de pop­u­lar­ité avec le max­i­mum de mag­istère poé­tique. »  .

C’est tar­di­ve­ment qu’Alberto Man­zoli, grand lecteur de poésie « entre en écri­t­ure « parce que « la poésie est le seul moyen que je con­naisse pour lever la tête de la man­geoire. Regarder par-dessus le bord de l’assi­ette, voir ce qu’il y a au-delà la haie. Ou du moins, s’imag­in­er qu’il y a quelque chose ».

S’il pub­lie, c’est  de façon sélec­tive – et lente – d’où une pro­duc­tion rare – soutenue par la présence d’un vieux télé­phone sur la table de chevet, en guise de car­net sur lequel il note les pen­sées des franges du som­meil – des « illu­mi­na­tions » suiv­ies de beau­coup de tra­vail : « J’en­vie les génies qui écrivent un chef-d’œu­vre en cinq min­utes. Je ne suis pas un génie, et je dois tra­vailler dur ». Quand j’écris, con­fie-t-il à Lucia de Ioan­na, « toute l’œu­vre, toute la fab­ri­ca­tion, pour repren­dre une expres­sion du Car­avage, toute la valeur réside dans la tra­duc­tion de la prise de vue pho­tographique, du regard, de la vue en une vision cen­trifuge, d’éloigne­ment de le sujet, pas dif­férent de celui de Paul Gau­guin. Le poème part d’un point con­nu et défi­ni (“tou­jours me fut chère cette colline soli­taire” écrit Gia­co­mo Leop­ar­di) (sem­pre caro mi fu quest’er­mo colle et abor­de à un rivage totale­ment incon­nu, à l’océan qu’on décou­vre en écrivant”.

De cette tra­ver­sée de la Mare Incog­ni­ta de l’écriture sur­gisse des textes sur­prenants de moder­nité et de clas­si­cisme dont témoignent les 6 poèmes inédits qu’il nous a con­fiés, choi­sis­sant de les inscrire sous l’égide de L’homme de Lis­bonne, pour nous emmen­er dans un voy­age à tra­vers temps et mythe, aux orig­ines de la poésie, dans la Mésopotamie de l’épopée de Gil­gamesh, qu’il rend infin­i­ment présente, qu’il fait vibr­er comme des instants de vie quo­ti­di­enne tran­scendés par la mémoire.

L’uo­mo di Lisbona

                              (a Mário de Sá-Carneiro)

 

Severo è il sog­no, la realtà mediocre,

colti­vo l’arte di dimenticare.

Il mon­do ester­no era inutile e strano,

così ho fat­to di me un intero mondo,

e ora sen­za occhi con­tem­p­lo le strade e

i pas­san­ti, tem­po pri­vo di suono,

stat­ua di un fal­so dio erosa al vento.

Sono qual­cosa tra me stes­so e il nulla,

un mare bas­so bugia­r­do di schiuma,

un sog­no immen­so risveg­lia­to in nebbia,

e nel mio labir­in­to mi son perso,

e poco impor­ta se oggi o da sempre,

tut­to si speg­ne in silen­zi di piume.

Severo è il sog­no, e la realtà si spezza:

ricor­do, cre­do, una famiglia a pranzo

nel­l’oro di domeniche dissolte,

pal­l­i­da pace assor­ta, e la finestra

che pas­sa l’aria ten­era di giugno.

Da casa a volte si sen­ti­va il treno.

L’homme de Lisbonne

(à Mario de Sá-Carneiro)

 

Exigeant est le rêve, médiocre la réalité,

Je cul­tive l’art d’oublier.

Le monde extérieur était bizarre et inutile,

alors je me suis fait tout un monde de moi-même,

et main­tenant sans yeux je con­tem­ple les rues et

les pas­sants, temps  dépourvu de son,

stat­ue d’un faux dieu érodée par le vent.

Je suis quelque chose entre moi et le rien,

une mer basse à l’écume menteuse,

un rêve immense réveil­lé dans le brouillard,

et je me suis per­du dedans mon labyrinthe,

et peu importe si ce jour ou depuis toujours,

tout s’éteint dans des silences de plumes.

Exigeant est le rêve, et la réal­ité se brise :

Je me sou­viens, je crois, d’une famille au déjeuner

dans l’or de dimanch­es dissous,

pâle paix absorbée, et la fenêtre

qui offre l’air ten­dre de juin.

