En 2005 Attila Jozsef avait été désigné selon l’Unesco, comme poète de l’année mondiale. A cette occasion, les Editions Phébus lui avait consacré un très beau livre (intitulé : Aimez-moi) réunissant la totalité de son œuvre complété d’articles.
Aujourd’hui, ce sont les éditions Le Temps des cerises qui le mettent à l’honneur par un choix de poèmes réunissant les thèmes majeurs abordés par Attila Jozsef, la misère, l’amour, le désespoir.
La préface de Francis Combes rappelle la biographie de ce poète hongrois du Xxe siècle, sans doute l’un des plus importants d’Europe, né dans une famille très pauvre, élevé par une famille d’adoption à la campagne et qui publie son premier recueil : Mendiant de la beauté, à l’âge de 17 ans, ce titre repris ici pour le choix de poèmes représentatif de l’ensemble de son œuvre.
Proche de Villon, il fréquenta à Paris Tzara, Seuphor et subira l’influence de l’expressionnisme allemand et de la poésie française.
Son œuvre reproduit à la fois sa vie et celle de son pays, la Hongrie, une période sombre de son histoire entre pauvreté, première guerre mondiale et menace du fascisme.
Engagé aux côtés des communistes, sa poésie s’en ressent, mais malgré de nombreux désaccords, il restera marxiste et révolutionnaire jusqu’au bout de sa courte vie.
Poète engagé, novateur, poète de la nature et de l’amour, il écrit :
« La raison essentielle, pour laquelle on a besoin du poète c’est sans doute qu’il est capable de trouver une forme à des réalités contradictoires ».
Poète de la misère, celle qu’il a connue, mais aussi celle de tous les hommes, exaltant le désespoir de vivre et l’amour de la vie, c’est dans les interstices de sa poésie du désespoir que s’intercalent les odes à l’amour et à la vie, comme une tentative désespérée de croire encore et malgré tout, en Dieu, en l’homme, en un possible bonheur.
C’est une poésie lyrique et musicale, au rythme doux et sensuel, mais une poésie de la solitude pour ce mal aimé de la vie :
« Mon mal ne s’aggrave passionnées
C’est en mon âme qu’il se tient
et pour toujours je vivrai
idiot et abandonné ».
Francis Combes a traduit quelques poèmes autour du thème de la misère ouvrière et paysanne, montrant les hommes réduits à des « machoires qui mastiquent, mangent, mangent, mangent, parlent et mangent », soumis à la rigueur du capitalisme, mais aussi du froid de l’hiver, souvent fatigué, de cette fatigue lasse, de vivre toujours sous le joug. La fatigue c’est aussi celle du paysan qui rentre chez lui, qu’il regarde, le poète et qu’il imagine, malgré son propre « fardeau des soucis » :
« étendus côte à côte, le fleuve et moi
sous mon cœur s’endort l’herbe tendre »
L’innoncence de l’enfance, celle de la fillette de huit ans, ou de l’enfant au berceau, contre la puissance ne peut rien si l’enfant est pauvre. Révolte de l’homme, du poète qui a connu la faim, s’identifie et trouve, lui, sa consolation dans les mots.
« Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde »
Les hommes qui volent ou se volent pour calmer leur faim, il les entend, les comprend :
« moi j’entends tout et je me tais.
