Ce dossier ne concerne que les poètes de langue française. Il est peu de poètes francophones qui ont des contacts avec l’autre langue et ses représentants.
Quelques initiatives toutefois sont à signaler : la création d’un POETE NATIONAL, décerné alternativement à un Néerlandophone et à un poète francophone ; la Maison de poésie d’Amay a édité ainsi plusieurs volumes bilingues.
Les poètes choisis ci-dessous ne revendiquent nullement leur langue comme outil linguistique de défense de sa propre langue mais comme l’expression d’une création langagière et d’un univers poétique.
Les thèmes, partageables avec tous les poètes d’aujourd’hui, ceux de France, de Suisse, d’Afrique ou du Québec, traversent les jalons de l’intimité, des liens sociaux, des valeurs humaines, du péril de la nature et des changements de société.
Mustafa Kör, le nouveau Poète National de Belgique, du 23 mars 2022 à la Journée Mondiale de la Poésie 2024.
Yves Namur ainsi confie :
Je ne crois pas aux tiroirs géographiques, linguistiques ni même à cette fameuse belgitude dont on a tant parlé. Conséquence de cela, je ne sais où me situer en Belgique. Mes maîtres ont écrit en espagnol, allemand et français. Mes amitiés poétiques et mes échanges épistolaires me portent encore au Portugal, en Espagne, en Israël, etc.
La poésie (et je ne parle pas spécifiquement de la mienne) me semble inscrite au cœur du monde entier plutôt qu’enracinée dans quelques arpents de terre wallonnes.
D’autres, comme Besschops, revendiquent des influences littéraires multiples :
Mes influences en poésie sont pour la plupart à chercher du côté de la prose : Hélène Bessette ; Noémi Lefebvre ; Elfriede Jelinek ; Réjean Ducharme ; Julio Cortázar ; Louis Calaferte ; Thomas Pinchon ; B.S. Johnson ; Pierre Senges ; Curzio Malaparte ; Antoine Volodine ; Robert Pinget ; Laura Vazquez ; Claude Simon ; Philippe Roth ; Nelly Arcan et bien d’autres. Néanmoins, quelques poétesses et poètes ravivent mes ardeurs, attisent mes fulgurances : Sandra Moussempès ; Christine Mainardi ; Mathieu Bénézet ; Amelia Rosselli ; Mathieu Messagier ; Cédric Demangeot ; Guy Viarre ; Charline Lambert ; Pierre Dancot ; Christophe Bruneel.
Jean-Louis Massot relate ses premières découvertes :
Quand est venu l’envie d’écrire de la poésie, j’ai plongé dans Prévert, G.L Godeau, De Cornière, Follain, Carver, Brautigan et bien d’autres, des moins « anciens » aussi comme Lahu, Fano, Palumbo, Gellé, Josse, Emaz, Sautou, Izoard… C’est avec eux que j’ai compris que sujet, verbe, complément étaient suffisants pour écrire de la poésie. Si je devais préciser ma place dans la poésie belge ou la poésie tout court. Sans doute au fond de la classe près d’une fenêtre pour regarder la vie, le décor, le ciel, les gens et en parler le plus humblement possible »
Parlons-en de ces influences, parfois massives. Y défilent les Char, Ponge, Michaux, Prévert, Celan, Pessoa, Ungaretti, Chavée, combien d’autres.
C’est toute la poésie du XXe qui serait à citer pour ces poètes grands lecteurs de leurs contemporains.
Dans le troisième volet de ce dossier, qui paraît en ces pages sous forme de feuilleton, vous propose de découvrir la poésie de Martine Rouhart, Claude Donnay, David Besschops, Isabelle Bielecki, Timoteo Sergoï.
∗∗∗
DAVID BESSCHOPS
Mes influences en poésie sont pour la plupart à chercher du côté de la prose : Hélène Bessette ; Noémi Lefebvre ; Elfriede Jelinek ; Réjean Ducharme ; Julio Cortázar ; Louis Calaferte ; Thomas Pinchon ; B.S. Johnson ; Pierre Senges ; Curzio Malaparte ; Antoine Volodine ; Robert Pinget ; Laura Vazquez ; Claude Simon ; Philippe Roth ; Nelly Arcan et bien d’autres. Néanmoins, quelques poétesses et poètes ravivent mes ardeurs, attisent mes fulgurances : Sandra Moussempès ; Christine Mainardi ; Mathieu Bénézet ; Amelia Rosselli ; Mathieu Messagier ; Cédric Demangeot ; Guy Viarre ; Charline Lambert ; Pierre Dancot ; Christoph Bruneel…
Quant à cette écriture que l’on dit mienne, si je devais me livrer à l’exercice quasi comminatoire qui consiste à la prendre au filet d’une formule, je dirais qu’elle m’est avant tout l’acte d’arracher quelque chose à rien. Autrement dit, une lutte quasiment quotidienne contre l’insignifiance de la (ou de ma) vie.