Par­fois, de la mai­son, on entendait le train.

Aus­tralo­p­ithe­cus sapi­ens sapiens

 

Mi muo­vo qui, in assen­za di tempo,

sco­stan­do i rami per cogliere i frutti,

e uova e nidi e poi di tan­to in tanto

scim­mie minori, quan­do ci riusciamo,

da spar­tire con le fem­mine a terra.

Non pren­do mai più di quan­to mi serve.

Ogni tan­to, poi, mi fer­mo su un ramo,

e il mio sguar­do sereno si distende

sopra l’immensa cupo­la smeraldo

fres­ca e puli­ta di recente pioggia,

e al richi­amo gioioso degli uccelli,

a questo sof­fio gen­tile di dentro,

io mi doman­do se esiste davvero,

se ciò che alcu­ni chia­mano la morte

non abbia reg­no che sull’apparenza,

e non sia solo un mutare di forme,

dal min­erale al veg­e­tale e oltre

poi, tut­to dac­capo, e tut­to di nuovo,

col cuore in gola, affan­na­to e felice,

questo scen­dere e salire dal ramo

che non si spez­za e che non avvizzisce,

la mam­mel­la sem­pre verde di latte

che non dis­tingue tra figli e figliastri.

 

Ignoro tut­to, a parte la foresta.

Così mi pare di sapere tutto

quel­lo che esiste da sapere al mondo,

soltan­to gli alberi, i rus­cel­li, i sassi,

tut­ta la vita che ci nuo­ta dentro,

che vola, striscia o can­ta nel mattino,

e che non chiede null’altro che vita.

Questo io so che è la cosa giusta

Se esiste un altro mon­do, è sbagliato.

Aus­tralo­p­ithèque sapi­ens sapiens

 

Je me déplace ici, en absence de temps,

écar­tant les branch­es pour récolter les fruits,

et des œufs et des nids, et puis de temps en temps

de plus petits singes, quand on y parvient,

à partager avec les femelles au sol.

Je ne prends jamais plus que ce dont j’ai besoin.

De temps en temps, je m’ar­rête sur une branche,

et mon regard sere­in s’éloigne

par-delà l’im­mense dôme d’émeraude

frais et pro­pre de la pluie récente,

et au chant joyeux des oiseaux,

à ce doux souf­fle de l’intérieur,

Je me demande si tout cela existe vraiment,

si ce que cer­tains appel­lent la mort

ne règne que sur l’apparence,

et ne soit rien de plus qu’un change­ment de formes,

du minéral au végé­tal et au-delà

encore, de nou­veau tout et toujours,

le cœur dans la gorge, à bout de souf­fle, heureux,

ce descen­dre et mon­ter de la branche

qui ne se brise pas et qui ne se dessèche,

le sein tou­jours vert de lait

qui ne dis­tingue pas entre fils et bâtards.

 

J’ig­nore tout, sauf la forêt.

Ain­si j’ai l’im­pres­sion de tout savoir

De ce qu’il y a à savoir dans le monde,

juste les arbres, les ruis­seaux, les pierres,

toute la vie qui nage en nous,

qui vole, rampe ou chante le matin,

et ne demande rien de plus que la vie.

Je sais que c’est la chose juste.

S’il existe un autre monde, il est faux.

La dea bianca

 

L’arancia è un frut­to d’acqua, e nell’arancia

ogni spic­chio tro­va la sua ragione,

il pos­to esat­to del suo stare al mondo,

sot­to il mater­no velo che lo nutre.

Così è la mela­grana, il fico verde

di cui mi adorno e che di me ragiona,

ed ogni mite frut­to di stagione

rac­con­ta la pienez­za sen­za sfregio

del mio silen­zio, del mio dire chiaro,

la neve che non si con­verte in acqua,

quan­do sui col­li scivola il disgelo.

Sono misura che sor­pas­sa il segno,

e in me non c’è mai sta­ta la frattura,

mai l’esplosione ver­so il mon­do esterno;

intat­ta io rac­chi­u­do l’universo,

e cus­todis­co il mon­do e a te lo dono,

a te che inno­cente mi hai raggiunto.

Nelle tue mani calde, goffe e buone

affi­do l’uovo che non si è mai schiuso.

