Amont dévers — une anthologie poétique (6)

Si la poésie a toujours à voir avec la pensée, il y a fort à parier qu’elle s’éloignera assez spontanément de la doxa, en tout cas en période “ordinaire” (indifférence, train-train historique, consensus prédominant), fût-ce sous prétexte de défoulement et, dirait-on, d’inversion carnavalesque. Risque calculé, bien sûr, comme toujours quand il s’agit de mots (oui, quand même) : on ne parlera pas à la légère ici de subversion. Quant à ce qui s’appelait naguère « poésie engagée », nous pensons que cette expression – après les milliers de pages qu’elle a provoquées – est ou tautologique en soi, ou beaucoup trop ambitieuse pour les objectifs de cette anthologie qui procède, on s’en sera aperçu, selon « l’allure poétique, à sauts et à gambades ». Une voix sarcastique (G. G. Belli) peut provenir parfois des bureaux du Vatican. Mais faire semblant est déjà un pied-de-nez à l’esprit de sérieux et à l’académisme ; à la bêtise la mieux partagée, surtout. Le fou du roi, le djéli, le pazzariello pasolinien ont bon dos : aussi bien chez les comico-réalistes toscans anciens, chez Merlin Coccaïe, que chez les plus funambulesques des baroques, pour ne pas parler des provocateurs futuristes du début du XXème siècle, le ridicule et l’excès ne sont pas aussi gratuits qu’il y paraît ; et dissimulent parfois, prudemment bien sûr, les offenses, les blessures et les révoltes que les opprimés du quotidien ne peuvent pas (ou plus) exprimer directement. En attendant peut-être quelque soulèvement, de périodes – justement – extraordinaires. Car, sous la cendre, suivant l’accordéon variable de l’Histoire, les différents feux ne cessent jamais de couver.

 

La face obscure du quotidien

 

(sonnet)

Qui entendrait tousser la malheureuse
femme du surnommé Bicci Forèse
pourrait penser qu’elle a passé l’hiver
dans le pays où se fait le cristal.
En plein mois d’août on la trouve enrhumée :
imagine comment, les autres mois…
et rien ne sert qu’elle garde chaussettes,
pour ce que son couvroir est courtenois.

La toux, le froid et autre male envie
ne lui vient point d’humeurs qui seraient vieilles,
mais pour le manque qu’elle sent au nid.
Sa mère en pleure, avec d’autres soucis,
disant : « Hélas, pour quelques clopinettes
je l’aurais mise chez un comte Guy ».

Dante Alighieri (?), Tenson avec Forese Donati, Rime

 

 

Beautés de Valladolid

(sonnet caudé)

Étrons fumants, monceaux de pots de chambre
versés, répandus, et brillants torrents
d’urines et bouillons âcres puants
qu’on ne peut traverser sans bottes prendre ;

eaux stercoraires et en animaux
morts fécondes, pain chanci sans levain,
poissons qui empestent les gens de loin,
vins tournés, vinaigres plats, huiles d’eau ;

bâtiments somptueux sur deux piquets
emplâtrés de limon et pleins d’ordure
de çà, de là sans aucun ordre mis ;

dames en céruse et en rouge aussi,
mais crasses, sans cheveux, os desséchés,
dont la motte est rentrée par la nature,

voilà ton hermosure
et tes attraits, et ton renom splendide,
vallée de boue et non vallée d’olide.

Alessandro Tassoni, Rime (posthumes)

 

Très belle forcenée

Ah, de la belle dont je restai blessé
font les anges du Styx un féroce usage :
elle montre au-dehors l’âme ravagée,
cheveux fous, regard tors, horrible visage.

Donc dans le plus beau siège d’Amour gouverne
la haine hideuse et la fureur d’Averne ?
donc au ciel de beauté un enfer est mis,
et entrent donc les Furies au Paradis ?

Pardon pour cette belle âme, âmes damnées !
Si autrefois vous émut d’Orphée le son,
que vous pousse à compassion tant de beauté.

