Au fil des mots : Rencontre avec Catherine Pont-Humbert

Par |2025-03-06T06:50:11+01:00 6 mars 2025|Catégories : Catherine Pont-Humbert, Rencontres|

Cather­ine Pont-Hum­bert est une voix sin­gulière dans le paysage poé­tique con­tem­po­rain, dont la sen­si­bil­ité et l’engagement se révè­lent à tra­vers une écri­t­ure à la fois raf­finée et auda­cieuse. Fig­ure incon­tourn­able pour ceux qui, comme nous, cherchent à redé­cou­vrir le pou­voir des mots, elle a su con­juguer tra­di­tion et moder­nité, explo­rant avec finesse les méan­dres de l’âme humaine et les reflets de notre monde en per­pétuelle muta­tion. Elle est égale­ment une fig­ure essen­tielle dans la trans­mis­sion de la poésie, qu’il s’agisse d’émissions radio­phoniques ou d’animation de débats dont les invités, décou­verts ou mis en lumière par son pro­fes­sion­nal­isme, ne se comptent plus.

Dans cette Ren­con­tre, nous aurons le priv­ilège d’aborder avec elle les sources de son inspi­ra­tion, son chem­ine­ment artis­tique et les ques­tions essen­tielles qui tra­versent sa pra­tique poé­tique. Pas­sion­née par la capac­ité du lan­gage à tran­scen­der le quo­ti­di­en, Cather­ine Pont-Hum­bert nous invite à repenser notre rap­port à la poésie, à explor­er ses dimen­sions sen­si­bles et à célébr­er la beauté des mots dans leur plus sim­ple expres­sion. Elle évo­quera par­ti­c­ulière­ment son dernier recueil, Quand les mots ne tien­nent qu’à un fil, épopée poé­tique,  prix Venus Khoury Gha­ta 2025.

Chère Cather­ine, tout d’abord, pourquoi, com­ment, la poésie ?
Depuis tou­jours je dirais. Je crois que mon désir de poésie remonte à ce moment décisif où l’apprentissage du lan­gage m’a per­mis de com­pren­dre que les mots fai­saient exis­ter les choses en les désig­nant. Or j’ai sou­vent ressen­ti un décalage entre le mot que l’on me pro­po­sait pour désign­er une réal­ité et la façon dont je perce­vais cette réal­ité. J’aurais volon­tiers choisi d’autres mots si l’on m’en avait lais­sé la pos­si­bil­ité. J’en aurais volon­tiers inven­té d’autres. Je pre­sen­tais qu’une autre his­toire, avec d’autres mots, pou­vait s’écrire et qu’il m’appartiendrait un jour de le faire.
De ce pre­mier élan est sans doute née la poésie. Et puis la poésie c’est aus­si une manière d’être dans le monde, c’est un rap­port avec la beauté, qui aigu­ise une sorte de vig­i­lance et d’attention aux choses.
La poésie c’est d’abord cette ardeur ressen­tie très tôt dans l’enfance qui ne m’a jamais quit­tée, un élan pour réduire la dis­tance avec le monde, les êtres, les émo­tions, m’approcher au plus près des choses, ten­ter de touch­er le mys­tère. Les mots mys­tère et secret revi­en­nent d’ailleurs sou­vent dans mes textes. C’est l’insaisissable qui m’anime.
La poésie je crois, c’est se posi­tion­ner dans le mystère.
Tu as per­mis de faire décou­vrir la voix essen­tielle d’Edouard Glis­sant, et de nom­breux autres poètes. Peux-tu évo­quer com­ment tout ceci est arrivé ?
A l’époque où je tra­vail­lais à France Cul­ture (pen­dant plus de vingt ans) j’ai eu de nom­breux dia­logues avec des poètes. Avec des romanciers aus­si, et des pein­tres également.
Edouard Glis­sant, en effet, chez qui poé­tique et poli­tique sont adossées l’une à l’autre. Son œuvre s’est dévelop­pée au car­refour de la pen­sée et de la poésie, dans un mou­ve­ment d’émancipation poé­tique et poli­tique (au sens large du terme) d’une grande puis­sance que j’ai très vite recon­nu et voulu con­tribuer à faire enten­dre au plus grand nombre.

#64secondes c’est le bonus de #64minutes avec Cather­ine Pont-Hum­bert, TV5 Monde.

Mais aus­si Andrée Ché­did, elle pour qui le mot fra­ter­nité était un mot de passe, elle chez qui la réc­on­cil­i­a­tion entre les con­traires dom­i­nait tou­jours, elle m’est vite apparue comme une poète du cœur et du corps. Cette dimen­sion « incar­née » de la poésie étant une des car­ac­téris­tiques de ce que j’écris.
Je crois que cette époque de la radio a tout sim­ple­ment nour­ri et enrichi un ter­reau sur lequel a poussé ma poésie.
En plus des ren­con­tres avec des écrivains qui m’ont mar­quée (il faudrait ici ajouter le nom d’Henry Bauchau au nom­bre de ces ren­con­tres mar­quantes), il y a eu les voy­ages nom­breux qui ont entretenu la néces­sité de l’écriture. Partout où je suis allée j’ai gardé l’écriture avec moi (Les lits du monde). Le monde m’a appelée. Je me suis frot­tée aux dif­férences, et notam­ment aux diver­sités des langues, expéri­ence fon­da­men­tale pour moi.
Dans quelles con­di­tions as-tu écrit ton dernier livre, Quand les mots ne tien­nent qu’à un fil — Épopée poé­tique ?
Dans la réclu­sion absolue, con­di­tion indis­pens­able pour me per­me­t­tre de ter­min­er un livre. Je dois pou­voir me détach­er de tout ce qui con­stitue mes repères habituels pour achev­er un livre.
Au-delà de cette réponse factuelle, je crois que ce livre là, je le porte depuis des années. Il s’est nour­ri de toutes les expéri­ences que les langues et les mots ont pu m’offrir, de toutes les « ini­ti­a­tions » qu’ils m’ont apportées.
Il y a chez moi une sorte d’obstination à vouloir creuser, à for­er sans cesse le lan­gage, à chercher ce qu’il y a dessous que ce livre restitue bien.
L’interrogation sur les mots, sur le lan­gage tra­verse de bout en bout Quand les mots ne tien­nent qu’à un fil.

