Au mitan du printemps 2013 a paru le dernier numéro de la revue de Poésie Arpa, numéro double agrémenté d’une belle couverture bleue sur laquelle est reproduite une carte du monde, peuplée du mot poésie. Le titre choisi pour ce printemps est mappemondes.
Nous entrons, dès la couverture, dans une énigme : quelle est la raison de ce pluriel appliqué au mot mappemondes alors qu’une carte uniforme représente la terre habitée de poésie ?
L’explication la plus évidente, celle se faisant jour dès que nous tournons les pages de ce numéro d’une richesse exceptionnelle, réside dans le fait que pour Arpa, il y a des mondes poétiques, et non un seul. Ce numéro 106–107 met à l’honneur des poètes du Portugal, de Chine, d’Allemagne, d’Espagne, des USA, d’Italie, du Japon, de Grande-Bretagne, du Maroc, du Cameroun, d’Irlande, du Brésil, de Suisse, du Canada, etc… Il y aurait donc des mappemondes poétiques. Mais alors, pourquoi avoir reproduit la carte de notre monde actuel, avec la répétition du mot poésie comme garant de l’unité de cette carte ?
Cette interrogation nous conduit soudain à relativiser notre interprétation de la sémantique de couverture, et à considérer l’affaire d’une toute autre façon. Il y aurait donc la poésie, mais, selon le titre, plusieurs cartes du monde. Et celle que choisit de représenter Arpa sur sa couverture est la carte de la poésie. A l’exclusion d’autres cartes, ne contenant pas le poème.
Nous pouvons donc lire cette couverture du dernier Arpa comme une discrète revendication : la carte du monde poétique vient se sur-imprimer sur la carte du monde actuel. Il y aurait donc deux cartes, deux mondes, et Arpa, silencieusement, humblement, prend acte de la partition du monde : celle opposant la poésie, qui est la vie si l’on considère, comme Baudelaire, que Poésie et Vie étaient un ; et celle ignorant la poésie, donc ignorant la vie et travaillant pour le nihilisme totalement organisé ayant pénétré toutes les couches de notre culture, de notre complexion humaine, des structures de la société, des rapports de genre, de notre appréhension de la terre, etc…
Nous ne sommes plus dans la prophétie de la catastrophe, nous ne sommes plus dans l’annonce d’un conflit mondial imminent, nous sommes aujourd’hui entrés dans la partition du monde, et cette partition divise le monde en deux : le nihilisme organisé par le Simulacre, et la Vie.
Qui n’est pas pour la vie est contre le monde. Qui n’est pas pour le Poème est contre la vie. Cette partition, perceptible dans le titre d’Arpa, n’aura de cesse de s’accentuer et d’opposer deux clans, deux groupes, deux humanités, et les violences qui ont cours aujourd’hui risquent de n’être que des chamailleries infantiles face à la violence pour la survie de la vie qui s’annonce.
Le bio s’oppose à la culture hors sol. L’homme s’oppose à la femme. L’homme s’oppose à la terre. Le culte de l’opulence à la misère. Etc…
Aussi ouvrons-nous Arpa avec la certitude d’avoir dans les mains de quoi nous faire quelques lignes d’extase, ce réservoir à énergie vitale pour qui en manquerait pour poursuivre le combat.
Pour choix ces fragments de poèmes, piochés dans cette anthologie mondiale :
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L’automne est aussi calme
Qu’un penseur
Las de penser. Cependant
Calme et poignant
Il médite encore.
L’automne est aussi clair
Qu’un agneau
Au fond de la prairie. Impuissant
Et si pur que le ciel
Sur lui se penche.
Shu Cai (Chine)
extrait de Extrême automne
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Ou bien comme le poète s’étonne
de sa propre inspiration
qui, reliant
une rive inconnue à la sienne,
lui découvrit tout un continent
Reiner Kunze (Allemagne)
extrait de Les descendants de Vasco de Gama
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Inutile que tu insistes
pour repriser tes paroles
avec des fils d’espoir.
Alicia Aza (Espagne)
extrait de Désaffection
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Dans le silence d’une nuit
maîtresse de deux lunes propres
nos paroles éclairent
un lys blanc lumineux
Alicia Aza (Espagne)
extrait de Le silence d’un lys blanc
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Tu veux savoir
le secret de la pierre,
la vision
qui bat dans ton crâne.
Jim Barnes (USA)
extrait de Ces mystères
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Que le silence était doux et terrible et que chacun se demandait
pourquoi ne sais-je pas parler pourquoi ne puis-je pas agir
qu’est-ce qui me retient que de mains
Fabio Pusterla (Italie)
extrait de Procès-verbal des choses non dites
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L’aveugle habitant le quartier
le sourd débarquant du ferry
le bossu à bord du 6h25
et aussi le banquier de mon père
les rondouillards les chétifs les chauves les hirsutes
l’étudiant le boulanger le chaudronnier le marin
et puis comme moi les bons à rien
font la queue
aux portes d’un bordel en fer forgé
dans l’Istanbul des faubourgs
Moris Farhi (Turquie)
extrait de Les affamés font la queue
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Une porte ouverte
Et d’entrée
Une galerie
Une galerie d’art
Une galerie d’art souterraine
On descend
La nuit
La chaux
Les murs
L’aube
Le plat cuisant
Nourrir
Donner à manger
A l’espoir.
Aziz Zaâmoune (Maroc)
extrait de Blancheur
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Voilà un petit aperçu de nos préférences, de la quintessence de ce qui se joue ici, par Arpa, et que revendique Recours au Poème, cette carte du monde du poème appelé par un monde en attente de poésie, comme une terre asséchée épongeant la moindre source impolluée pour continuer ses rêves porteurs d’une humanité ré axée sur la vie et non sur son envers, porteurs de chants terriens pour l’agrément des étoiles, celles du microcosme, celles du macrocosme.