Jouant de l’entre-deux des choses, du temps suspendu, des phases transitoires, des rappels, entre rhétorique assumée (cette langue qui parfois claironne ses trouvailles), l’épaisse écorce de la langue (rugueuse, très signifiante, très allitérante, comme une pâte terrienne qui a des assises), et la stricte volonté d’asseoir ses aveux, le poète Doms signe ici, après deux beaux recueils très profonds sur un retour à soi dans l’âge venu (au Taillis Pré et à L’herbe, déjà), un lourd volume, qu’allègent toutefois les gouaches tachistes, très vibrantes et colorées de Roger Bertemes (datant de 1979 et 2005).
L’aveu, très strict, demande rigueur, précision, et, en matière d’énoncé de soi, une discipline de langue : neuf sections de poèmes, une disposition des strophes, un style tendu, tenu à l’essentiel, à l’ellipse, à la reprise des motifs, aux références mythologiques, aux images et termes rares. Le vers domsien se reconnaît sans erreur : l’énoncé un brin pavésien (dans le constat moral de soi et du monde), l’altière beauté (un ton un brin précieux) des messages et de la découpe du vers.
J’ai souvenir : la grand-vague annoncée par l’horizon, le typhon à balayer vos plages, et au-delà. Croulent les châteaux de sable et crèvent les crabes de l’empire ! Espoir, en quiète coquille ! J’en vis encore, aveuglément !
Mais qui dévoya le vent ?…
La langue sonne, pleine d’échos, de retenue, de maîtrise. Pour dire l’essentiel : ce que le temps a donné, a repris ; ce que « le poète paysan » a retenu ; ce qu’il convient de dire sans « revendiquer » ; ce qu’il s’agit de conquérir de soi, sans ambages. Et, dans la lignée d’un Chavée tenu d’identifier son je, le poète Doms s’assigne le devoir de décrire sa liberté, de dérouler ses préférences ou ses rejets (« Je ne chéris pas la mer »), de se révéler « têtu, colère sous la bogue studieuse », sans une once de complaisance.
Les images très belles, très pures, très nettes dessinent « l’hôte farouche en fuite dans l’ombre », « passeur des temps que mon temps a passés, simple logeur de ses fascinants », dont « seul s’allège le cœur », dont « ton désir est le seul voyage ».
La nudité des aveux (« j’ai mal au soleil qui tombe », la vérité des constats (« d’autres imbus de vivre »), la belle description d’un soi vieilli, toujours près de rebondir (« Mais le marcheur matinal s’ébroue la tête aux odeurs du monde ») font de ce livre un témoignage vibrant sur les pertes et profits du grand âge, et donc une forte leçon de vie.
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