Come spie­gar­ti, caro, come dirti

che dal mio grem­bo deser­to di figli

nascono insieme i giorni e le comete,

e boschi e laghi su cui pas­sa il vento,

e prati di rugia­da, e in fon­do al piano

cit­tà che si risveg­liano al mattino,

col pri­mo car­ro che esce nel­la nebbia.

Tu dor­mi e non sai nul­la, il tuo dormire

ha il sof­fio dell’agnello che ha lattato.

Riposa anco­ra, caro, non ti tocco.

Sono pronta, sono nuda, e ti aspetto.

La déesse blanche

 

L’o­r­ange est un fruit d’eau, et dans l’orange

chaque quarti­er trou­ve sa justification,

la place exacte de son être au monde,

sous le voile mater­nel qui le nourrit.

Ain­si est la grenade, la figue verte

dont je me pare et qui par­le de moi,

et tous les doux fruits de saison

racon­tent la pléni­tude sans cicatrices

de mon silence, de mes paroles claires,

la neige qui ne devient pas eau,

quand le dégel glisse sur les collines.

Je suis la mesure qui dépasse le signe,

et en moi jamais il n’y eut de fracture,

jamais l’ex­plo­sion vers le monde extérieur ;

intacte c’est moi qui con­tiens l’univers,

et je garde le monde et à toi je le donne,

à toi qui inno­cent m’a rejointe.

Entre tes mains chaudes, mal­adroites et bonnes

Je con­fie l’œuf qui n’a jamais éclos.

Com­ment t’expliquer, mon cher, com­ment te dire

que de mon ven­tre aride d’enfants 

nais­sent en même temps les jours et les comètes,

et des bois et des lacs sur lesquels le vent passe,

et des prairies de rosée, et au fond de la plaine

des villes qui le matin s’éveillent,

avec le pre­mier char qui sort dans le brouillard.

Tu dors et ne sais rien, ton sommeil

a l’haleine de l’ag­neau qui vient d’allaiter.

Repose-toi, mon cher, je ne te touche pas.

Je suis prête, je suis nue et je t’attends.

Monol­o­go di Tam­muz il pastore

 

Quan­to è dis­tante il cielo dal­la terra?

Non molto forse, se io qui, supino,

dis­te­so in mez­zo all’erba appe­na nata,

la tes­ta vol­ta indi­etro alla collina,

guar­do le greg­gi pen­dere dal prato,

nette con­tro l’azzurro che si stampa,

come le nubi quan­do cam­bia il tempo.

E in questo volo bas­so e rovesciato

sta forse tut­to il truc­co delle cose,

che sem­bra­no banali, e sono sacre:

il let­to, le scodelle, l’acqua, il fuoco,

l’erba e l’agnello che con­suma l’erba,

e il fer­ro che alla fine chi­ude entrambi.

E tut­ti quei silen­zi e spazi vuoti

in cui mi for­mo come la giuncata

che met­to ad asci­u­gare nei cestini

e sgoc­cia a notte, lenta, sul­la paglia,

e la fat­i­ca anco­ra, e il pane duro

che ricon­for­ta la mia qui­ete all’ombra,

quan­do il Leone infu­ria e insieme al gregge

mas­ti­co ada­gio, gli occhi fis­si al mare.

È il mio mon­do, evi­dente e segreto,

vas­to quan­to la ron­da del mio abbraccio.

Lo ten­go insieme con sangue e sudore e

nes­sun filoso­fo, nes­sun poeta

è il ben­venu­to qui. Bas­ta la vita,

la sola vita è già preghiera e canto.

E il can­to si fa più dolce e disteso

quan­do alla sera, assieme ai pochi amici

ci rac­con­ti­amo la nos­tra giornata,

bevi­amo in pace un bic­chiere di vino,

e in pace ognuno tor­na alla sua casa.

Qui il rito si ripete: a mani giunte

sor­reg­go la scodel­la con la zuppa,

poi vado al lava­toio e spen­go il lume.

E un po’ più tar­di, dopo il pri­mo sonno,

la rapaz­zo­la sot­to la finestra

si schiara al pri­mo rag­gio del­la luna

che va sor­gen­do qui­eta tra i cipressi.

In breve la mia atte­sa avrà il suo scopo,

il gat­to si spaven­ta e fa la gobba,

sot­to la tela sen­to le tue forme

lievitare come sof­fice pane.