Mais, fou ! que dis-je ? avec qui ai-je ce ton ?
Il ne sait pas pardonner, il n’a pitié
qui de pitié est indigne et de pardon.

Bernardo Morando, Fantasie [amorose], posthume

À Arhiman

Roi des choses, auteur du monde, mystérieuse
Malfaisance, suprême pouvoir et suprême
Intelligence, éternel
Pourvoyeur des maux, gouverneur de mouvance,
Je ne sais si cela te rend heureux, mais regarde et jouis…

G. Leopardi (1833)

L’incendiaire

à F. T. Marinetti,
âme de notre flamme

Au milieu de la place centrale
du village
on a placé la cage de fer
avec l’incendiaire.
Elle y restera trois jours
afin que tous puissent le voir.
Tous viennent rôder autour
de l’énorme tétragone,
durant tout le jour,
des centaines de personnes.

– Regarde un peu où ils l’ont mis !
– On dirait un perroquet charbonnier.
– Et où devaient-ils le mettre ?
– En prison, directement.
– C’est bien fait, il a l’air d’un mendiant !
– Pourquoi ne pas lui préparer
un appartement de luxe,
pour qu’il le brûle aussi !
– Quand même pas le garder dans cette cage !
– Ils le feront crever de rage !
– Crever ! C’est pas le type à s’en faire !
– Il est plus tranquille que nous !
– Moi je dis qu’il s’amuse beaucoup.
– Mais, et sa famille ?
– Qui sait de quelle partie du monde il est venu !
– Cette engeance n’en a pas, de famille !
– Sûr, des débris à la dérive !
– S’il venait de l’enfer ?
– Pauvre méchant diable !
– Vous auriez de la compassion ?
S’il vous avait brûlé votre maison
vous ne diriez pas ça.
– La vôtre, il l’a brûlée ?
– S’il ne l’a pas brûlée
il s’en est fallu de peu.
Il a brûlé la moitié du pays
ce forban !
– Au moins, lâches, ne lui crachez pas dessus,
c’est un être humain à la fin !
– Mais comme il est tranquille !
– Il n’a pas du tout peur !
– Je serais mort de honte !
– Être là, cloué au pilori !
– Trois jours !
– Quel supplice !
– Mon dieu, quel air torve !
– Ces regards de bandit !
– S’il n’y avait pas la cage,

je ne resterais pas là.
– Et si d’un coup on le voyait s’échapper ?
– Mais comment ferait-il ?
– Elle est solide au moins, cette cage ?
– Qu’il ne puisse pas s’enfuir !
– Par les vides entre les barreaux, il ne pourrait pas passer ?
Ces brigands savent se replier
de mille façons !

[…]

Place ! Place ! Écartez-vous !
Camelote ! Petits êtres
aux exhalations malodorantes,
fétide bétail !
Ravalez tous autant que vous êtes
votre obscène commérage,
et qu’il vous reste dans la gorge !
Place ! Je suis le poète !
Je viens de loin,
j’ai traversé l’univers
pour venir trouver
ma créature à célébrer !
Agenouillez-vous, racaille !
Hommes qui avez horreur du feu,
pauvres êtres de paille !
Agenouillez-vous tous !
Je suis le prêtre,
cette cage est l’autel,
cet homme est le Seigneur !

[…]

A. Palazzeschi, L’incendiario, 1910

 

 

* * *

Tendre l’autre joue,
une révolution copernicienne :
repousser la haine à la marge
de notre système céleste,
pour mettre au centre l’étoile,

un Soleil-Amour qui illumine la Terre !
Facile à dire, mais du dire au faire
il y a au milieu le Mal,
et cette Éclipse qui n’en finit plus
et projette son ombre sur Noël.

V. Magrelli, Il sangue amaro, 2014 (de : Huit poèmes pour Noël)

 

L’abject et le sublime

(Sonnet)

Qu’une trombe, vieille enragée, t’emporte,
qu’un tourbillon te frappe sur la tête !
Pourquoi es-tu en toi-même si torte
que ne vient pas t’occire la tempête ?

