Matthieu Gosz­to­la vient de con­sacr­er une étude à l’œuvre d’Ariane Drey­fus dans la superbe col­lec­tion Présence de la poésie lancée par les édi­tions des Van­neaux. Cette col­lec­tion, s’inspirant de la col­lec­tion Poètes d’aujourd’hui chez Seghers, fait con­naître des poètes vivants, en deman­dant à un spé­cial­iste de présen­ter l’œuvre avec un choix con­séquent de poèmes. Le tout assor­ti d’un cahi­er pho­tos central.

Après Marc Alyn présen­té par André Ughet­to, Max Alhau présen­té par Pierre Dhain­aut, Pierre Peuch­mau­rd par Lau­rent Albar­racin pour ne citer que les derniers parus, cette col­lec­tion excep­tion­nelle con­tin­ue de s’agrandir, per­me­t­tant à l’amateur et au pas­sion­né d’y voir clair dans l’aventure poé­tique de notre temps.

C’est à un tour de poésie autour d’Ariane Drey­fus que nous con­vie Matthieu Gosz­to­la. Une présen­ta­tion d’une cen­taine de pages nous prend la main pour entr­er dans la poé­tique de Drey­fus, analy­ses et cita­tions à l’appui. Gosz­to­la nous fait pénétr­er dans la tech­nique de Drey­fus, nous par­lant des con­séquences de l’enjambement, et donne ain­si à enten­dre un tra­vail pro­fond sur le rythme du poème, le rythme séman­tique du poème.

Des cita­tions d’Ariane Drey­fus nous entrainent égale­ment à com­pren­dre la dimen­sion dans laque­lle elle situe en elle le poème : « Je sens en effet que quand j’écris « je suis bien là », alors que dans la vie réelle on n’offre que des bouts de soi, selon les sit­u­a­tions, les inter­locu­teurs… Un poème peut tout pren­dre en compte de moi, même si bien sur il ne s’agit pas de tout dire à chaque fois (une œuvre ne trou­ve sa cohérence que par les incom­plé­tudes). »

Avouant ain­si son rap­port au réel par l’être vivant du poème, elle pour­suit : « Enfin, chaque poème me per­met de naître, de me remet­tre inlass­able­ment au monde. Ce qui m’arrivera – je le vis à chaque fois comme un réc­it – c’est d’en ressor­tir vivante. J’y choi­sis mon mode d’apparition, j’y recon­stru­is ma per­son­ne. »

La poésie, ce n’est pas pour rire. Et les poèmes d’Ariane Drey­fus, nous dit Gosz­to­la, sont de dénon­ci­a­tion et de com­bat, gar­dant une dis­tan­ci­a­tion face à la vio­lence et face à la tristesse. La tristesse con­tenue dans les poèmes de Drey­fus est le point de départ vers un mou­ve­ment de joie pas­sant par le poème. « Toute créa­tion est un jeu, c’est-à-dire mise à dis­tance du réel pour ne pas con­stam­ment le subir, dans une minu­tie qui peut sem­bler folle à qui n’y entre pas. » On rejoint l’affirmation de René Char : « On ne s’adonne pas à la poésie. On aban­donne tout pour elle. » Cela con­cerne naturelle­ment le poète, mais évidem­ment le lecteur.

Une autre cita­tion du poète ? « J’essaye tou­jours que les pre­miers mots d’un poème provo­quent le même effet de réac­tion tonique, de ver­tige plein d’espoir que pro­duit sur le spec­ta­teur quelqu’un qui com­mence à danser, c’est-à-dire quelqu’un qui entre­prend de véri­fi­er ses forces de vie. Et de même qu’une danse n’est pas une suc­ces­sion de pos­es, le poème n’a de sens que par le souf­fle moral qu’il nous donne, et non pas une accu­mu­la­tion de belles trou­vailles. Le tout ensuite étant de ne pas per­dre l’intensité de cet éblouisse­ment pre­mier que j’appelle espoir, de vrai­ment s’en nour­rir : ne pas noy­er les con­tours dans un flux indis­tinct, mais faire aus­si en sorte que chaque élé­ment en appelle un autre. »

Tristesse comme point de départ, souf­fle moral, bon­heur, joie, amour, présence de l’être vivant qu’est le poème, voilà ce que nous fait décou­vrir Gosz­to­la en nous par­lant d’Ariane Drey­fus. La vie regardée dans les yeux, le noir intérieur appelé pour y marcher et y débus­quer la splen­deur de l’être, la vie con­tem­plée avec les yeux du philosophe capa­ble de la met­tre à nue et de la sub­limer non pas par des sys­tèmes caducs, mais par des poèmes com­pagnons de route pour qui veut vivre plus.

 

 

L’INSECABLE

 

Un homme et pourtant
Ni ton nom ni ton visage.

Un regard comme un fruit touché.

Toute la ressemblance
Où seule­ment la pointe ?

 

D’ICI LA

J’ouvre tout.
Mais ce n’est rien auprès du vis­age qui se presse sous les mains vécues.
J’embrasse les os, les mus­cles, les nerfs.

 *

Il y a bien ce regard qu’on jette
Comme si la vie était à bouts

Les sourires sont les plus beaux.

 

 

Marylin Mon­roe

 

Chanter la gorge qui a faim,
Les épaules loin de la robe.
Tu plonges dehors
Ou tu préfères d’abord les embrasser,
Les mots ?

Tan­dis que le sourire sur le vis­age brûle en secondes,
(Le ciné­ma souf­fle l’air)
La suite en quelques cris.

Roucouler pour moins d’angles.
La mai­son n’a pas tous ses murs,
Corps on fait quoi ?

Répéter les phras­es de la chanson
Pen­dant que la peau serait tou­jours du lait.
Un sexe au bord
Sinon l’enfant pour­rait rester.

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.