Anthologie de la poésie belge — 1

Ce dossier ne concerne que les poètes de langue française. Il est peu de poètes francophones qui ont des contacts avec l'autre langue et ses représentants.

Quelques initiatives toutefois sont à signaler : la création d'un POETE NATIONAL, décerné alternativement à un Néerlandophone et à un poète francophone ; la Maison de poésie d'Amay a édité ainsi plusieurs volumes bilingues.

Les poètes choisis ci-dessous ne revendiquent nullement leur langue comme outil linguistique de défense de sa propre langue mais comme l'expression d'une création langagière et d'un univers poétique.

Les thèmes, partageables avec tous les poètes d'aujourd'hui, ceux de France, de Suisse, d'Afrique ou du Québec, traversent les jalons de l'intimité, des liens sociaux, des valeurs humaines, du péril de la nature et des changements de société.

 

© Adelin Donnay, Vie de carton... carton de vie... (projet de mur)

Yves Namur ainsi confie :

Je ne crois pas aux tiroirs géographiques, linguistiques ni même à cette fameuse belgitude dont on a tant parlé. Conséquence de cela, je ne sais où me situer en Belgique. Mes maîtres ont écrit en espagnol, allemand et français. Mes amitiés poétiques et mes échanges épistolaires me portent encore au Portugal, en Espagne, en Israël, etc.

La poésie (et je ne parle pas spécifiquement de la mienne) me semble inscrite au cœur du monde entier plutôt qu’enracinée dans quelques arpents de terre wallonnes. 

D'autres, comme Besschops, revendiquent des influences littéraires multiples :

Mes influences en poésie sont pour la plupart à chercher du côté de la prose : Hélène Bessette ; Noémi Lefebvre ; Elfriede Jelinek ; Réjean Ducharme ; Julio Cortázar ; Louis Calaferte ; Thomas Pinchon ; B.S. Johnson ; Pierre Senges ; Curzio Malaparte ; Antoine Volodine ; Robert Pinget ; Laura Vazquez ; Claude Simon ; Philippe Roth ; Nelly Arcan et bien d’autres. Néanmoins, quelques poétesses et poètes ravivent mes ardeurs, attisent mes fulgurances : Sandra Moussempès ; Christine Mainardi ; Mathieu Bénézet ; Amelia Rosselli ; Mathieu Messagier ; Cédric Demangeot ; Guy Viarre ; Charline Lambert ; Pierre Dancot ; Christophe Bruneel.

Jean-Louis Massot relate ses premières découvertes :

Quand est venu l’envie d’écrire de la poésie, j’ai plongé dans Prévert, G.L Godeau, De Cornière, Follain, Carver, Brautigan et bien d’autres, des moins « anciens » aussi comme Lahu, Fano, Palumbo, Gellé, Josse, Emaz, Sautou, Izoard… C’est avec eux que j’ai compris que sujet, verbe, complément étaient suffisants pour écrire de la poésie. Si je devais préciser ma place dans la poésie belge ou la poésie tout court. Sans doute au fond de la classe près d’une fenêtre pour regarder la vie, le décor, le ciel, les gens et en parler le plus humblement possible »

Parlons-en  de ces influences, parfois massives. Y défilent les Char, Ponge, Michaux, Prévert, Celan, Pessoa, Ungaretti, Chavée, combien d'autres.

C'est toute la poésie du XXe qui serait à citer pour ces poètes grands lecteurs de leurs contemporains.

Le dossier, qui paraîtra en ces pages sous forme de feuilleton, compte une bonne trentaine de représentant(e)s de la poésie belge. Chaque fois, une petite notice, une photo, quelques poèmes proposent une première découverte d'un auteur. Parmi ces auteur-e-s, il en est de plus connus, d'autres restent à découvrir. Ils sont publiés en France, en Belgique. Certain(e)s d'entre eux ont reçu des prix importants.

La grande diversité des voix – certaines plus modernes, d'autres plus classiques -que j'ai recherchée en préparant ce petit dossier, révèle l'importance de la forme poétique en Belgique, dans la grande tradition des Norge, Thiry, Goffin, Ayguesparse, Vivier, Izoard.

La sélection entreprise est certes subjective. Un appel aux textes a été lancé et ces noms ont répondu. Ce dossier, donc, se complétera à l'aide d'anthologies récentes (celle de Recours au poème, celle du Journal des Poètes n°4/2021...)

 

 

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Yves Namur

 

LA FEMME PERDUE

Je reste ici

Sans rien qui vaille la peine d’être dit :

Ni fourmis, ni moustiques,

Ni chaleur qui déborderait dans la chambre,

Ni promesse

Qui traînerait encore sur le bord de la table,

Ni livres ouverts pour faire pleurer les anges

Et les chiens de garde.

Rien,

Si ce n’est peut-être la mer qu’on voit danser

Dans un poème,

Et de l’autre côté,

Une femme qui dit des je t’aime aux oiseaux

Et aux hommes qui s’envolent par hasard

Ou simple distraction.

 

UN BUFFET

Quand un silence meurt d’avoir trop attendu

Le visiteur de midi,

On ne sait trop où donner de la tête,

Qui écouter, comment faire la part des choses

Ou que penser de tout ce remue-ménage

Qui traverse la salle à manger

Et fait trembler de peur la vaisselle

Et les souvenirs du vieux buffet

Abandonné, malgré lui, aux adieux

Et à la poussière des regrets

 

(extraits inédits du Coeur défait)

 

Yves Namur (1952). Médecin, éditeur (Le Taillis Pré), auteur de plusieurs anthologies, de nombreux livres d’artiste et d’une quarantaine de recueils. Parmi ceux-ci Les ennuagements du cœur, La tristesse du figuier (Prix Mallarmé 2012), Ce que j’ai peut-être fait, Les lèvres et la soif ou N’être que ça, tous parus chez Lettres Vives. Chez Arfuyen et publiés récemment : Dis-moi quelque chose et Ainsi parlait Maurice Maeterlinck. Ses livres sont traduits et publiés dans une quinzaine de langues. Membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique depuis 2001, il en est le Secrétaire perpétuel depuis 2020. Il est également membre de l’Académie Mallarmé.