Domani devi dare l’acqua ai porri,

zap­pare le patate e dar­gli il verde.

So che sai questo, e molto altro ancora,

di cose che non potrò mai capire,

e non mi dirai mai, e non mi offendo;

e so che non ti offen­di, se un pastore

a notte alta dorme anco­ra un poco.

Mono­logue de Tam­muz le berger

 

Com­bi­en y a‑t-il du ciel à la terre ?

pas grand-chose peut-être si, allongé ici,

le dos au milieu de l’herbe à peine née,

la tête tournée vers la colline là derrière,

Je regarde les trou­peaux sus­pendus dans le pré,

pré­cis con­tre l’azur qui s’imprime,

comme les nuages lorsque change le temps.

Et dans ce vol bas et inversé

Se trou­ve peut-être toute la magie des choses,

qui sem­blent anodines, et sont sacrées :

le lit, les bols, l’eau, le feu,

l’herbe et l’ag­neau qui mange l’herbe,

et le fer à la fin qui inter­rompt les deux.

Et tous ces silences et ces espaces vides

dans lequel je me forme comme la jonchée

que je mets à séch­er dans les paniers

et qui s’é­goutte lente­ment sur la paille la nuit,

et la fatigue encore, et le pain dur

qui récon­forte mon calme à l’ombre,

quand le Lion fait rage et qu’avec le troupeau

Je mâche lente­ment, les yeux fixés sur la mer.

C’est mon monde, évi­dent et secret,

vaste comme l’ étreinte de mon bras.

Je le main­tiens avec sang et sueur et

aucun philosophe, aucun poète

n’est bien­venu ici. La vie suffit,

la vie seule est déjà prière et chant.

Et le chant devient plus doux et détendu

quand le soir, avec quelques amis

on se racon­te notre journée,

buvons un verre de vin en paix,

et en paix cha­cun ren­tre chez soi.

Ici le rit­uel se répète : mains jointes

Je tiens le bol avec la soupe,

puis je vais au lavoir et j’éteins la lumière.

Et un peu plus tard, après le pre­mier sommeil,

la pail­lasse sous la fenêtre

s’é­claircit au pre­mier ray­on de lune

qui s’élève tran­quille­ment par­mi les cyprès.

Sous peu mon attente attein­dra son but,

le chat a peur et arque l’échine,

sous la toile je sens tes formes

lever comme un pain moelleux.

Demain il faut arroser les poireaux,

bin­er les pommes de terre et leur don­ner du vert.

Je sais que tu sais cela, et plus encore,

des choses que jamais je ne comprendrai,

et jamais tu ne me les diras, et je ne m’offense pas;

et je sais que tu n’es pas offen­sée, si un berger

au cœur de la nuit dort encore un peu.

Lamen­to di Enkidu

 

Gil­gamesh ordinò al cacciatore:

“Va’, e por­ta la pros­ti­tu­ta Shamhat con te.

Quan­do gli ani­mali sel­vag­gi si recher­an­no all’abbeverata,

fal­la spogliare, fa’ che mostri il suo sesso.

Enkidu la vedrà, le si avvicinerà,

e allo­ra i suoi stes­si ani­mali, quel­li con cui è cresciuto,

non lo riconoscer­an­no più.”.

 

 

La lep­re. Il toro. L’ape e il leone:

le gran­di ani­me sono capaci

di gran­di silen­zi e gran­di segreti.

Sarà per questo forse che al ricordo

dei giorni andati, quan­do ero divino,

quan­do scor­re­va sen­za distinzione

la vita tra me e ciò che non ero,

il cuore mi si stringe come un pugno;

e allo­ra gri­do, e il gri­do cade in nulla,

la man­dria fugge anco­ra e mi abbandona.

Io, Enkidu, ero uno di loro:

e nei tra­mon­ti e nei mat­ti­ni immensi

ero silen­zio e sog­no e alba certa,

ave­vo i loro occhi e la visione,

e in dono un mon­do di pas­coli e rivi.

Adesso non sono più nul­la: gemo,

ridot­to a for­ma umana sen­za scampo,

ad un pen­siero con­forme e banale;

e al pas­so di un inver­no che si guasta

con­tem­p­lo l’acqua pura del disgelo,

e il folto dei comigno­li sul tetto

a sfi­dare la luce che si allunga

ver­so fron­tiere franche, men­tre insieme

qui­eti alla nos­tra fine scivoliamo.

