1
Où le chemin commence, les pas sont magnifiques : un tapis d’aiguilles atténue
les voix. Le grand air nous invite, on marche sans un doute, aimantés de nature,
on s’enchante de tout
2
Un chemin nous rassure de ses arbres et de ses lumières, de ses cailloux clairs, de
ses joies. Un autre passe dans les bois, parmi de petits tas de pierres – il faut
enjamber le ruisseau pour longer un champ
3
A la croisée des voies, le vent nous aveugle. Comme à colin-maillard, on tourne
sur soi. On prend ce chemin-là, sans savoir où il va, s’il y aura un replat, une route
4
Celui-ci tourne à gauche, il faut passer un gué, cerné de genêts… Est-ce une
impasse ? Celui-là monte droit, puis casse d’un seul coup ; il se poursuit pourtant
en passant le pont
5
Au mitan du parcours, on a la tentation de rebrousser chemin et, en même temps,
ce serait dommage de ne pas aller voir plus loin
6
Un chemin ne dit rien. Empierré de matière, il vibre sous les pas et ne s’ouvre
qu’à lui. On revient sur ses pas. Est-ce que l’on s’est perdu ?
7
Mieux vaut continuer, reprendre le bon cours, c’est plus beau, plus intéressant en
allant de l’avant. Tout au bout du chemin, il y aura autre chose : peut-être une
aventure, peut-être une autre voie
8
Fragile douceur de vivre dans le courant des jours qui sans cesse s’enfuient.
Instants d’être en sursis, bonheur du temps de vivre. Le retour de la vie au plus
profond d’en vivre
9
A l’arrivée que reste-t-il : une attente au bord de la mer. La vie continue de
tourner. Les uns remplacent les autres et les vagues continuent sans relâche de
frapper le rivage des années
10
Toujours le même toujours, tout aussi insensé. La vie s’agite en mille couleurs,
mille folies traversées, que le vent balaie une à une, jusqu’à épuisement
11
Demain nous irons traverser d’autres folies d’autres chimères, en attendant
12
Un exil au bord de la mer agite les rideaux légers. Les carreaux-ciments sont des
pierres inanimées. Un fort se détache en lumière, enlacé d’un bougainvillée. Nous
irons jouer dans la mer au bonheur retrouvé
13
Tournent les heures de la journée. Chacune est belle d’une unité de tons et de
couleurs. On passe cette vie dans le bleu dans la joie d’exister pleinement, jusqu’à
n’être plus
14
La mer se lève le matin avec tous les noyés, les morts, les trépassés. Elle se réveille
d’un long sommeil pour les ressusciter. Certains font la planche, d’autres nagent
le dos crawlé, puis ils se sèchent au soleil avant de petit-déjeuner
15
On se promène souple et léger dans les rumeurs du jour. A peine a‑t-on le temps
de se retourner que déjà le soir arrivé
16
Etre là, sans trop savoir pourquoi, au milieu des jeux et combats, laisser passer les
jours, ronds et pleins chaque fois, vivre d’amour et d’eau salée, jusqu’au prochain
échouage
17
La mer parle la nuit, elle raconte des histoires à dormir debout, elle parle toute la
nuit. Et tous les âges de la vie se retrouvent en ces heures où le soleil luit
18
La maison sur la mer aux colonnes d’arbres imaginaires est suspendue dans le
matin éblouissant de vert. Au partage de l’horizon, le bleu ciel répond au bleu
tendre de mer
19
Le lieu est un mystère, où souffle légèrement la brise d’un passé enchanté de
lumières, de rires, d’éclats de voix profondes, passagères
20
L’ombre appelle la lumière. Leur présence est nourrie de tout un monde
intermédiaire que les souvenirs révèlent imperceptiblement
21
Le fantôme d’un sourire s’esquisse soudain, la forme émue d’un corps, la poigne
d’une main. S’y adjoignent peut-être le grain d’une voix flutée, l’éclat d’un œil
malin
22
Au gré des rafales, le temps s’accélère, les vagues se renforcent et à coup de
mistral, emportent dans l’instant ces allures éphémères
23
Saccage des émotions, les maisons sont restées debout, mais éventrés, les
souvenirs dans les nuits se sont désagrégés comme pauvres errants, l’église est
bouche d’ombre, le toit s’en est allé
24
Un matin, les gendarmes sont venus les chercher : il fallait quitter le village,
abandonner les tombes, les arbres, les vergers, il n’y aurait plus de troupeaux, à la
place : des bombes
25
Le portail de la grange à présent ne dit plus grand-chose, c’est déjà loin tout ça…
mieux vaut ne pas trop y penser… Mais les rues dévastées continuent de hurler
leur oubli jusque dans les choses, leurs cris s’égarent dans les champs, au pied des
peupliers
26
Les femmes ont pleuré leur tout petit, leur village, du fond de leur passé. Grand-
père passait du cirage sur ses souliers. L’été, les ruches bourdonnaient, l’orage
s’éloignait, revenait, sur les soirées ensoleillées
27
Ainsi nos existences, bien construites et closes, finissent-elles par s’effilocher.
Ouvertes aux quatre vents, elles ne savent plus grand-chose du passé