C’est un trajet à accomplir à travers les heures, à travers la vie que nous propose cette série de cadrans composée par Anne Dujin.
La parole s’y trouve sans cesse interrogée, malgré l’épigraphe de Michel Foucault qui semblait affirmer une forme de confiance dans le langage : « …le poète est celui qui (…) retrouve les parentés enfouies des choses, leurs similitudes dispersées. […] ». Et de se retrouver, très vite, confrontée, heurtée aux limites de cette confiance, de la magie de la parole poétique face au réel plus brut, plus brutal, de bien des manières. Anne Dujin fait vibrer en nous cette oscillation entre doute et confiance vis-à-vis de la parole, position indispensable pour viser un langage poétique plus juste, plus vrai, plus propice à habiter le monde. Elle trace ici un chemin pour nous inviter à redécouvrir le sens des mots, la façon dont ils s’accordent au monde, dont ils dissonent aussi, peut-être, avec le temps, se désaccordent. Et ce sont souvent les mots des autres – en particulier ceux à qui ils manquent, ou qui ne les délivrent qu’avec une certaine rareté – qui révèlent la valeur du langage et permettent de retrouver confiance dans la parole poétique.
Anne Dujin, L’ombre des heures,
L’herbe qui tremble, 2019.
Car c’est l’acte d’écrire même qui est une mise à l’épreuve de cette confiance, imposant une descente en soi, en son propre vécu, la confrontation avec ses « morceaux [de] miroir brisé », l’errance « dans le douloureux labyrinthe », la perte des repères que l’on croyait siens.
Quelque chose se joue, dans ce recueil, entre surface et profondeur, dans le rapport de la poète à soi, dans son rapport au monde, et prend peu à peu forme d’ouverture. Ouverture du regard, avec toute la conscience de son lien avec les générations qui précèdent, et toute la liberté, la nouveauté offertes par celles qui suivent. Ces enfants que l’on porte et qui vivent auprès de nous ; et non loin d’eux, cet enfant que l’on a été ; celui dont le regard demeure en nous. Ouverture de la main, à ce qui est donné, à l’imprévu à recevoir au quotidien. Ouverture à ce qui, au-delà de la confiance, devient signe d’espérance : une lumière, un morceau de ciel, la perspective du « soleil silencieux de Pâques ». Une naissance possible.
Ce recueil a obtenu le Prix du premier recueil décerné par la Fondation pour la Poésie.
Présentation de l’auteur
- Anne Dujin, L’ombre des heures - 6 décembre 2020