E in questo scar­to tra rumore e suono,

sedu­to sul gradi­no pres­so all’uscio,

mon­dan­do le insalate per la cena,

ricor­do il fuo­co del­la mia potenza,

quan­do cor­re­vo assieme al ven­to caldo

pie­gan­do a ter­ra le erbe con l’amore

più crudo e nel mio cor­po trionfante

era la mia certez­za e il mio destino.

 

Poi, nel bagliore di un giorno assetato,

sen­za che aves­si sospet­to o sentore,

venne la bel­la. Sape­va di rose.

Com­plainte d’Enkidou

 

Gil­gamesh ordon­na au chasseur :

“Va, et emmène la pros­ti­tuée Shamhat avec toi.

Quand les ani­maux sauvages vien­dront à l’abreuvoir,

fais-la se désha­biller, laisse-la mon­tr­er son sexe.

Enkidu la ver­ra, il s’ap­prochera d’elle,

alors ses pro­pres ani­maux, ceux avec qui il a grandi,

ne le recon­naîtront plus. ».

 

 

Le lièvre. Le tau­reau. L’abeille et le lion :

les grandes âmes sont capables

de grands silences et de grands secrets.

C’est peut-être pour cela que la mémoire

des jours passés, quand j’é­tais divin,

quand coulait sans distinction

la vie entre moi et ce que je n’é­tais pas,

mon cœur se serre comme un poing ;

alors je pleure, et le cri tombe dans le néant,

le trou­peau à nou­veau s’en­fuit à et m’abandonne.

Moi, Enkidu, j’é­tais l’un d’en­tre eux :

et dans les couchants et les matins immenses

J’é­tais silence et rêve et aube certaine,

J’avais leurs yeux et leur vision,

et le don d’un monde de pâtures et de rivières.

Main­tenant je ne suis plus rien : je gémis,

réduit à une forme humaine sans issue,

à une pen­sée con­formiste et banale ;

et au pas­sage d’un hiv­er qui se gâte

Je con­tem­ple l’eau pure du dégel,

et la forêt de chem­inées sur le toit

défi­ant la lumière qui s’étire

vers des fron­tières ouvertes, tan­dis qu’ensemble

calmes vers notre fin nous sombrons.

Et dans cet écart entre le bruit et le son,

assis sur le pas de la porte,

net­toy­ant les salades pour le repas du soir,

Je me sou­viens du feu de ma puissance,

quand je courais avec le vent chaud

pli­ant les herbes au sol de l’amour

le plus cru et que dans mon corps triomphant

étaient ma cer­ti­tude et mon destin.

 

Puis, dans la lueur d’un jour assoiffé,

sans que je m’en doute ou que je m’en aperçoive,

vint la belle. Et un par­fum de rose.

Lamen­to di Gilgamesh

 

Di colui che vide ogni cosa  voglio nar­rare al mondo;

di colui che app­rese e che fu esper­to in tutte le cose. (…).

Vide ciò che era seg­re­to, sco­prì ciò che era celato,

e riportò indi­etro sto­rie di pri­ma del diluvio.

Per­corse vie lon­tane finché, strema­to, tro­vò la pace.

Sin–leqe–unninni, pro­l­o­go del Rac­con­to di Gilgamesh

 

Non c’è parten­za che non mi assomigli,

nel vuo­to delle stanze abbandonate.

Ho vis­to l’alba sopra le montagne

nelle foreste odor­ose di cedri,

e poi il giorno diventare vecchio,

e non rispon­dere alla mia domanda.

Conosco l’arte occul­ta del serpente,

ma come lui non so cam­biare pelle,

quan­do a ponente si affac­cia il mattino.

E tut­ta ques­ta scien­za a che mi serve?

L’innocenza è lon­tana e mi deride,

così come lon­tana è la pienezza

che mi cre­de­vo di acci­uf­fare in corsa,

come la lep­re il cane. Insom­ma, niente,

c’è più ver­ità in un maz­zo di fiori

che in tut­ti i lib­ri di filosofia,

il mon­do par­la sem­plice e pulito,

e noi non lo ascolti­amo, questo è il punto.

In un paese al di là del vento

riposa l’ombra del­la mia speranza,

e tra noi due sta, ten­era e paziente,

la quo­tid­i­ana anom­alia dei giorni.

