Introduction et traduction par Miguel Ángel Real
Álvaro Hernando (Madrid, 1971) écrit une poésie qui rentre dans les aspects concrets de l’existence. Lors de la lecture de son recueil “Chicago Express”, publié en édition bilingue espagnol-anglais, sa description noire de la grande ville américaine rappelle d’abord l’émerveillement décharné de l’oeuvre de Lorca “Poète à new-York”, et sous l’influence parfois d’auteurs comme Kerouack ou Bukowski, l’auteur s’acharne dans la recherche d’un temps déchiré.
Mais l’écriture d’Alvaro Hernando s’inscrit aussi dans une réflexion sur la valeur de la parole et sur la puissance de la création, pour nous faire réfléchir sur le vertige de l’existence. Cette recherche autour des mots parle aussi de la difficulté d’atteindre l’autre car le poète sait se déguiser et mentir sans pour autant se détacher d’une noirceur très présente. Toutefois, ses poèmes parviennent avec maîtrise à créer une dialectique qui nous bouleverse, dans ce va-et-vient permanent entre “l’avidité de vivre” et “la seule, majuscule solitude” dans laquelle nous vivons.
Justement: s’il existe un sens dans l’existence il se trouve chez l’être aimé, dans nos rapports verbaux et aussi intimes qui sont dépeints dans sa poésie sans aucun voyeurisme, mais avec le but de découvrir des secrets qui nous encourageraient à poursuivre notre chemin dans la vie.
Álvaro Hernando est un poète qui sait s’effacer pour nous faire mieux voir que la beauté se trouve dans les gens que l’on aime, malgré la peur, la défaite et les cicatrices. Il existe dans son oeuvre une recherche constante du salut qui nous parviendrait seulement grâce à la personne aimée, la seule qui peut nous aider à créer des remparts contre l’absurdité d’un univers qu’on ne sait même pas expliquer à nos enfants.
Voir, aimer, rejeter, décrire, tracer des louanges mais en proposant des vers comme des grains de poivre: regarder le monde tout en voulant l’oublier, même en sachant que ceci est impossible: voici l’essence de l’écriture D’d’Álvaro Hernando, empreinte d’une grande intensité esthétique et philosophique.
Dientes de tinta
Ahí me espera el bolígrafo
con los dientes afilados
como las miradas celosas
como las palabras huecas.
Anda prestándome la vida
regalándome palabras
encubriéndome silencios
pero con los dientes afilados.
Siempre me mira al cuello
por si bajo la guardia
nunca muerde la planta de los pies
ni las palmas de las manos.
El cuello, el cuello, el cuello
lleno de pequeñas marcas
fuentes de inspiración y de muerte
el cuello y sus dientes afilados.
El pequeño bolígrafo espera
en las baldosas frías del invierno
en la arena de las sábanas
en el moho del pan.
Ahí me espera el bolígrafo
con los dientes afilados
como las poesías dedicadas
como las palabras no dichas.
Dents d’encre
Le stylo m’attend là
les dents aiguisées
comme les regards jaloux
comme les mots creux.
Il me prête régulièrement la vie
il m’offre des mots
il dissimule mes silences
mais les dents aiguisées.
Il regarde toujours mon cou
au cas où je baisserais la garde
jamais il ne mord la plante des pieds
ni la paume des mains.
Le cou, le cou, le cou
plein de petites traces
des sources d’inspiration et de mort
le cou et ses dents aiguisées.
Le petit stylo attend
sur les dalles froides de l’hiver
dans le sable des draps
dans la moisissure du pain.
Le stylo m’attend là
les dents aiguisées
comme les poèmes dédiés
comme les paroles non dites.
“Mi piel fría”, poema perteneciente
a la última parte del poemario “La Herida
Eterna”, del poeta Álvaro Hernando Freile.
Un pecado
No toques,
no pongas tus dedos en la piel oscura.
Está prohibido.
Eso es carne.
Pega tus dólares a su brillantina,
al tanga, a la zona más sucia y casi al sexo,
al sudor meloso.
Ella puede tocarte, no tú a ella.
Eso es un límite quebrado,
una libertad robada,
un exceso sin paso,
un pecado.
Un péché
Ne touche pas,
ne mets pas tes doigts sur la peau sombre.
C’est interdit.
C’est de la chair.
Colle tes dollars à sa gomina,
au string, à la partie la plus sale et presque au sexe,
à la sueur mielleuse.