Pourquoi une épopée ? 
Parce qu’il s’agit d’un voy­age dans les mots, avec les mots, qui prend en charge aus­si bien le temps que l’espace.
Le poème rejoint l’absence de temps déter­miné et d’espace con­tenu. Il tra­verse le temps, le fait explos­er, et enjambe les lieux clos pour ouvrir des éten­dues infinies.
Je tire un fil sur lequel les mots vien­nent s’arrimer pour entrain­er dans leur sil­lage. Il y a un foi­son­nement de l’épopée qui me plait, et une vital­ité aus­si qui ren­voie aus­si bien à l’enfance qu’à l’ailleurs.
En quoi Quand les mots ne tien­nent qu’à un fil con­stitue un tour­nant dans ton œuvre ?
Mais je crois que cha­cun des livres que je pub­lie con­stitue un tour­nant !… parce que cha­cun représente une aven­ture. Pour répon­dre plus pré­cisé­ment, d’un point de vue formel, c’est la pre­mière fois que j’écris un livre de prose poé­tique. Conçu en sept chapitres avec un pro­logue et un épi­logue, Quand les mots ne tien­nent qu’à un fil déploie un réc­it qui le rap­proche de formes lit­téraires hybrides, là où prose et poésie se ren­con­trent, se bous­cu­lent, se relient.
Pra­ti­quer le mélange des gen­res, décloi­son­ner les esthé­tiques est impor­tant. Je me rends disponible à cha­cune des formes.

Cather­ine Pont-Hum­bert, Quand les mots ne tien­nent qu’à un fil, épopée poé­tique, édi­tions La Teêt à l’En­vers, 2025.

Et main­tenant, une autre étape sur ce chemin incon­tourn­able qu’est l’écriture ?
Oui, deux pro­jets très dif­férents, un livre de poésie ver­si­fié d’une part, et un réc­it con­sacré à un pein­tre de l’autre. Un livre qui essaie de se con­fron­ter à une ques­tion : com­ment met­tre des mots sur une œuvre pic­turale, la pein­ture est muette ou plutôt elle est une parole qui se tait. Alors j’essaie de touch­er le silence, ce silence qui donne accès à l’invisible… Mais ces deux pro­jets sont encore trop embry­on­naires pour que je puisse en par­ler vraiment.

Présentation de l’auteur

Catherine Pont-Humbert

Cather­ine Pont-Hum­bert est écrivaine, poète, jour­nal­iste lit­téraire, lec­trice et con­cep­trice de lec­tures musicales.

Pro­duc­trice à France Cul­ture de 1990 à 2010, elle y a réal­isé de très nom­breux grands entre­tiens (« A voix nue ») et doc­u­men­taires. Depuis, elle pro­gramme et ani­me des ren­con­tres lit­téraires à l’occasion de fes­ti­vals de lit­téra­ture en France et dans des pays francophones.

Elle est tit­u­laire d’un doc­tor­at de let­tres mod­ernes por­tant sur la lit­téra­ture du Québec qui lui a valu une bouse de recherche du Con­seil des Arts du Cana­da. Elle a vécu à Montréal.

Elle est par ailleurs mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Apulée (dirigée par Hubert Had­dad) depuis sa créa­tion, mem­bre de l’équipe du Fes­ti­val de poésie de Sète, et mem­bre du comité de direc­tion du PEN Club français.

Bibliographie 

Elle est l’auteur d’essais, de réc­its, et de livres de poésie. Elle a notam­ment pub­lié Car­nets de Mon­tréal, édi­tions du Pas­sage, 2016, La Scène (réc­it), édi­tions Unic­ité, 2019, Légère est la vie par­fois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), édi­tions la rumeur libre, 2021, Chemins (livre d’artiste avec des encres de Jean-Luc Guina­mant), édi­tions Tran­signum 2022, Noir print­emps (poésie), édi­tions la rumeur libre, 2023, Quand les mots ne tien­nent qu’à un fil. Une épopée poé­tique (prose poé­tique), édi­tions La tête à l’envers, 2025 (prix Vénus Khoury-Gha­­ta, pre­mière sélec­tion du prix Mallarmé).

Sa poésie est parue en revues (Apulée, Les cahiers du sens, Siir­d­en, Ver­so, Con­cer­to pour marées et silence, Recours au poème), dans des antholo­gies (« Feu » édi­tions Hen­ry, « Du corps du poète au corps poé­tique » jeudidesmots.com, « Europoe­sia », « l’Athanor des poètes », « Voix vives de Méditer­ranée » …). Elle est régulière­ment invitée dans des fes­ti­vals de poésie en France et à l’étranger.

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.

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