Così mi siedo e aspet­to, sul­la torre

il fia­to sof­fo­cante del deserto

mi por­ta a trat­ti il richi­amo di un cane,

mi dice quan­to è soli­do il silenzio,

quan­to pro­fon­do il buio sulle case.

Io sono il re di un reg­no che ho lasciato,

non res­ta che il mio cor­po sola­mente e

non c’è vian­dante, non c’è mietitore

che non invi­di per­ché non è me.

Ad uno ad uno vedo nel vallone

speg­n­er­si i fuochi nei campi e sulle aie.

Anche stan­otte, placi­da e serena,

sui mari qui­eti, sopra le pianure,

la luna aggi­ra il mon­do e voi dormite.

Com­plainte de Gilgamesh

 

De celui qui a tout vu, je veux par­ler au monde ;

de celui qui apprit et fut expert en toute chose.(…).

Il vit ce qui était secret, trou­va ce qui était caché,

et rame­na des his­toires d’a­vant le déluge.

Il par­cou­rut des routes loin­taines jusqu’à ce que, épuisé, il trou­ve enfin la paix.

Sin – leqe – unnin­ni, pro­logue du Con­te de Gilgamesh

 

Il n’y a départ qui ne me ressemble,

dans le vide des cham­bres abandonnées.

J’ai vu l’aube sur les montagnes

dans les odor­antes forêts de cèdres,

et puis j’ai vu vieil­lir le jour,

sans réponse à ma question.

Je con­nais l’art occulte du serpent,

mais je ne sais comme lui chang­er de peau,

quand au ponent  se mon­tre le matin.

Et toute cette sci­ence à quoi me sert-elle ?

L’in­no­cence est loin et se moque de moi,

De même que la plénitude 

que je croy­ais saisir dans ma course

comme le lièvre le chien. Bref, rien,

il y a plus de vérité dans un bou­quet de fleurs

que dans tous les livres de philosophie,

le monde par­le sim­ple et net,

et nous ne l’é­cou­tons pas, c’est le problème.

Dans un pays d’au-delà du vent

repose l’om­bre de mon espoir,

et entre nous deux se tient, ten­dre et patiente,

l’anom­alie quo­ti­di­enne des jours.

Ain­si je m’as­sois et j’at­tends, sur la tour

le souf­fle étouf­fant du désert

m’apporte par­fois l’ap­pel d’un chien,

me dit à quel point le silence est solide,

com­bi­en pro­fonde la nuit sur les maisons.

Je suis le roi d’un roy­aume que j’ai quitté,

Il ne me reste rien que mon corps et

il n’y a voyageur, il n’y a moissonneur

que tu n’en­vies car il n’est pas moi.

Un par un je vois dans la vallée

S’éteindre les feux des champs et sur les aires de battage.

Même ce soir, placide et sereine,

sur les mers tran­quilles, sur les plaines,

la lune fait le tour du monde et vous dormez.