Elle peut te toucher, pas toi.
C’est une limite brisée,
une liberté volée,
un excès sans passage,
un péché.
“La guarida”, par Alvaro Hernando.
Acta est fabula, plaudite!
Ahora, que reposo entre enemigos
ahora, que la felicidad toca el fuego
ahora, que no hay sangre en la boca de una virgen,
ni monedas de cobre sobre tus ojos,
con todo perdido, claveles en los costados,
y en el pecho,
te pregunto:
¿Qué queda de tu cuerpo y de la hybris?
¿Por qué hay olor a sexo en tu mentira?
¿Para qué te sirvió tu desprecio?
No hay pérdida en la muerte.
Sólo un quejido roto de un niño ya ciego.
Descanso, ahora, y paso
de ser Polifemo a Nadie,
y el tiempo atrapa en su huida al único culpable
al corrupto, al héroe, al santo,
al demonio, al insalvable.
Y cae la máscara, seca,
de un yeso amarillo y muerto.
Todos nos desnudamos ante la muerte,
cada noche,
cuando el público nos juzga
desde el interior del pecho.
Cierra los ojos y duerme,
tu función ha terminado.
¡Aplausos!
Acta est fabula, plaudite!
Maintenant que je me repose parmi les ennemis
maintenant que le bonheur touche le feu
maintenant qu’il n’y a pas de sang dans la bouche d’une vierge
ni des pièces de cuivre sur tes yeux,
quand tout est perdu, des œillets sur les côtés,
et dans la poitrine,
je te demande :
Que reste de ton corps et de l’hybris ?
Pourquoi y a‑t-il une odeur de sexe dans ton mensonge ?
À quoi t’a servi ton mépris ?
Il n’y pas de perte dans la mort.
Rien qu’un gémissement brisé d’un enfant déjà aveugle.
Je me repose, maintenant, et de Polyphème,
je deviens Personne,
et le temps rattrape dans sa fuite le seul coupable
le corrompu, le héros, le saint,
le démon, le condamné.
Et, sec, tombe le masque
d’un plâtre jaune et mort.
Nous nous déshabillons tous devant la mort,
chaque nuit,
quand le publique nous juge
depuis l’intérieur de la poitrine.
Ferme les yeux et dors,
ton spectacle est fini.
Applaudissements !
Derrota
Caminamos de la mano, con nuestro hijo, mostrándole que no todos los astros siguen existiendo, entre escombros de fachadas milenarias que pueden colapsar sobre nosotros.
Le mostramos qué es detrás, qué delante, qué antes y nunca después, cuándo agacharse y esquivar el péndulo afilado, cuándo agarrarse al clavo ardiente, cómo poner cara anónima, de desinterés e ignorancia, como evitando el amor y, sin embargo, guardándolo en un pensamiento a punto de expresarse.
Le enseñamos cuándo precipitarse contra el cuello de la presa, cómo hundir los colmillos y hablar el lenguaje de la sangre, cómo ocultar el valor de nuestras víctimas, enterrándolas en el suelo helado del olvido. ¿Quién va a buscar en el extravío mismo?
Concentrados en la herencia de los pasos, trastabillamos, tropezamos y arrastramos al hijo en la caída.
Es el apellido. Es la derrota.
Défaite
Nous marchons main dans la main, avec notre fils, en lui montrant que tous les astres ne continuent pas d’exister, entre les décombres de façades millénaires qui peuvent s’écrouler sur nous.
Nous lui montrons ce qui est derrière, ce qui est devant, ce qui est avant et jamais après, quand s’accroupir pour esquiver la pendule aiguisée, quand se faire des illusions, comment faire une tête anonyme, désintéressée et ignorante, comme si on évitait l’amour, et cependant en le conservant dans une pensée sur le point de s’exprimer.
Nous lui montrons quand se jeter contre le cou de la proie, comment enfoncer les crocs et comment parler le langage du sang, comment cacher le courage de nos victimes, en les enterrant dans le sol glacé de l’oubli. Qui va chercher dans l’égarement même ?
Concentrés sur l’héritage des pas, nous trébuchons, nous faisons un faux pas et nous entraînons notre fils dans la chute.
C’est le nom de famille. C’est la défaite.
Poèmes extraits de Chicago express, (Edition bilingue espagnol-anglais, Pandora Lobo Estepario Productions™, Chicago 2019)
“Zozobra” par Alvaro hernando.
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