Pour lire ce numéro, j’ai par­cou­ru deux vieux numéros datant de 2003 et 2006. La cou­ver­ture était ivoire et les let­tres ombrées Arpa étaient détachées par un trait ver­ti­cal. Cela m’intriguait. J’y ai relu des poèmes de Roger Munier, Hélène Cadou, Pierre Oster, Marc Alyn, un arti­cle de Bernard Gras­set sur Pas­cal et de Jean Pichet sur Armel Guerne. Il me sem­bla alors que la revue m’offrait un présent sans fin tant je croy­ais, en les lisant, les avoir reçus la veille.

Pour ce numéro, à la superbe mise en page, comme par le passé, j’ai com­mencé par la chronique de Gérard Bocholi­er. Elle s’appelait Tout arrive, aujourd’hui Mes préférences, mais le for­mat n’a pas changé. J’ai goûté la let­tre de Chris­t­ian Mon­celet « en grande fran­chise aux lau­da­teurs out­ranciers de la poésie ». Un régal qui met en jambe. Puis la tra­duc­tion de Marc Sag­nol d’un poème Man­del­stam, Insom­nie, suivi d’un poème de Robert Momeux des année 1970, de bel fraîcheur, ain­si que les quelques notes de Charles Juli­et qui m’ont frap­pé tant elles voisi­nent l’esprit des moral­istes du XVIIe siècle.

Ensuite j’ai repris la revue par le début. Je ne vais pas, bien sûr, citer tous les poètes que compte ce numéro, juste quelques-uns « à la volée » qui ont retenu mon atten­tion – mais qui sait si reprenant la revue, ce ne sont pas d’autres qui attireront mon regard. Je com­mence d’abord et bien sûr par les tra­duc­tions de David Qi de quelques poètes de la péri­ode Tang car cette poésie m’a tou­jours attiré ; les notes de 2024 de Jacques Robi­net m’ont touché par leur sim­plic­ité, comme par exem­ple l’hommage qu’il rend à quelques poètes habités de la Parole : « Occa­sion inat­ten­due de leur ren­dre grâce en cette mat­inée tran­quille ». Il est décédé deux mois après avoir écrit cette phrase. Un para­graphe du texte de Godo a sus­pendu ma lecture. 

Revue Arpa, numéro 145–146, Lire & Ecrire, 2024.

 

Il com­mence par « Pren­dre dans la même phrase la petite route de Max Jacob, les tréteaux d’une province, la chan­son des rues et les stances de l’éternel jeune homme, la clarté cristalline du vers de Racine, les grandes orgues de l’image, le ver­set biblique. » Puis je me suis retrou­vé avec Man­ley Hop­kins, à ma grande sur­prise tant je n’imaginais pas le crois­er dans cette revue – au pas­sage, c’est l’occasion de rap­pel­er qu’une revue relève de l’art flo­ral, tant il s’agit d’ajuster les poètes et poèmes entre eux, pour sur­pren­dre par­fois et con­forter l’œil et l’écoute d’autres fois. Les cinq poèmes de Lemaire qui suiv­ent m’ont red­it com­bi­en ce poète compte pour ma vie intérieure. J’ai salué Jean-Marie Cor­busier, dont on a dit des poèmes aux Esti­vales de Lods en 2023. Plus loin le texte de Sour­dil­lon sur le livre m’a per­mis de saluer Michaux. Suit une poète que j’ai décou­verte, Béa­trice Mar­chal : « Sur la votre du métro au-dessus du pont / de Bir-Hakeim, s’incruste / Soudain, dans le cadrage de la Tour Eifel, / Le reflet de la Seine qui s’écoule ». Avec Jean-Pierre Vidal, j’ai goûté le rap­proche­ment de maître Eck­hart et Dhô­tel. Éton­nante tonal­ité (inactuelle) du poème de Gré­go­ry Rateau ; de même que les trois textes en prose d’Henri Rodi­er (juste avant j’ai salué Janine Mod­linger que je n’ai pas recrois­er depuis son recueil Éblouisse­ments). Je lis et relis Reve­nance de Marie Alloy, de très belle fac­ture Quelques pages plus loin, j’ai aimé lire dans un même élan Pfis­ter et Bocholi­er. Nou­velle décou­verte (impor­tante) : la poésie de Lucio Pico­lo traduit par Marc Fontana : « les rêveuses, loin­taines ombres qui sont / der­rière tes paroles cette nuit ». Le temps de pren­dre un café et déjà je lis et relis François Grav­e­line et son Robin­son. Je lui adresse un signe d’amicale com­plic­ité. Autre décou­verte : Jérôme Teissier, avec ses har­moniques ver­laini­ennes. Arrive Charles-Olivi­er Stik­er-Métral et, avec lui, quelques sou­venirs ami­caux que nous avons en com­mun. Je l’écoute me dire : « Faisons d’un jour / une vie entière ». Je le salue et le quitte pour me ren­dre au Népal avec Hen­ri Per­ri­er Gustin – très belle sur­prise. Plus loin, le poème en prose Les rues désertes de Por­firio Mamani Mace­do m’étonne par la douceur de sa plainte tan­dis qu’il déam­bule dans les rues et jardins de Paris. Le poème suiv­ant, je rage (de plaisir) devant la mon­tée des cinq mille march­es de Kat­man­dou avec Arnaud Riv­ière-Kéraval – comme si je four­nis­sais moi-même l’effort ! Depuis le som­maire, le guet­tai l’arrivée de Ben­jamin Guérin car je n’ai tou­jours pas son dernier recueil, Quand nous étions des loups, et je m’impatiente. Le voici enfin qui sur­git sur la page. Con­clu­sion de ma lec­ture : com­man­dez sans atten­dre son recueil auprès de votre libraire ; sans atten­dre sinon les loups vous dévoreront, car « ils ont mur­muré / les prosodies secrètes des poèmes à mys­tère. ». Suit après cette échap­pée un poème de Clélie Lecuelle, avec, par exem­ple, ce sim­ple vers : « Il y a le feu dans les cheveux de mon enfant ». Le texte de Robert Bly sur la phrase poé­tique de Whit­man me fut une déli­cieuse liqueur, lais­sant en bouche un arôme franc, clair et fin.  Le poème de Bly qui suit est une trou­vaille. Voilà, ce dernier numéro est presque entière­ment lu, du coup, je ralen­tis pour m’attarder sur les gravures repro­duites de Lionel Barard et chine quelques idées de recueils dans les notes de lec­ture. Vive­ment le prochain numéro.

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Pierrick de Chermont

Pier­rick de Cher­mont est poète et dra­maturge. Il a pub­lié de nom­breux recueils de poésie, chez Club des Poètes, la Librairie-Galerie Racine et les Edi­tions de Cor­levour, ain­si qu’une pièce de théâtre chez Eclats d’en­cre. Il organ­ise tous les ans les “Présences à Fron­te­nay”, réc­i­tal de poésie et de musique con­tem­po­raine. Enfin, il est mem­bre du comité de la revue Nunc. Pho­to Yves Faivre