 

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Eric Allard

LA NUIT CONTINUE

La nuit continue au-delà des bizarreries du jour. Juste avant la fin des leurres, une lampe floute l’horizon. Un feu pointe. Faut-il alors retenir son souffle ou passer outre la barre des tempêtes, la raison reléguée au rang d’obscur éclair ? Refaire le point avec les lignes de la main ou du songe ?

Porter l’eau là où ne brûle nulle braise ? Tenir haut le prisme d’incertitude ? Marquer la gazelle au fer de l’espoir quand le regard fatigue à trop fixer le soleil ?

On ne peut pas dire que le verbe sommeille avant d’avoir levé un mot dans le piège du sens. D’une feuille reconstitué l’enfance de l’arbre. Fait un nœud à la branche, dénoué des langues. Dormi une vie entière en attendant la plaie salvatrice, l’ultime appel du texte de l’existence. Uni les mains du temps, raviver ses forces. Appelé les amants à unir leur sexe dans le ventre plein d’un taureau.

Après le meurtre du toréador aux portes de l’arène par les aficionados même.

À LA LUMIERE DE LA LANGUE

À la lumière de la langue

je vois se lever les mots

sur la page.

Ils alignent

mes déraisons, mes mensonges

ils font rempart au futur.

Rien ne dit

qu’ils survivront

au naufrage de la mémoire.

Je garde d’un passé muet

forcé de faire silence

l’image d’un vacarme de légende.

 

 

Éric ALLARD est né un jour de carnaval de 1959 sans masque ni tuba, au Pays Noir où il creuse toujours son sillon. Il est l’auteur de quelques recueils dans les formes brèves : poésie, aphorismes, contes brefs.

Son blog littéraire, Les Belles Phrases, est principalement consacré à la chronique littéraire, avec le soutien d’une dizaine d’écrivain(e)s.

 

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Philippe Colmant

 

 

J'écris comme l'on prie

Dans la nef intérieure

À l'ombre de la flamme

Et filant mes pensées

Au rouet de mes mots,

J'évoque sans rien dire.

Aucune voix ne porte

Aussi fort, aussi loin

Que celle du silence.

*

Parfois le jour se brouille

Et la lumière souille

Le regard du miroir.

Alors on se replie

Tout au fond de sa honte,

Espérant que l'ami

Brave les hauts murs noirs

De ce camp retranché

Avec ses mots de force

Et ses ailes ouvertes

Comme un archange ancien

Venu sauver le monde.

*

Du bord de la falaise,

On peut voir manœuvrer

La calandre des vagues

Qui inlassablement

Lisse le sable fin.

Ainsi aussi la vie

Roulant jour après jour

Sur nos cœurs reprisés

 

 

 

Né en 1964 à Bruxelles, Philippe Colmant est traducteur de formation et de profession. Auteur d'une dizaine de recueils de poèmes, il a obtenu le Prix Jean Kobs 2021 pour Cette vie insensée. Il a également signé à ce jour quatre romans policiers mais considère la poésie comme son principal champ d'expression. Il est membre de l'Association des écrivains belges de langue française (AEB) et de l'Association royale des écrivains et artistes de Wallonie (AREAW).

 

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Anne Marie Derèse

La barque

La barque craque, gémit,

déchire une nappe épaisse,

elle couvre une eau trouble.

Une main verte

flotte sur les algues du marais.

Des cheveux s’étirent en fins rubans.

Dans la férocité

d’un démon des eaux,

un corps perd sa volonté de vivre.

Une autre main s’accroche

pour un dernier secours,

il murmure entre ses dents aigües,

ma désespérée

pourquoi es-tu si blanche

telle la craie longuement frottée

sur un tableau noir ?

Ma désespérée,

pourquoi ce sang blanc

et ces cheveux rouges ?

Je suis le roi du marais

avec ma peau métissée

et mes yeux profonds.

 

(Extrait de « Le marais de la douceur »)

Anne-Marie Derèse signe avec  La belle me hante son seizième livre de poèmes. Revisitant ici le monde onirique et merveilleux des contes. Le poète nous engage dans la vision d’une harmonie retrouvée avec soi et avec l’autre.

Quatre recueils aux Editions Le Coudrier, Mont-St-Guibert, Belgique, d’autres à Paris où elle est de nombreuses fois primée.

 

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Carine-Laure Desguin

dans l’entre-deux

dans l’entre-deux

la bascule du temps

pas à pas

la porte de l’antre

se referme

alors seulement

les mains ouvertes

de l’horizon

et les longueurs

de sa nuit

ça ou là

borderont de

dentelles et de mots

comme banni jour balade

une fugue anonyme

 

des cercles et des souffles

des cercles et des souffles

encore des regrets

des entraves et des feux

tout ce magma païen

racle le crépuscule

et

en lieu sûr à la place

de

la carte du ciel

un signe un seul

arrondi du coup

prédit l’heure d’après

 

 

Carine-Laure Desguin est née à Binche un soir de carnaval. Elle aime sourire aux étoiles et dire bonjour aux gens qu'elle croise. Elle a commis pas mal de choses en littérature et dans d’autres espaces aussi. Son blog : http://carineldesguin.canalblog.co

Image de Une : CHIHARU SHIOTAMe Somewhere Else, 2018. – exposition en Belgique.