SURSIS D’HYMENS
je me suis glissé dans le couloir de mes beaux-parents comme une lame dans son fourreau
ils m’avaient ouvert la porte oui je pénétrais le saint des saints
j’étais invité pour discuter du calibre de mon chibre et de la superficie de l’hymen à percer
une conversation entre adultes m’avaient-ils dits au téléphone
rapplique sans arme et sans peur nous t’accueillons chez nous
la compréhension est de notre côté depuis que notre fille est dans ton cœur
j’étais pas naïf mais l’incarcération pour détournement de mineure s’avérait être la face B du moment
y avait pas à zézayer
j’y suis allé la queue bien repassée mais tout de même à portée de réflexe
ému aux larmes ça n’a pas tenu longtemps
une fois franchi le seuil du séjour un poing m’explosait la bouche
les incisives plus tard dans le noir on ne les retrouverait plus
on appelle ça le trou noir dans la caboche
(celui dans la mâchoire, c’est une vue de l’esprit)
boum j’étais au sol percuté un coup de pied peut-être en sus dans les côtes flottantes je n’en sais rien
plus tard je l’assénerais à ma femme pour compenser
(c’est une autre histoire)
à ce moment-là j’étais allongé sur le tapis mon beau-père aboyant à sa femme d’aller chercher la carabine elle qui s’affaire farfouille dans leur gourbi
heureusement leur fille panique le décor était mal planté
elle saisi un téléphone
sa mère dare-dare tente de l’intercepter lui reprendre au lieu d’aller chercher la dite carabine
agrippe la prunelle de ses yeux par sa crinière rousse
et le téléphone s’envole
il chute et atteint une table en verre
la pulvérise
le fracas fait diversion
ma belle-doche lâche les cheveux de sa môme qui se précipite dehors
cavalcade à perdre haleine dans la rue
avec – détail cocasse – ses poches pleines de pièces de monnaie
essaimant du fric derrière elle
et sa mère qui tout en la poursuivant se penche pour le ramasser l’amasser se faire dans l’adversité un bas de laine
(aujourd’hui encore la tirelire qui le contient trône sur un bahut)
en désespoir de cause et revenue bredouille ma belle-mère enjoint à son mâle de me relâcher
ils me tueraient plus tard se résigneraient à faire avec moi
en attendant une vie absurde
toute à compter les jours qui précèdent le coup de fusil
j’ai deux tempes qui semblent faites pour ça
à croire que la vie m’a paré de deux voiles pour filtrer la haine
deux hymens en sursis
∗∗∗
CLAUDE DONNAY
Claude Donnay est poète – une quinzaine de recueils principalement à L’arbre à paroles et au Coudrier – romancier (4 romans chez M.E.O. dont le dernier en 2021, L’heure des olives) et éditeur de poésie (Bleu d’Encre Editions & Revue). Il vit dans la vallée de la Meuse.
1
tu retrouves la ville
cette impatience d’avenues
de ruelles où se perdent tes pas
tu voyages
dans un corps que tes mains
racontent aux arbres des boulevards
tu te disperses et te réunis
écrivant dans le blanc d’une robe
le temps qui vacille
au carrefour de la nuit
tu es l’oiseau relié
à tous les bruits du monde
par le silence assourdissant
de son chant
2
le voyage n’a pas de terme
pas de port ni de gare terminus
la traversée entre les seuils des portes
n’a pas de nom
elle te disperse au-delà de toi-même
dans les retranchements
où tu courbes l’échine
pour éviter les pierres et les cris
tu pars ou tu rentres sans aiguille ni aimant
appliqué à vivre entre les blessures
les éclaboussures les mots tachés d’ombre
et cette clarté qui te nourrit de ce peu
pendu à ta manche comme l’espérance
d’un commencement
un enfant à naître
qui aurait ton regard
quand le soleil se détache du ciel
pour s’ajouter au chemin
3
le fleuve coule en aveugle sous le ciel
qui ne le quitte pas des yeux
lui seul sait dans quel océan
se perdent tes larmes
4
debout nez collé à la vitre froide lisse
à peine embuée par l’impatience dans ta bouche
tu n’ouvres pas la fenêtre
mais la lumière du monde te prend à la gorge
sans que tu en respires le parfum
tu sais sa transparence
tu la touches du nez de la langue
tu voudrais boire le ciel
pour en garder mémoire
le jour où tes paupières tomberont
et pour étancher
cette soif qui te mord le ventre
à chaque émerveillement tu attends
que la vie transpire du verre
pour éclairer l’éphémère où tu chemines
5
tu retrouves la ville
cette impatience d’avenues
de ruelles où se perdent tes pas
tu voyages
dans un corps que tes mains
racontent aux arbres des boulevards
tu te disperses et te réunis
écrivant dans le blanc d’une robe
le temps qui vacille
au carrefour de la nuit
tu es l’oiseau relié
à tous les bruits du monde
par le silence assourdissant
de son chant
∗∗∗
ISABELLE BIELECKI
Poète, romancière et dramaturge, Isabelle Bielecki est d’origine russo-polonaise. Sa famille s’installe en Belgique en 1948. Traductrice de formation elle a travaillé dans diverses entreprises internationales. Elle a publié une trilogie romanesque basée sur son histoire, plusieurs pièces de théâtre, huit recueils de poésie et créé un nouveau genre de poésie brève le stichou, avec lequel elle organise des ateliers d’écriture. Elle est membre de plusieurs cercles littéraires.
