Anne-Lise Blanchard, L’horizon patient
La poésie d’Anne-Lise Blanchard est celle de la retenue, du bref qui « fait sens ». L’intérêt qu’elle peut porter à l’épure de la poésie japonaise - version haïku - n’est pas étranger à cette manière qu’elle a d’envisager l’écriture poétique. « Le poète possède l’art d’exhiber le rien ou le presque rien, de l’enluminer », estimait François Cassingena-Trévedy dans sa Poétique de la théologie (Ad Solem, 2011). Le nouveau recueil d’Anne-Lise Blanchard en est une vibrante illustration.
Nous voici donc avec L’horizon patient au cœur d’une méditation « pointilliste » sur notre présence au monde. Ce monde est celui d’une forme de chaos (« Le chaos reste patient », écrivait la poétesse bretonne Eve Lerner dans un récent recueil publié chez Diabase). « Je me tiens/ à la lisière/du vide qui gagne/en sourdine/déposant son chaos/au cœur du dénuement », écrit pour sa part Anne-Lise Blanchard. Plus loin, elle affine son diagnostic : « D’écrans en boîtes vocales le monde/se mutique s’opacifie/la peau se sciure/la langue s’épaissit et dehors/l’horizon/s’amenuise ». Alors le poète « implore le silence et implore la lumière ». Mais ne s’arrête pas là.
Faire face, c’est mettre tout le corps en mouvement. « Marcher/sauter/nager courir ». Sur ce terrain-là, Anne-Lise Blanchard nous a déjà menés très loin. Retour du Moyen-Orient, elle a livré Le soleil s’est réfugié dans les cailloux (Ad Solem, 2017). Aujourd’hui, « la foulée caracolante » et « la hanche bougonnante », elle arpente des « lieux » et des « voix ». Elle le fait à Brangues (pour parler de Claudel), à la Côte Saint-André (pour parler de Berlioz), à Chartres (pour parler de Péguy).
L’horizon patient, Anne-Lise Blanchard, préface de Colette Nys-Mazure, Ad Solem, 2022, 107 pages, 17 euros.
La voici aussi à Hautecombe, à Sainte-Baume, à Collioure, à Carcassonne, à Lisbonne, au bord du lac de Lugano où « l’hôtel Azalée/ prête au/lac sa couleur indigo », à la Grande Chartreuse où elle découvre « les mains jointes des gisants et des vivants ».
S’émerveiller, chercher « le mot qui libérera le souffle/d’une nouvelle naissance ». Anne-Lise Blanchard poursuit sa quête dans la montagne car « ici le souffle circule en liberté ». La voici au col d’Arrimoulit, à la pointe des Arlicots, au pic Muga… lieux de « solitude/ souveraine dans l’heure pure ».
Exercices de contemplation qu’elle peut aussi bien mener en montagne qu’au cœur de la ville, comme elle le raconte dans Le ravissement de la marche (Atelier du grand Tétras, 2021). « La trace devient méditation/un geste déplie l’horizon », note-elle au port du Marcadeau. Il lui arrive même d’épouser parfois la « sérénité » de ses « sœurs ruminantes » rencontrées en chemin, de retrouver dans la joie « le vieux tilleul » ou « les bourgs antiques ». car elle tient aussi la plume « pour dire ce qui/n’est déjà plus ». Pourtant, pas de nostalgie, pas de passéisme. Non, se projeter vers un nouvel horizon. Avec patience.