Le chemin fait une courbe entre deux masures abandonnées. Un peu plus loin on arrive à un ancien relais de poste dont une seule fenêtre éclairée laisse à supposer qu’il est habité. Cependant nul ne vient ouvrir au voyageur, comme si ce lieu était hanté. Au reste, la fenêtre demeure allumée durant des nuits entières, sans que personne ne puisse sur ce point-là vous renseigner. Il faudrait enfoncer la porte, ce que personne encore n’a osé faire.
Il se dit aussi qu’au haut de la colline, une chapelle a été abandonnée, une chapelle à laquelle on accède seulement par les marches de la forêt. On a creusé dans la roche la courbe de son approche et arrangé au sol la calade des escaliers, dont les pierres peu à peu ont fini par s’enterrer, se desceller, s’éparpiller. Le linteau de son porche s’est lui aussi affaissé. La voûte à moitié éventrée laisse voir les vestiges d’une abside en cul de four, sur laquelle ne reste qu’un peu de peinture bleue.
En poursuivant la route, on arrive dans une plaine, à demi-étagée, où les moutons paissent parmi quelques restanques. Le chien du berger les surveille de près, quand son maître debout s’appuie sur une canne. Lorsque le ciel s’assombrit ou que le soleil cogne, l’homme va s’asseoir sur une pierre à l’abri d’une borie, d’où il contemple la campagne isolée.
Encore après, des pins, jusqu’à perte de vue. Des pins blancs espacés, à l’odeur de résine entêtante. Ils montent vers le ciel, verts tendus vers le bleu. Vus d’un pont ils forment une mer incessante, un paysage doux aux touffeurs lumineuses. Leurs aiguilles se taisent, comme pour mieux recouvrir les drailles de renards et de sangliers.
Puis le chemin soudain commence à monter en direction d’un haut village. Ce chemin muletier passe sous le rocher, surplombe un vallon extrêmement abrupt, au fond duquel coule un ruisseau comme un fil au plus chaud de l’été : en remontant son cours, il est possible d’accéder à des sources gorgées d’eau fraiche auxquelles, empruntant les sentiers, les villageois viennent boire et leurs bêtes se reposer.
Après un virage en épingle à cheveu, envahi par le cade et le genévrier, le plateau s’ouvre davantage et devient plus hospitalier. On aperçoit le village aux volets fermés. Il y règne une étrange atmosphère, une pesanteur lourde. On y vit de l’olivier et tous les arbres aux alentours sont taillés en gobelets. Vastes les champs s’offrent alors au pas du voyageur sous l’œil du métayer.
Plus haut encore, les monts deviennent plus calcaires et les espaces désolés. Ici et là une ferme, un chêne tortueux, nés de la terre aride. En se baissant, on ramasse une mâchoire de mouton blanchie, une fleur de chardon sèche, une pierre lissée. Au col, on découvre le ciel encore plus bleu sur la ligne des crêtes, les drapés de la pierre qui tombent en plis raides et vertigineux, les hauteurs de lumière, coruscances du ciel et verticalités.