Je cherche mes mots
Des mots douceur de pluie, des mots couleur temps immobile
Je cherche les timides, les égarés dans quelque recoin du passé
Ceux qui me voulaient du bien et n’ont jamais su le dire
Je les cherche dans les livres des autres, sautant les pages,
Me glissant entre les lignes, me perdant et me noyant
Dans cette déferlante qui m’entraîne loin de ma quête
Certains me prennent par la main, je leur résiste ou je suis
D’autres me font trébucher, mordre la poussière
Quand tous dévalent sur moi, me piétinent en hordes sauvages
Avec armures, drapeaux et fanions, lances et flèches,
Fiers de leur puissance la gloire dans le regard posé sur l’horizon
Et moi, visage contre terre, je trouve le mien, là, je crois,
Sur la courbe brisée d’un brin d’herbe qui l’écrit dans le vent
——-
Donnez-moi un mot pour partir
Entre les gouttes
J’abandonne cahier, Bic et feutre
Sur la table du matin
Ils n’ont qu’à attendre mon retour
Depuis trop longtemps ils se taisent
————-
Il est certains mots que j’aime d’amour
Comme « coquelicots », surtout en décembre
Quand ils hibernent entre les pages
Des livres pour enfant ou les encyclopédies
∗∗∗
SERGOÏ TIMOTEO
Charpentier des averses de Belgique, corps sans profession précise en partie constitué de viande pour chats, enfant de cinquante ans et demi, gâteau à la barbe de crème, Timotéo Sergoï se prend pour un médicament et tient son rire comme un drapeau dans la bataille. Partie infime de l’humanité grouillante, le voilà qui se prend pour un poète. Parfois.
Plus tard, je serai un enfant avec de grands yeux noirs.
Plus tard, quand je serai grand, je serai un enfant avec de longs doigts très fins
pour m’accrocher aux arbres
Plus tard, je serai un enfant aussi sur une branche très haut, très haut, très haut
Plus tard, quand je serai enfant, je chanterai un air à chaque fois nouveau comme ça
Lalalalalèèèèère toute la terre Lalala foutue en l’air
Et j’aurai un petit bec
Avec des ailes beaucoup trop larges pour moi
Et puis des plumes, des tas de plumes, des centaines de plumes rouges
Pour écrire sur le ciel
Plus tard, je serai un enfant qui pourra s’envoler,
atterrir sur ton doigt,
et t’attendre trois jours.
Pas plus. Après, je devrai voyager.
Tu comprends?
Printemps 2020
Il y a un grand secret aux lunettes que je porte :
Tout signifie Ravage.
Le temps grignote à nos fenêtres,
et les odeurs ne font plus qu’une.
L’amour déjà perd ses pétales
Les enfants fument pour mourir
et tous nos cendriers sont pleins.
Tout signifie Patience
Le temps chuchote à nos horloges,
et les odeurs ne font plus qu’une
La rose claire de nos doigts
se consume et fait fumée blanche
Mais tous nos cendriers sont pleins.
Tout signifie Jouissance
Le temps est horloger hilare
et les odeurs ne font plus qu’une
Tous les linceuls sont de chez Dior
Et tous nos cœurs brûleront vite
Or, tous nos cendriers sont pleins.
Juillet 20, Wasseiges
- Je suis la pluie, dit-elle et il me faut un arbre. Il me faut un toit et il me faut ton pas.