Qu’un arc du ciel t’envoie une angoisseuse
flèche qui te vient fendre, et soit bien preste :
car si se terminait ta vie fâcheuse,
j’aurais, sans plus demander, joie et fête.

Que ne vont pas se plaindre les vautours,
milans et corbeaux à Dieu souverain,
qu’il te livre à eux ? Tu es leur quignon.

Mais tu as la chair si suintante et dure
qu’ils ne tiennent pas à t’avoir en mains :
aussi restes-tu là, c’est la raison.

(Guido Guinizelli, Rime)

D’huîtres et de crabes

Une huître, lorsque la lune est pleine,
s’ouvre en grand : ce que voyant le crabe
pense déjà qu’il l’aura sans peine.
Il enfile dedans pierre ou branche :
de se refermer n’est plus capable ;
ainsi le crabe son huître mange.

Ainsi l’homme qui ouvre sa bouche
et à un traître dit son secret,
recevant un coup qui au cœur touche.
De la langue provient vie ou mort :
plus se tait que ne parle un discret,
tant qu’il est soumis au mauvais sort.

La vie se sauve par la prudence :
bouche cousue garde le silence.

Cecco d’Ascoli, Acerba etas, III, 28

 (Trinch !)

1. Limerne :

Ci, ci ! père des noctivagues ténèbres,
ci, Sommeil, ci, semeur de calme paix
Morphée ! Ci, plongeant dedans mes yeux
au lit que tu annexes, couche-toi ou parcours
tout entier imprégné du liquide cher au peuple
mon corps, ivre bientôt du pavot qui engourdit.
D’ici, d’ici s’en aillent les soucis accrochés
mordicus aux intimes viscères, disparaissent,
afin que je jouisse de ta divine adorée torpeur,
grâces rendant, oui, plus tard aux dieux du jour.

 

 

2. Merlin :

 

Post vernazziflui sugum botazzi,
post corsi tenerum greghique trinchum,
et roccam cerebri capit fumana
et sguerzae obtenebrant caput Chimerae.
O dulcis bibulo quies Todesco,
seu feno recubat canente naso,
seu terrae iaceat sonante culo!
Mox panzae decus est tirare pellem,
mos est sic asino bovique grasso.

 

Après le jus coulant du flacon de grenache,
après avoir trinqué tranquille corse et grec,
et le donjon cérébral est pris par les fumées
et les Chimères louches enténèbrent la tête.
Ô douce quiétude au Tudesque biberonneur,
qu’il roucoule du nez affalé dans le foin
ou que du cul il trompette gisant à terre !
Puis il est bon que la peau du ventre soit tendue,
selon le plaisir aussi de l’âne et du bœuf gras.

 

Le grand idéal

Le grand idéal
m’est sorti
d’un coup
alors que distrait
j’étais dans la rue
je regardais quelque chose
et puis
les gens
tout autour
de moi
se sont retournés

ç’a été
un jour
horrible

j’avoue
que j’ai rougi
quand j’ai compris
que le grand
idéal
par moi cultivé
avec soin
nourri
des années
tenu au-dessus
d’angoisses doutes et soucis

ces grossiers triviaux passants
avaient cru
qu’il était
l’avaient pris
pour un
très vulgaire
pet

Sebastiano Vassalli, La distanza, Bergame 1980

Chant des charretiers

Les roues du chariot grincent comme des lits
d’hôpital. Les chevaux tombent
entre les limons et montrent leur moelle aux oiseaux –
broutent le vent au bout des rails.

N. Ghiglione, Canti civili, 1945

[vénitien classique]

 

Un certo cavalier orbo da un occhio,
questo s’ha maridà.
Appena che l’è andà
colla so sposa in letto,
che ’l se n’ha accorto in botta,
che la l'aveva rotta.
Oh, com’ela? el ga dito,
per Dio, no ti xe puta.
La ga risposto franca:
Perché cossa me manca?
Lu ga soggiunto subito:
Oh, te manca l'onor.
La ga replicà:
Vardé là, che stupor?
Varda, che ancora a ti
manca un occhio. E cussì
lu presto ga soggiunto:
Un dì me l'ha cavà un mio nemigo.
Ed ella ga risposto:
E a mi, cogion, me l'a tiolto un me amigo.