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Marilyne Bertoncini

Biogra­phie Enseignante, poète et tra­duc­trice (français, ital­ien), codi­rec­trice de la revue numérique Recours au Poème, à laque­lle elle par­ticipe depuis 2012, mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Phoenix, col­lab­o­ra­trice des revues Poésie/Première et la revue ital­i­enne Le Ortiche, où elle tient une rubrique, “Musarder“, con­sacrée aux femmes invis­i­bil­isées de la lit­téra­ture, elle, ani­me à Nice des ren­con­tres lit­téraires men­su­elles con­sacrées à la poésie, Les Jeud­is des mots dont elle tient le site jeudidesmots.com. Tit­u­laire d’un doc­tor­at sur l’oeu­vre de Jean Giono, autrice d’une thèse, La Ruse d’I­sis, de la Femme dans l’oeu­vre de Jean Giono, a été mem­bre du comité de rédac­tion de la revue lit­téraire RSH “Revue des Sci­ences Humaines”, Uni­ver­sité de Lille III, et pub­lié de nom­breux essais et arti­cles dans divers­es revues uni­ver­si­taires et lit­téraires français­es et inter­na­tionales : Amer­i­can Book Review, (New-York), Lit­téra­tures (Uni­ver­sité de Toulouse), Bul­letin Jean Giono, Recherch­es, Cahiers Péd­a­gogiques… mais aus­si Europe, Arpa, La Cause Lit­téraire… Un temps vice-prési­dente de l’association I Fioret­ti, chargée de la pro­mo­tion des man­i­fes­ta­tions cul­turelles de la Rési­dence d’écrivains du Monastère de Saorge, (Alpes-Mar­itimes), a mon­té des spec­ta­cles poé­tiques avec la classe de jazz du con­ser­va­toire et la mairie de Men­ton dans le cadre du Print­emps des Poètes, invité dans ses class­es de nom­breux auteurs et édi­teurs (Bar­ry Wal­len­stein, Michael Glück…), organ­isé des ate­liers de cal­ligra­phie et d’écriture (travaux pub­liés dans Poet­ry in Per­for­mance NYC Uni­ver­si­ty) , Ses poèmes (dont cer­tains ont été traduits et pub­liés dans une dizaine de langues) en recueils ou dans des antholo­gies se trou­vent aus­si en ligne et dans divers­es revues, et elle a elle-même traduit et présen­té des auteurs du monde entier. Par­al­lèle­ment à l’écri­t­ure, elle s’in­téresse à la pho­togra­phie, et col­la­bore avec des artistes, plas­ti­ciens et musi­ciens. Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr * pub­li­ca­tions récentes : Son Corps d’om­bre, avec des col­lages de Ghis­laine Lejard, éd. Zin­zo­line, mai 2021 La Noyée d’On­a­gawa, éd. Jacques André, févri­er 2020 (1er prix Quai en poésie, 2021) Sable, pho­tos et gravures de Wan­da Mihuleac, éd. Bilingue français-alle­mand par Eva-Maria Berg, éd. Tran­signum, mars 2019 (NISIP, édi­tion bilingue français-roumain, tra­duc­tion de Sonia Elvire­anu, éd. Ars Lon­ga, 2019) Memo­ria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l’autrice, ed. PVST. Mars 2019 (pre­mio A.S.A.S 2021 — asso­ci­azione sicil­iana arte e scien­za) Mémoire vive des replis, texte et pho­tos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – novem­bre 2018 L’Anneau de Chill­i­da, Ate­lier du Grand Tétras, mars 2018 (man­u­scrit lau­réat du Prix Lit­téraire Naji Naa­man 2017) Le Silence tinte comme l’angélus d’un vil­lage englouti, éd. Imprévues, mars 2017 La Dernière Oeu­vre de Phidias, suivi de L’In­ven­tion de l’ab­sence, Jacques André édi­teur, mars 2017. Aeonde, éd. La Porte, mars 2017 La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016 Labyrinthe des Nuits, suite poé­tique – Recours au Poème édi­teurs, mars 2015 Ouvrages col­lec­tifs — Antolo­gia Par­ma, Omag­gio in ver­si, Bertoni ed. 2021 — Mains, avec Chris­tine Durif-Bruck­ert, Daniel Rég­nier-Roux et les pho­tos de Pas­cal Durif, éd. du Petit Véhicule, juin 2021 — “Re-Cer­vo”, in Trans­es, ouvrage col­lec­tif sous la direc­tion de Chris­tine Durif-Bruck­ert, éd. Clas­siques Gar­nier, 2021 -Je dis désirS, textes rassem­blés par Mar­i­lyne Bertonci­ni et Franck Berthoux, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? Mars 2021 — Voix de femmes, éd. Pli­may, 2020 — Le Courage des vivants, antholo­gie, Jacques André édi­teur, mars 2020 — Sidér­er le silence, antholo­gie sur l’exil – édi­tions Hen­ry, 5 novem­bre 2018 — L’Esprit des arbres, édi­tions « Pourquoi viens-tu si tard » — à paraître, novem­bre 2018 — L’eau entre nos doigts, Antholo­gie sur l’eau, édi­tions Hen­ry, mai 2018 — Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approx­i­matif , 2016 — Antholo­gie du haiku en France, sous la direc­tion de Jean Antoni­ni, édi­tions Aleas, Lyon, 2003 Tra­duc­tions de recueils de poésie — Aujour­d’hui j’embrasse un arbre, de Gio­van­na Iorio, éd. Imprévues, juil­let 2021 — Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André , avril 2021 — Un Instant d’é­ter­nité, Nel­lo Spazio d’un istante, Anne-Marie Zuc­chel­li (tra­duc­tion en ital­ien) éd ; PVST, octo­bre 2020 — Labir­in­to delle Not­ti (ined­i­to — nom­iné au Con­cor­so Nazionale Luciano Ser­ra, Ital­ie, sep­tem­bre 2019) — Tony’s blues, de Bar­ry Wal­len­stein, avec des gravures d’Hélène Baut­tista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ?, mars 2020 — Instan­ta­nés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, édi­tions Imprévues, 2018 — Ennu­age-moi, a bilin­gual col­lec­tion , de Car­ol Jenk­ins, tra­duc­tion Mar­i­lyne Bertonci­ni, Riv­er road Poet­ry Series, 2016 — Ear­ly in the Morn­ing, Tôt le matin, de Peter Boyle, Mar­i­lyne Bertonci­ni & alii. Recours au Poème édi­tions, 2015 — Livre des sept vies, Ming Di, Recours au Poème édi­tions, 2015 — His­toire de Famille, Ming Di, édi­tions Tran­signum, avec des illus­tra­tions de Wan­da Mihuleac, juin 2015 — Rain­bow Snake, Ser­pent Arc-en-ciel, de Mar­tin Har­ri­son Recours au Poème édi­tions, 2015 — Secan­je Svile, Mémoire de Soie, de Tan­ja Kragu­je­vic, édi­tion trilingue, Beograd 2015 — Tony’s Blues de Bar­ry Wal­len­stein, Recours au Poème édi­tions, 2014 Livres d’artistes (extraits) La Petite Rose de rien, avec les pein­tures d’Isol­de Wavrin, « Bande d’artiste », Ger­main Roesch ed. Aeonde, livre unique de Mari­no Ros­set­ti, 2018 Æncre de Chine, in col­lec­tion Livres Ardois­es de Wan­da Mihuleac, 2016 Pen­sées d’Eury­dice, avec les dessins de Pierre Rosin : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/ Île, livre pau­vre avec un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Pae­sine, poème , sur un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015) A Fleur d’é­tang, livre-objet avec Brigitte Marcer­ou (2015) Genèse du lan­gage, livre unique, avec Brigitte Marcer­ou (2015) Dae­mon Fail­ure deliv­ery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crog­nier, artiste graveuse d’Amiens – 2013. Col­lab­o­ra­tions artis­tiques visuelles ou sonores (extraits) — Damna­tion Memo­ri­ae, la Damna­tion de l’ou­bli, lec­ture-per­for­mance mise en musique par Damien Char­ron, présen­tée pour la pre­mière fois le 6 mars 2020 avec le sax­o­phon­iste David di Bet­ta, à l’am­bas­sade de Roumanie, à Paris. — Sable, per­for­mance, avec Wan­da Mihuleac, 2019 Galerie Racine, Paris et galerie Depar­dieu, Nice. — L’En­vers de la Riv­iera mis en musique par le com­pos­i­teur Man­soor Mani Hos­sei­ni, pour FESTRAD, fes­ti­val Fran­co-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the Riv­er » — Per­for­mance chan­tée et dan­sée Sodade au print­emps des poètes Vil­la 111 à Ivry : sur un poème de Mar­i­lyne Bertonci­ni, « L’homme approx­i­matif », décor voile peint et dess­iné, 6 x3 m par Emi­ly Wal­ck­er : L’Envers de la Riv­iera mis en image par la vidéaste Clé­mence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Ban­lieue» Là où trem­blent encore des ombres d’un vert ten­dre – Toile sonore de Sophie Bras­sard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf La Rouille du temps, poèmes et tableaux tex­tiles de Bérénice Mollet(2015) – en par­tie pub­liés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/ Pré­faces Appel du large par Rome Deguer­gue, chez Alcy­one – 2016 Erra­tiques, d’ Angèle Casano­va, éd. Pourquoi viens-tu si tard, sep­tem­bre 2018 L’esprit des arbres, antholo­gie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novem­bre 2018 Chant de plein ciel, antholo­gie de poésie québé­coise, PVST et Recours au Poème, 2019 Une brèche dans l’eau, d’E­va-Maria Berg, éd. PVST, 2020 Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, ed Jacques André, 2021 Un Souf­fle de vie, de Clau­dine Ross, ed. Pro­lé­gomènes, 2021