Arpa, n°114, octobre 2015
Belle livraison de la revue dirigée par Gérard Bocholier.
Sous le signe du passage, une vingtaine de pages sont consacrées à Pierre Dhainaut :
À la nuit il emprunte
sa source, son souffle,
le poème limpide.
Cette limpidité qui vient à notre rencontre fait le bien autour d’elle. Autrefois on aurait parlé de bonne nouvelle, mais le poète sait sûrement que les ruses de l’égoïsme déjouent et trahissent ces mots tant dits (je pense à son recueil, L’autre nom du vent, 2014).
Dans un entretien passionnant avec Marc Fontana, Pierre Dhainaut revient sur son parcours avec une lucidité sans concession ni remords. Il parle des « forces hostiles (qui) sont innombrables, au dehors comme en nous (et) nous contraignent au saccage ». Moins moraliste que lutteur de l’intériorité il ajoute que certaines intuitions contenues dans son premier recueil, Le poème commencé, il les avait jugées naïves. Son écriture a depuis traversé la noirceur, en l’oppressant, mais celle-ci aspirait en même temps, à mon insu à cette parole qui troue l’impasse et découvre un air frais. Aussi ses réponses font-elles renaître des mots comme « ouvrir », « épanouir ». Ainsi que la grâce du « oui ». Autant de mots en « qui retentit la syllabe qui empêche le poème de se restreindre à un objet verbal ». Je ne sais si les moins de trente ans mesurent la portée de ces paroles dans l’oreille de qui a connu certaine dictature critique des années 1970.
Ce qui fait dire à notre ami Pierre Maubé dans le bref et vif essai qui suit cet entretien que la poésie de Pierre Dhainaut est souriante : « l’inquiétude se tisse à la sérénité, indissociables elle habitent tout sourire ».
Aux doigts l’écorce,
les mots du poème
vont jusqu’à l’aubier
Heureux appel à se laisser traverser par les mots, à laisser notre écorce durcie écouter le battement de l’aubier. L’aubier c’est déjà du bois, du bois jeune et gorgé de sève, du bois formé ; son fil est souple et accueillant… Une certaine célébration du cageot par un autre poète en avait d’une autre manière souligné l’importance.
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Faiblesse et force de l’homme traversent aussi le poème de Jacques Robinet :
Nous t’avons perdu
mais ta nuit fracasse la nôtre
pour découdre nos bandelettes
et nous crions en notre éveil
Comment transformer défaite
en victoire quand le moindre souffle
nous égare ?
Parmi les beaux et pertinents textes de Karim De Broucker, d’Emmanuelle Sordet, de Pierre Alix, retenons ces vers roboratifs de Cécile A. Holdban :
C’était une période où Dieu se taisait.
Quelle main rassemblera
les fragments laissés par la nuit ?
Dieu se taisait.
Un bel article d’Isabelle Raviolo parle des Éclaircies de Josette Ségura et de leur « poétique du dépouillement ». « Grappes patientes, mûries de soleil », sa poésie « invite à revenir au plus intime, et, depuis ce fond, à regarder le monde s’épanouir à la lumière des saisons ». « Le sacré », écrit-elle encore, « ne s’inscrit plus dans un au-delà ou un paradis perdu, mais dans l’instant présent ».
Les contributions critiques de Colette Minois (sur la désaffection du grand public pour la poésie), d’Yves Humann sur Réginald Gaillard, affirment à leur façon l’importance spirituelle et philosophique de l’écriture poétique d’aujourd’hui.
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Qu’à cela ne tienne
N’y aurait-il qu’une étoile
À percer notre nuit noire
Il est parfois des vers sans inouïe ni fracassante nouveauté et qui ont le don de la justesse ; qui ne donnent pas de rêve ni de réponse mais, musicalement, accordent notre temps. Alors bienvenue à Jean-François Yvernogeau dont c’est la première publication en revue.