Tu comprends ?
- Je serai celui-là, répond-il. Je serai donc un arbre. Il me faut un oiseau. Il me faudra
ton chant et tes griffes sur moi.Tu comprends ?
- Je serai celui-là, oui, je serai un oiseau. Il me faut un noyau.
J’ai besoin de son goût, j’ai besoin de sa pierre. Tu comprends ?
- Je serai celui-là. Je serai un noyau. Et il me faut un fruit. J’ai besoin de la chair, la
colère et la joie, tu comprends ?
- Je serai celui-là.
∗∗∗
MARTINE ROUHART
Née à Mons, en Belgique, Martine Rouhart a mené une carrière de juriste. Elle est Vice-Présidente de l’Association des Ecrivains Belges de langue française. Elle publie des poèmes et des chroniques de lecture dans des revues littéraires. Romancière (les deux derniers romans édités chez Murmure des Soirs en 2017 et 2020), elle publie aussi de la poésie (Le Coudrier, Bleu d’Encre, …
*
Il est déjà bien tard
et je ne sais pas prier
sinon
dans mes forêts
de silence
où je compte mes pas
convoque la lumière
et les ombres
amies
*
Le poème
refuge improvisé de nos matins battus de pluie
cabane au bord de l’eau qui éloigne la tristesse
surtout
ne perds pas
la clé
en chemin
- Christine Guinard, Vous étiez un monde - 20 novembre 2024
- Mathias Lair, Quel est ce bonheur enfoui - 21 octobre 2024
- Cécile Guivarch, Si elles s’envolent - 6 septembre 2024
- Quatre revues poétiques - 7 juillet 2024
- Claudine Bohi, Un couteau dans la tête - 6 avril 2024
- Jacques Robinet, Clartés du soir - 6 mars 2024
- Georges Cathalo, Noms propres au singulier - 6 janvier 2024
- Philippe Longchamp, Dans la doublure - 21 décembre 2023
- Denis Emorine, Comme le vent dans les arbres - 6 décembre 2023
- Valérie Canat De Chizy, La langue des oiseaux - 20 octobre 2023
- Cécile Guivarch, Sa mémoire m’aime - 5 septembre 2023
- Danielle Fournier, Icis, je n’ai pas oublié le ciel - 6 juin 2023
- Denis Emorine, Foudroyer le soleil - 4 décembre 2022
- Angèle PAOLI, Marcher dans l’éphémère - 18 novembre 2022
- Amedeo Anelli, Vincent Motard-Avargues, Pierre Dhainaut - 21 octobre 2022
- Cécile OUMHANI, La ronde des nuages - 6 octobre 2022
- André Ughetto, Les Attractions inéluctables - 21 septembre 2022
- Anthologie de la poésie belge — 3 - 3 septembre 2022
- REVUE PHOENIX — NUMERO 35 - 6 juillet 2022
- Marianne van Hirtum, La vie fulgurante - 30 mai 2022
- Christophe Pineau-Thierry, Nos matins intérieurs - 20 mai 2022
- Anthologie de la poésie belge — 2 - 5 mai 2022
- Denis EMORINE, Vers l’est ou dans l’ornière du temps / Verso l’est o nel solco del tempo - 20 mars 2022
- Anthologie de la poésie belge — 1 - 6 mars 2022
- Sabine Péglion, Dans le vent de l’archipel - 28 décembre 2021
- Denis Emorine, Romance pour Olga - 21 décembre 2021
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- Denis Emorine, Mots déserts, suite russe, Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage - 6 septembre 2021
- Evelyne Deferr, Soudain sans retour - 5 juillet 2021
- REVUE PHOENIX — NUMERO 35 - 21 mai 2021
- Marie-Christine MASSET, L’oiseau rouge - 20 avril 2021
- La revue Mot à Maux - 21 février 2021
- Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage - 6 février 2021
- Rémi Checchetto, Laissez-moi seul - 21 avril 2020
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- Yves Mabin-Chenevière, Errance à l’os - 26 janvier 2018
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- PHOENIX 24, invité Titos PATRIKIOS - 2 septembre 2017
- Yves NAMUR, Les Lèvres et la soif - 21 avril 2017
- Marc DUGARDIN, Lettre en abyme - 21 mars 2017
- Etienne ORSINI, Répondre aux oiseaux - 17 février 2017
- Paolo UNIVERSO, Dans un lieu commun j’ai fini par te trouver, poésie - 25 janvier 2017
- Maurice CAREME, Sac au dos - 2 janvier 2017
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