 

 

Un certain chevalier borgne d'un œil,
voilà qu'il s'est marié.
À peine est-il allé
avec sa femme au lit,
qu'il s'en est aperçu au premier coup,
elle l'avait rompue.
Oh, comment ça ? dit-il,
par Dieu, tu n'es pas fille.
Elle fait aussi sec :
Pourquoi, qu'est-ce qui me manque ?
Et lui si tôt ajoute :
Oh, rien qu'un peu d'honneur !
Mais elle a répliqué :
Voyez ça, c'est trop fort ?
Regarde, à toi, vois-tu,
il manque un œil. Et lui
vite veut préciser :
Un jour, un ennemi me l'a ôté.
Et elle a répondu :
À moi, couillon, ç'a été un ami.

 

Giorgio Baffo, Le Poesie (posthume)

 

[italien de la ville de Rome, romanesco]

 

Er ciàncico

A ddà rretta a le sciarle der governo,

ar Monte nun c’è mmai mezzo bbaiocco.

Je vienissi accusí, sarvo me tocco,
un furmine pe ffodera d’inverno!
E accusí Ccristo me mannassi un terno,

quante ggente sce campeno a lo scrocco:
cose, Madonna, d’agguantà un batocco

e dàjje in culo sin ch’inferno è inferno.
Cqua mmaggna er Papa, maggna er Zagratario
de Stato, e cquer d’abbrevi e ’r Cammerlengo,

e ’r tesoriere, e ’r Cardinàl Datario.
Cqua ’ggni prelato c’ha la bbocca, maggna:

cqua… inzomma dar piú mmerda ar
majorengostrozzeno tutti-quanti a sta Cuccaggna.

 

 

voir : circe.univ-paris3.fr/Sonnets-Belli.pdf

 

La grignote

À écouter les craqu’s des gouvernants,
le Trésor n’a jamais l’ombre d’un rond.
Puissent-ils recevoir – moi j’me les touche
autant d’éclairs du ciel dans leur cal’çon !
Et m’faire avoir, oh Christ ! l’bon numéro,
à proportion d’combien ils en profitent :
de quoi, bon dieu, empoigner un gourdin
et les en fourrager jusqu’au trognon.
Quoi ! bouff’ le Pape et bouff’ le Secrétaire
d’État, et ç’ui des Brèv’s et l’Camerlingue,
le Trésorier et l’Cardinal Dataire.
Là, chaqu’prélat qu’a une bouche, bouffe:
là... en un mot, du plus’ merde au fortiche,
tutti-quanti dans c’fromage-là s’étouffent.

(27 nov. 1830)

 

 

Giuseppe Gioachino Belli, Sonetti romaneschi

 

Et les malgré soi…

Je courais dans le crépuscule…

Je courais dans le crépuscule boueux,
derrière des hangars cassés, des échafaudages
silencieux, par des quartiers mouillés
dans l’odeur de fer et de guenilles
chauffées, qui sous une croûte
de poussière, parmi des baraques de tôle
et des écoulements, dressaient leurs parois
neuves tôt décrépies, contre un fond
de métropole déteinte.

Sur le bitume déchaussé, entre les fils d’une herbe âcre
d’excréments et des esplanades
noires de boue – la pluie les creusait
de tiédeurs infectes –, les torrentielles
files de cyclistes, de hoquetants
camions de bois, se dispersaient
parfois, vers des centres de faubourgs
où déjà quelque bar avait son cercle
de lumière blanche, et où devant une lisse
paroi d’église étaient étendus,
vicieux, les jeunes.

