C’est vers les années soixante-dix du siècle dernier que j’ai découvert la poésie de Paul Vincensini. Dans la revue Poésie 1 ; j’ai toujours dans ma bibliothèque le numéro présentant La Nouvelle poésie française (1969 ?), celui intitulé La nouvelle poésie comique (février 1972) et cet autre consacré à L’enfant la poésie (janvier-février 1973). Les poèmes de Paul Vincensini me firent forte impression : des textes poétiquement incorrects, d’un comique absurde qui jouaient avec l’allitération, qui réhabilitaient les choses du quotidien, qui jonglaient avec les mots, même les gros… Ensuite, je lus Qu’est-ce qu’il n’y a (1975) dans le beau volume de format presque carré des Éditions Saint-Germain-des-Prés, faussement naïf où je retrouvai quelques-uns des poèmes découverts précédemment… Puis, plus rien, si ma mémoire est bonne. Je comprends pourquoi aujourd’hui avec ce gros volume (gros pour un livre de poèmes) qui rassemble l’essentiel de ce qu’il a publié et un choix d’inédits ainsi qu’une biographie (qui m’apprend que Paul Vincensini est mort en 1985) et une bibliographie très utile puisqu’elle fait la distinction entre les ouvrages épuisés et ceux encore disponibles… Ce livre, Archiviste du vent (beau titre qui est celui d’un poème inédit de 1966 ici repris), laisse apparaître un Vincensini à la fois tendre et grave, un poète qui cherche inlassablement et donne des poèmes absurdes aux yeux du lecteur logique mais d’une absurdité qui cache mal une sensibilité exacerbée et une vive conscience du tragique de la vie.
Car si Paul Vincensini appartient bien à la catégorie des poètes de l’humour (Jean Rousselot ne parlait-il pas de son lyrisme allègre et ironique et l’on retrouve ici des poèmes comme Nid rigolo, L’hiver mes doux enfants…, Moi dans l’arbre ou Je l’aimais…), il est aussi un fin connaisseur de la poésie de son époque et un poète du tragique : l’humour est l’arme qu’il se donne pour dénoncer les outrances de l’une et tenir l’autre à distance. C’est, à la lecture d’Archiviste du vent, ce que découvriront les nouveaux lecteurs tandis que les anciens verront se confirmer leur intuition première…
Au gré des pages, on assiste à une critique de la poésie telle qu’elle s’écrivait ou telle qu’elle s’écrit à l’époque de Paul Vincensini et c’est jubilatoire. Solitude dénonce ironiquement une certaine poésie de la nature ou un romantisme de deux sous : “Ça sent surtout la merde / Dans ce joli sous-bois / Où je viens rêver”. Rien de mieux s’amuse à mimer le calligramme, LO TO FOLO parodie allègrement un certain lettrisme (il faut lire l’original et la “traduction littérale”, c’est hilarant !). Une vieille mouette se gausse des jeux typographiques de ces poètes qui n’osent pas aborder les rivages du spatialisme. Ailleurs, avec Dans la cour de la Sorbonne à l’heure de la récréation… (le titre est presque aussi long que le poème !), c’est la religion du texte et la contamination de la poésie par la linguistique qui sont brocardées sur le mode de la comptine… Etc. Chacun pourra décoder à sa façon tel ou tel poème de Vincensini qui écrit en iconoclaste !
Mais on découvre aussi un homme grave, voire hanté par le malheur, le peu que l’homme est, ainsi que par la mort. L’Ombre est bleue, une suite de brefs poèmes issue de Quand même, un recueil de 1976, donne une idée précise de cette gravité à peine relevée d’un grain de fantaisie. Ailleurs, le premier vers d’Un caillou dans la main est celui-ci : “Le malheur m’appelle par mon prénom” et le dernier : “Les marins meurent un caillou dans la main”. Ailleurs encore, il écrit “Je suis quelqu’un qui n’existe pas / Dans une ville qui n’existe plus”. Et un poème comme Ce soir résume admirablement le peu que le poète sait être même s’il trouve la force de s’en moquer (avec beaucoup de pudeur) : “Ce soir / Tu quittes ton maillot de corps / Devant la fenêtre / Un jour / Pauvre âme / C’est tout ton corps peuchaire / qu’il te faudra quitter”. Mais s’il ne s’apitoie jamais (surtout pas sur lui-même), Paul Vincensini sait faire preuve d’empathie pour les laissés pour compte : qu’on lise ces deux poèmes Un enfant veut répondre ou Tu vas voir…
Bref, on l’aura compris, c’est tout ce livre qu’il faut lire. S’il me fallait citer un poème qui résume tout Vincensini, ce serait celui-ci où se mêlent la fantaisie, la tendresse et la haine de l’hypocrisie :
J’ai vu l’aïeule
Aux cheveux d’argent
Tricoter des chaussettes
Je suis correct
Car en vérité
J’ai vu le cul de la vieille
Qui se baissait
Pour remonter ses chaussettes.
Et pour terminer, ces lignes qui me touchent : “La poésie ? Le temps passe. On a les cheveux gris, du cholestérol, de la barbe et des lunettes. On se console en disant qu’elle, au moins, elle n’a pas changé.”
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