choix et traduction de Marilyne Bertoncini
L’art d’Alma Saporito lui ressemble : couleur d’âme délicate, il se découvre dans les évocations de sa poésie et l’alchimie de ses collages. Deux arts d’assemblage — de mots, de bribes de souvenirs, ou d’images découpées.
« Tout était jeu/ la fantaisie transforme / l’absolu d’un objet » écrit-elle dans l’un des poèmes de son recueil Al Tempo del Juke-box : cette pratique ludique, ce passe-temps créateur, ramène à la mémoire les jeux du temps passé, où l’on se déguisait en fée ou en zorro, où l’armoire recélait des mystères…
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©Alma Saporito
Mais je sais qu’il faut aussi entendre par « jeu» cet espace — infime et nécessaire — laissé entre deux pièces d’un mécanisme ; invisible, puisqu’il s’agit d’un « vide » ténu (plus grand, il empêcherait le mouvement) , mais dont l’indispensable présence permet aux différentes pièces de s’imbriquer plus souplement, de “jouer” entre elles. Ainsi, ce vide, dans les oeuvres d’Alma Saporito, permet de jouer avec le lecteur, de l’inviter à laisser s’infiltrer son imaginaire entre les plis, entre les mots, et d’animer les éléments du collage…
C’est tout un art d’animation, qui touche à la profondeur sans la dévoiler, que nous vous invitons à découvrir. L’artiste, discrète, nous disait récemment combien lui importait, en réalisant ses collages, d’y ménager profondeur et mouvement. C’est une dimension que l’on ressent fort bien, en contemplant ces montages inscrits dans le cadre d’une barquette de polystirène, comme de modernes icones étrangement tridimensionnelles, auréoléeset troublantes, reflets d’une modernité où se mêlent élements provenant de vieux magazines et de revues contemporaines, pour donner une image de la femme telle qu’Alma Saporito la décline: protéiforme, maîtresse de ses choix et de son destin, dansant sur le monde, jouant des artifices pour exprimer, avec humour et tendresse, son insaisissable et authentique identité.
C’est de même, tendre, sans être mièvre, l’image de l’enfance qu’évoquent les poèmes, avec des mots simples, presque transparents à force de netteté, faisant apparaître nettement la silhouette de ces objets d’autrefois – juke-box, bicyclette… — autant d’éléments revus avec la distance amusée de l’adulte, re-créant cette « ile qui n’existe pas», et dont l’absence, plus réelle que bien des constructions — l’autrice n’écrit-elle pas qu’elle existe bien pour elle ? — permet aussi au lecteur, embarqué par ce jeu, d’entamer lui aussi un voyage vers le passé et son imaginaire.
Il mio
è stato il tempo
dei jukebox
non auricolari
ad isolare dal mondo
ma musica condivisa
ognuno ad aspettare
l’altrui scelta
a volte a riascoltare
lo stesso brano
e quando sulla spiaggia
si correva allo stabilimento
con gli spiccioli
per un gelato e una canzone
calzavo gli zoccoli
per isolarmi dalla scossa
che pizzicava le dita
nell’introdurre una moneta
e così gli altri
mi porgevano
monete e desiderio
ed io
a manovrar
la melodia.
Mon époque,
c’était celle
du jukebox
pas des écouteurs
qui t’isolent du monde
mais la musique partagée
chacun en train d’attendre
le choix de l’autre
parfois réécoutant
le même morceau
et quand sur la plage
on courait vers le bar
avec la monnaie
pour une glace ou une chanson
j’enfilais les socques
pour m’isoler de la secousse
qui piquait les doigts
en introduisant une pièce
et comme ça les autres
me passaient
monnaie et désirs
et moi
je dirigeais
la mélodie
Ballando sul mondo ©Alma Saporito
*
Le ho amate
tutte
le mie biciclette
fino all’ultima ruggine
al pedale staccato
al fanale bruciato
le tengo riposte
tra molti ricordi e polvere
nei loro colori assortiti
la grigia
mi condusse in campagna
d’estate
con pedalata veloce e sicura
la nera
nella pioggia e nel freddo
di mattine
dal duro risveglio
la rossa
ancora cammina
cigolando e arrancando
scheletro stanco.
