Anna Malihon, Poèmes

Par |2024-09-06T06:09:52+02:00 6 septembre 2024|Catégories : Anna Malihon, Poèmes|

Tra­duc­tion tra­duc­tion d’El­la Yevtushenko

 

Sans-abri

Notre mai­son est
un bateau abattu
qui con­tin­ue à ram­per sur la terre desséchée
comme un gros coléop­tère confus
il remue les rames
fou­et­tant la crème du brouillard

Et nous, nous habi­tions dans une anci­enne machine à écrire 
les braves bâtards de la grand-mère Cyrillique
le sang encore chaud sur nos pier­res tombales
se sou­vient du style d’auteur

Et nous, nous étions des papil­lons célestes
vivant dans une cloche d’église
mais les sons noirs ont frappé
nous dis­per­sant en cendres

Main­tenant nous sommes
devant la porte rouge cerise
de l’église Saint-Paul-Saint-Louis
Et l’horloge du soleil nous fouille avec ses tentacules

Geneviève fait des bateaux à par­tir de deman­des d’asile
les laisse descen­dre la Sequana
les let­tres gon­flent d’une moi­sis­sure lilas

Elle ter­mine un appel impor­tant et hoche la tête
- Lais­sez-les entrer

 

***

Quel oiseau es-tu ?
                                Les yeux en sap­phire. La poitrine en soie.
Toi, l’étoile de cartes postales, la reine de timbres…
Pourquoi restes-tu là, sur la ville assiégée, sans partir ?
Qui te pren­dra ? Ils ne sont que des êtres humains
habitués aux pin­sons et aux canaris intérieurs.
Chantes-tu pour les nôtres ? Ou bien pour les autres ?
Quels enfants pro­tèges-tu dis­crète­ment des pattes sales maraudeuses ?
Petit oiseau, étoile, sor­cière verte,
regarde, la fumée recou­vre ta maison…
Sur la carte déchirée une goutte de sang résonne.
Oiseau, chante. Lorsque les nuages noires s’écument,
que s’étend le fil, se répand le son,
que la lune se pré­cip­ite au-dessus du jardin,
que les cor­beaux lui appor­tent l’automne blessé sur leurs ailes,
ta chan­son coule le long des flèch­es d’églises.
Tu n’as rien dans ton petit bec que des sons bleus
dont tu as hérité comme des malédictions.
Les humains ont pris ta gloire, ton amour, ta fortune,
ô oiseau voy­ant, – alors tu ne les laiss­es pas dormir,
inca­pable d’ailleurs de réveiller aucun d’eux.
Voici ton renard apprivoisé et ta rose,
voici tes forêts dens­es et le treil­lis des jours calmes…
Qu’attends-tu d’eux ? Ce sont des morts, 
laisse-les dans leurs guer­res par­al­lèles, leurs rêves et leurs films.
Aime toi-même et dure jusqu’à l’été, dure
jusqu’aux pre­mières con­vul­sions pour ce pays déchiré.
Ne reviens pas… ils ont leurs pro­pres lois.
Mais l’oiseau s’envole au-dessus des terrils,
lais­sant tomber dans la nuit une plume émeraude

  

***

Cette forêt sur la ligne de défense
plus de noir que de vert
plus de sibi­lantes que de voyelles
Les âmes allongées de couleu­vres sus­pendues aux branch­es nues
comme des points d’interrogation
la mousse attaque et avale les bêtes
un oiseau trem­ble entre les détonations
telle un ton chaud
Quelqu’un par­le aux arbres
en silence
comme des femmes soli­taires par­lent aux pots de fleurs
et quelqu’un d’autre met des ban­dages sur l’herbe brûlée
Tout devient jaune et solide comme du bois
les sols sableux se fracturent
comme des biscuits
Mais les ser­pents sauvés font des nœuds sur les fissures
afin que nous venions au moins encore une fois et fas­sions l’amour
comme des bêtes sauvages
de sorte que les aigu­illes de pins col­lent à notre peau
ain­si que les lour­des pivoines des nuages en haut
Cette forêt sur la ligne de défense oh cette forêt infernale
si peu de vert

 

Présentation de l’auteur

Anna Malihon

Anna Mal­i­hon (Ukraine, Kyiv). Depuis 2022 elle vit à Paris. Autrice des recueils poé­tiques, On sonne à la porte(2003), Trans­fu­sion du sang (2012), Aux vais­seaux délais­sés (2012), Une pluie prim­i­tive (2013), Roseraie(2020) – en ukrainien, «Burnt skin» (traduit en anglais par Ole­na Jen­nings,  «Unde­ground books», New York, 2016), du roman Teach Her How To Do It (2013), (Apprends-lui à le faire”), d’un réc­it-con­te, Album mag­ique de Car­o­line (2015).

Par­tic­i­pante des fes­ti­vals ukrainiens et inter­na­tionaux, lau­réate de dif­férents prix lit­téraires. Ses œuvres ont été traduits en bul­gare, polon­ais, tchèque, géorgien, anglais, français et d’autres langues encore

 

 

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