Autour des immeubles
populaires, déjà vieux, les potagers croupis
et les constructions hérissées de grues à l’arrêt
stagnaient dans un silence de fièvre ;
mais un peu à l’écart du centre éclairé,
le long de ce silence, une route
bleue d’asphalte semblait toute enfouie
dans une vie sans mémoire, intense
et antique. Rares brillaient
les réverbères d’une lumière criarde
et les fenêtres encore ouvertes étaient
blanches de linge étendu, palpitantes
de voix à l’intérieur. Sur les seuils, assises
se tenaient les vieilles femmes, et clairs
dans leurs salopettes ou leurs culottes courtes
presque endimanchés plaisantaient les garçons,
mais ensemble enlacés, avec des filles
plus précoces qu’eux.

Tout était humain,
dans cette route, et les hommes étaient là
agrippés, des intérieurs au trottoir,
avec leurs pauvres habits, leurs lumières…
On aurait dit que jusque dans son intime
et misérable habitation, l’homme était
juste en bivouac, comme d’une autre espèce,
et qu’attaché à ce quartier
dans le couchant huileux de poussière
n’était pas son État, mais une confuse halte.

Et quiconque eût traversé cette route,
dépouillé de l’innocente nécessité,
perdu par les siècles de chrétienté
qui en ces gens s’étaient perdus,
n’était qu’un étranger.

Pier Paolo Pasolini, Poesie inedite (version légèrement différente dans “Les Langues Néo-Latines” 286-87, automne 1993)

Morceaux de raison

(I)

Guidant des ennemis désormais aveugles
je contiens un jour dont ils se souviennent,
union verte où nul ne prendra
le bandeau échappé à la main,
quand la nature puissante par-dessus la pluie
échange une vie contre une autre vie.

Milo De Angelis, Terra del viso, 1985

 

5. Judas

Je n’y suis pas encore, moi, dans cette histoire,
pas tel que vous me voyez.
Pendant que Jésus joue sur le sol
d’une maison luisante de propreté,
ses futurs compagnons aussi jouent
quelque part, au bord de la mer
ou du désert, quelques-uns
dans la propreté, comme lui, quelques autres
dans la boue d’un taudis.
Oui, tout doit encore advenir - tout
excepté mon nom. Mais pour le moment
ce n’est qu’un nom comme tous les autres,
innocent comme la créature
qui innocemment le porte.
Le dire est, je crois, superflu. Et si par hasard
il y a quelqu’un qui ne l’a pas deviné,
tant mieux : en un point infinitésimal
de la germination du crime
quelque chose, qui sait, pourrait encore s’enrayer...
Quelle absurdité! Ce qui est écrit est écrit,
ou mieux, si je pense à qui m’écoute :
ce qui est lu est lu.
Mais laissez-moi encore pour un peu
l’illusoire, passagère douceur
de ne pas l’avoir fait.

G. Raboni, Rappresentazione della croce, 2000

 

Les cauchemars des autres
sont les miens
et ce matin
dans une des venelles au fond
d'une contrée lointaine
j'ai reconnu
une maison de ma rue
le numéro de ma mémoire
et les habitants d'un pays
qui, dit-on ici, "n'existe pas"

c'était écrit dans le journal
et la photo reproduisait
des semblables
qui erraient
parmi des détritus et des ruines
et j'étais là, je me suis reconnue
même si le journaliste distrait
diffusait des nouvelles
sans fondement
sur une rue habitée par moi
quand je rêvais d'un monde de paix
ensemble avec les habitants de ce pays
que l'on entrevoit sur la photo
et qui dans la nuit
avaient déjà été condamnés
à paraître des ombres
d'un pays qui n'existe pas.

Toni Maraini, Le porte del vento, 2003

 

(XXXI)

L'eau était partout, sordide, battante :
l'avaient annoncée dans la nuit
les bouches adolescentes
du trop-plein de l'abreuvoir.

Certains l'avaient sentie déjà
s'ouvrir comme un puits
dans leur corps : l'eau les rendait malades,
ne laissait pas de blessure,
en quelques jours ils sortaient de la vie.

mais outre les champs inondés, aux premiers froids,
nous connaissions un sentier sous les oliviers
infréquenté, nôtre,
ceint d'un vent assidu,
que l'eau ne pouvait soupçonner.

Gianluca Furnari, Vangelo elementare, 2015