Je les ai aimées
toutes
mes bicyclettes
jusqu’à la rouille ultime
la pédale détachée
le phare grillé
je les garde rangées
parmi souvenirs et poussière
dans leurs couleurs assorties
la grise
qui me conduisit à la campagne
l’été
par pédalées véloces et sûres
la noire
dans la pluie et le froid
du matin
au dur réveil
la rouge
fonctionne encore
grinçant et se traînant
squelette fourbu.
*
©Alma Saporito
Tutto era gioco
la fantasia trasforma
l’assoluto di un oggetto
un lenzuolo
steso tra due sedie
diventava un inespugnabile rifugio
la casa prendeva un solo colore
vista attraverso la carta di una caramella
le frasi dei cioccolatini
venivano lette
come profezie di un oracolo
e il foglietto poi
riposto in un cassetto.
Tout était jeu
la fantaisie transforme
l’absolu d’un objet
un drap
entre deux chaises
devenait un refuge imprenable
la maison prenait une seule couleur
vue à travers l’emballage d’un caramel
les phrases des papillotes
étaient lues
comme les prophéties d’un oracle
et la feuille ensuite
rangée dans un tiroir.
*
Grembiule bianco
e fiocco rosa
indossavo ai tempi della scuola
e calze colorate di filanca
a voce alta
in piedi
si salutava la maestra
a turno si usciva nel cortile
accompagnati dal bidello
per scuotere dai cancellini
la polvere del gesso
nell’intervallo
si consumava la merenda
e giochi coi compagni
non c’erano paure
a volte per errore dicevamo – mamma –
e neppure interferenze di adulti
ad impedire che la cultura nutra la mente.
Tablier blanc
et ruban rose
c’est ce que je portais pour l’école
et des chaussettes en lycra de couleur
à haute voix
debout
on saluait la maîtresse
à tour de rôle on sortait dans la cour
accompagnés du concierge
pour secouer de la brosse
la poudre de craie
pendant la récréation
on partageait le goûter
et les jeux avec les camarades
on n’avait pas peur
parfois par erreur on disait – maman -
et aucune intervention des adultes
pour empêcher que la culture nourrisse l’esprit.
Hands ©Alma Saporito
*
Il tuo costume
era da Zorro
ed io vestita da fatina
compresi nel ruolo
quasi non sorridiamo
nella fotografia
lo sfondo
l’armadio guardaroba
con il legno rigato
dai freni del triciclo
pronti ad ospitare
le altre mascherine
a spargere coriandoli
per la casa
che riapparivano improvvisi
dai battiscopa
nel cuore dell’estate.
Tu avais un costume
de Zorro
et moi celui de fée
pris dans notre rôle
on ne souriait presque pas
sur la photo
au fond
l’armoire garde-robe
au bois rayé
par les freins du tricycle
prête à abriter
les autres costumes
à répandre des confettis
dans la maison
quand ils réapparaissaient soudain
sous les coups de balai
en plein été.
*
L’isola che non c’è
per me c’era
una strada
la chiesa
il bar
la casa
sola tra i prati
non imponeva silenzio
le ampie stanze
si riempivano di incontenibili risate
all’aperto
correvamo inseguendoci tra gli urli
perché i fiori
non temono il vocio
fino al canale
per immergere i piedi
nessun rumore invece
quando in autunno
davanti all’incanto del camino
ascoltavamo
i racconti della guerra
quando il solaio
celava nascondigli
nei suoi muri
da abbandonare
solo all’allontanarsi dei soldati
l’isola che non c’è
per me ha un nome.
L’île qui n’existe pas
existait pour moi
une rue
l’église
le bar
la maison
seule au milieu des près
n’imposait pas le silence
les vastes pièces
s’emplissaient de rires irrépressibles
dehors
on se poursuivait en courant et hurlant
parce que les fleurs
ne craignent pas les cris
jusqu’au canal
pour y tremper les pieds.
aucun bruit au contraire
quand en automne
devant l’enchantement de la cheminée
on écoutait
les récits de la guerre
quand le grenier
recelait des cachettes
dans ses murs
à ne quitter
qu’après le départ des soldats
l’île qui n’existe pas
pour moi a un nom.
©Alma Saporito
textes extraits de Il tempo dei jukebox, Epika Edizioni
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