Amália Cardoso, hérédités
à retenir
Une orange sur la table de la vieille maison
habite tout l’espace,
la concentre sur sa peau.
Il y a des assiettes au mur
et un vieux plancher en bois.
Mon clan éparpillé de pensées
se déverse en sac de billes ouvert.
La lanterne laisse dans l’ombre
un pan entier de mémoires
il ne faut pas tout dire
tout dire trop vite.
J’égoutte quelques pensées
je garde au creux de mes mains
ce que je tiens à retenir
ce qui tient
sans couler
sans tomber.
Les rebords des champs, blancs,
la vie contenue dans un aller-retour
qui cherche à s’étendre
à chaque fois qu’elle touche la paroi
choisir les meilleures mains
pour lire les pierres.
∗∗∗
débuts
Au début mon nom je ne voulais pas
l’éclater blanc dans la lumière
de tout et de ce qui grandit sans cesse.
Les pommes en quartier tombaient sur le sol,
les allumettes se cassaient avant d’avoir lancé le feu
les mains ne savaient pas faire
les miennes, trop petites et gauches
encore bourgeons, mon ventre
se tordait en lui, noyau muet
flanqué dans les côtes.
Je courais tout autour de mon enfance
les genoux se fendaient dans la terre,
un bain lavait mes blessures
le vent aussi séchait les querelles
et les échardes ça passait,
ça finissait toujours par passer
une nuit suffisait pour réparer
l’orgueil et le rouge aux joues.
J’observais mes pensées
au bord de la fenêtre
quelques-unes devenaient jeux
les autres fanaient au rythme du regard
qui allait jusqu’au fleuve.
Maintenant j’allonge le pas qui va
vers le rivage, ramasser.
Les pieds foulent leur vie
c’est comme cela que
commence et s’envoie
le retour vers soi.
∗∗∗
hérédités
Oublier ou se souvenir
c’est avancer vers
avancer vers sa mémoire.
Revenir à celles des anciens
lire entre les lignes
tracer des lignes sous les mots
pour soutenir le souvenir.
Parfois, on oublie de se souvenir,
on n’y arrive pas
Parfois, on se souvient qu’il faut oublier,
on n’y arrive pas non plus.
J’ai oublié d’oublier, je me suis souvenue de me souvenir
la tête pleine d’images, comme des films super huit en boucles
pour adoucir, la pellicule un peu trop rose
je m’inviterai à les regarder une nuit de belle étoile
quand le temps aura passé.
Au milieu de mes souvenirs et de l’oubli
mes pensées éparpillées reviennent et s’enfuient
ont leurs vies propres,
un fleuve et d’un côté la source, de l’autre l’estuaire
c’est un peu comme ça que j’imagine la mémoire
éparse, épaisse
un crocodile et ses larmes tapie à la surface de l’eau
une petite barque
une submersion une sécheresse.
Au creux de l’oubli dans le plein du souvenir
qu’est-ce qui se cache
est-ce que mes aïeux ont transmis leurs souvenirs, leurs oublis
dans mes tissus
dans mes os
est-ce que ça ricoche d’enfants en enfants ?