La vermine qui geint dans les os des mendiants
Les femmes qui flairent
Mais moi qui viens de très loin,
Je m’assois sur mon seuil accueillant
Et je me tais
C’est un beau soir d’été. »
Dans le poème qui porte son nom, il interpelle le monde, l’impuissance de chacun
« Nos âmes vraies, il faut en prendre
soin comme d’habits du dimanche, afin qu’elles soient prêtes
pour les jours de fête »
C’est aussi une poésie exaltée et confiante où la nature partout présente adoucit sa présence au monde. Il la célèbre autant qu’il peut comme dans ce poème intitulé : Berceuse
« Tantôt bercé par les roseaux
tantôt par le clapotis
le serein baiser
du lac bleuté »
Se sentant souvent rejeté, la nature sera la grande consolatrice :
« pour un instant seulement ils m’ont exclu
Gronde camarade forêt ! J’ai l’impression
que je craque
A peine pour un instant, exclu ! »
C’est une poésie tourmentée, plus intériorisée, une écriture intimiste, tournée vers l’amour, qu’a traduit Cécile A. Holdban, dans le second volet de poèmes. On y entend de nombreux appels à l’aide, implorant l’amour de l’aimée, secours qu’il a recherché aussi dans la psychanalyse :
« Sauvez-moi des abîmes
prends cette volupté, plonge le filet
de tes yeux au fond de moi »
Ce sont aussi de nombreuses déclarations sous forme de poèmes-blasons, à l’adresse de l’aimée :
« Tes grands yeux profonds rayonnent, sombres/vers moi… »
ou encore dans celui intitulé justement « Poème d’amour » :
« Je prendrai la lumière de tes beaux yeux si grands »…
Parfois se mêlent nature et amour qui donnent une tonalité mélancolique et romantique au lyrisme des mots. Quand la femme et la nature s’accordent à le rendre plus beau pour parler « la langue des baisers », il écrit :
« Le crépuscule brun des vestiges de l’automne
soupire doucement sur un duvet de neige »
Invoquant sa mère, c’est encore l’amour bien sûr pour cette mère pauvre qui a travaillé dur toute sa vie, qui le laissa orphelin à douze ans, mais aussi la misère et la mort qu’il convoque, jetant la glace au milieu de cet océan d’amour, délivrant son désespoir le plus profond, son impuissance et le nôtre : « Qu’attendons-nous ? »
Invoquant Dieu ou le Christ, remuant ciel et terre, pour garder l’amour, malgré tout il écrit : « donne-nous du blé mais ne nous ôte pas la rose »
Enfin la dernière section de poèmes présentés par Georges Kassai, rassemble des poèmes de jeunesse, déjà très prometteurs et annonçant le grand poète qu’il sera, ils sont déjà imprégnés de mort, de ténèbres et de désespoir.
Comme dans ce poème prémonitoire :
« Un homme ivre est couché sur les rails
Au loin se propage le lent grondement de la terre », écrit en 1922, alors que quinze ans plus tard, à l’âge de trente-deux ans, le poète se donnera la mort en se jetant sous un train.
Ecrits entre 1921 et 1925 (le poète a alors entre 16 et 20 ans), ils rappellent, comme dans ce titre d’un des poèmes : « l’éternel dépérissement » ‚que :
« Rien sur cette terre n’est éternel
La chenille tombe, l’oiseau aussi,
Et le siècle ne proteste pas. »
Rejeté parfois par ses camarade du parti qui ne comprennent pas toujours sa poésie, démuni et pauvre, portant le manque d’amour jusque dans ses désillusions amoureuses, confronté à la solitude et à la folie qui le pousseront au suicide, il demeurera le poète de la lucidité, défenseur des causes perdues et justes, de la condition ouvrière, de la beauté et de l’amour.
Ma mère est morte…
Ma mère est morte, à présent je ne sais plus
comment me comporter avec elle,
Elle rapiécerait mon manteau, me regarderait
nu et me trouverait beau,
Personne encore ne m’a jamais vu nu !
Les paysans ont terminé la moisson, assis sur de
petits bancs, ils attendent la mort –
Les punaises rongent nos rêves, nos assiettes
vides ne servent qu’à décorer les murs,
Donnez-moi rien qu’un peu de beurre sur mon
pain.
Mais si nous voulons un meilleur repas, c’est
pour devenir meilleurs,
Nous voulons plus de souliers au pied du lit
pour être plus nombreux :
Lentement, le pont émerge de la brume, sur la
rive d’en face, les baïonnettes attendent –
Ici sont les ciseaux, là-bas l’étoffe reste à tisser –
Qu’attendons-nous ?
Avril 1926 (traduction Cécile A. Holdban)
Attila József est né en 1905, à Ferencváros, un quartier pauvre de Budapest. Fils d’Áron József, ouvrier dans l’industrie savonnière, et d’une paysanne Borbála Pőcze. Il est mort le 3 décembre 1937 à l’âge de 32 ans, à Balatonszárszó, en se jetant sous un train.
Autres traductions françaises de son œuvre :
-Le Miroir de l’autre, trad. Gábor Kardos, bilingue, collection Orphée, La Différence, 1997.
-Aimez-moi, L’Œuvre poétique, sous la direction de G. Kassai et J.-P. Sicre, Phébus, 2005
-À cœur pur, Poésie rock, livre-cd, trad. de Kristina Rady / CD : voix de Denis Lavant et Zsolt Nagy sur des musiques de Serge Teyssot-Gay, Le Seuil, 2008
-Ni père ni mère, trad. Guillaume Métayer, Sillage, 2010
- Deux heures avec Edgar Hilsenrath - 3 mars 2019
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