Au fil des mots : Rencontre avec Catherine Pont-Humbert

Catherine Pont-Humbert est une voix singulière dans le paysage poétique contemporain, dont la sensibilité et l’engagement se révèlent à travers une écriture à la fois raffinée et audacieuse. Figure incontournable pour ceux qui, comme nous, cherchent à redécouvrir le pouvoir des mots, elle a su conjuguer tradition et modernité, explorant avec finesse les méandres de l’âme humaine et les reflets de notre monde en perpétuelle mutation. Elle est également une figure essentielle dans la transmission de la poésie, qu’il s’agisse d’émissions radiophoniques ou d’animation de débats dont les invités, découverts ou mis en lumière par son professionnalisme, ne se comptent plus.

Dans cette Rencontre, nous aurons le privilège d’aborder avec elle les sources de son inspiration, son cheminement artistique et les questions essentielles qui traversent sa pratique poétique. Passionnée par la capacité du langage à transcender le quotidien, Catherine Pont-Humbert nous invite à repenser notre rapport à la poésie, à explorer ses dimensions sensibles et à célébrer la beauté des mots dans leur plus simple expression. Elle évoquera particulièrement son dernier recueil, Quand les mots ne tiennent qu'à un fil, épopée poétique,  prix Venus Khoury Ghata 2025.

Chère Catherine, tout d'abord, pourquoi, comment, la poésie ?
Depuis toujours je dirais. Je crois que mon désir de poésie remonte à ce moment décisif où l’apprentissage du langage m’a permis de comprendre que les mots faisaient exister les choses en les désignant. Or j’ai souvent ressenti un décalage entre le mot que l’on me proposait pour désigner une réalité et la façon dont je percevais cette réalité. J’aurais volontiers choisi d’autres mots si l’on m’en avait laissé la possibilité. J’en aurais volontiers inventé d’autres. Je presentais qu’une autre histoire, avec d’autres mots, pouvait s’écrire et qu’il m’appartiendrait un jour de le faire.
De ce premier élan est sans doute née la poésie. Et puis la poésie c’est aussi une manière d’être dans le monde, c’est un rapport avec la beauté, qui aiguise une sorte de vigilance et d’attention aux choses.
La poésie c’est d’abord cette ardeur ressentie très tôt dans l’enfance qui ne m’a jamais quittée, un élan pour réduire la distance avec le monde, les êtres, les émotions, m’approcher au plus près des choses, tenter de toucher le mystère. Les mots mystère et secret reviennent d’ailleurs souvent dans mes textes. C’est l’insaisissable qui m’anime.
La poésie je crois, c’est se positionner dans le mystère.
Tu as permis de faire découvrir la voix essentielle d’Edouard Glissant, et de nombreux autres poètes. Peux-tu évoquer comment tout ceci est arrivé ?
A l’époque où je travaillais à France Culture (pendant plus de vingt ans) j’ai eu de nombreux dialogues avec des poètes. Avec des romanciers aussi, et des peintres également.
Edouard Glissant, en effet, chez qui poétique et politique sont adossées l’une à l’autre. Son œuvre s’est développée au carrefour de la pensée et de la poésie, dans un mouvement d’émancipation poétique et politique (au sens large du terme) d’une grande puissance que j’ai très vite reconnu et voulu contribuer à faire entendre au plus grand nombre.

#64secondes c'est le bonus de #64minutes avec Catherine Pont-Humbert, TV5 Monde.

Mais aussi Andrée Chédid, elle pour qui le mot fraternité était un mot de passe, elle chez qui la réconciliation entre les contraires dominait toujours, elle m’est vite apparue comme une poète du cœur et du corps. Cette dimension « incarnée » de la poésie étant une des caractéristiques de ce que j’écris.
Je crois que cette époque de la radio a tout simplement nourri et enrichi un terreau sur lequel a poussé ma poésie.
En plus des rencontres avec des écrivains qui m’ont marquée (il faudrait ici ajouter le nom d’Henry Bauchau au nombre de ces rencontres marquantes), il y a eu les voyages nombreux qui ont entretenu la nécessité de l’écriture. Partout où je suis allée j’ai gardé l’écriture avec moi (Les lits du monde). Le monde m’a appelée. Je me suis frottée aux différences, et notamment aux diversités des langues, expérience fondamentale pour moi.
Dans quelles conditions as-tu écrit ton dernier livre, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil - Épopée poétique ?
Dans la réclusion absolue, condition indispensable pour me permettre de terminer un livre. Je dois pouvoir me détacher de tout ce qui constitue mes repères habituels pour achever un livre.
Au-delà de cette réponse factuelle, je crois que ce livre là, je le porte depuis des années. Il s’est nourri de toutes les expériences que les langues et les mots ont pu m’offrir, de toutes les « initiations » qu’ils m’ont apportées.
Il y a chez moi une sorte d’obstination à vouloir creuser, à forer sans cesse le langage, à chercher ce qu’il y a dessous que ce livre restitue bien.
L’interrogation sur les mots, sur le langage traverse de bout en bout Quand les mots ne tiennent qu’à un fil.

Pourquoi une épopée ?
Parce qu’il s’agit d’un voyage dans les mots, avec les mots, qui prend en charge aussi bien le temps que l’espace.
Le poème rejoint l’absence de temps déterminé et d’espace contenu. Il traverse le temps, le fait exploser, et enjambe les lieux clos pour ouvrir des étendues infinies.
Je tire un fil sur lequel les mots viennent s’arrimer pour entrainer dans leur sillage. Il y a un foisonnement de l’épopée qui me plait, et une vitalité aussi qui renvoie aussi bien à l’enfance qu’à l’ailleurs.
En quoi Quand les mots ne tiennent qu’à un fil constitue un tournant dans ton œuvre ?
Mais je crois que chacun des livres que je publie constitue un tournant !... parce que chacun représente une aventure. Pour répondre plus précisément, d’un point de vue formel, c’est la première fois que j’écris un livre de prose poétique. Conçu en sept chapitres avec un prologue et un épilogue, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil déploie un récit qui le rapproche de formes littéraires hybrides, là où prose et poésie se rencontrent, se bousculent, se relient.
Pratiquer le mélange des genres, décloisonner les esthétiques est important. Je me rends disponible à chacune des formes.

Catherine Pont-Humbert, Quand les mots ne tiennent qu'à un fil, épopée poétique, éditions La Teêt à l'Envers, 2025.

Et maintenant, une autre étape sur ce chemin incontournable qu’est l’écriture ?
Oui, deux projets très différents, un livre de poésie versifié d’une part, et un récit consacré à un peintre de l’autre. Un livre qui essaie de se confronter à une question : comment mettre des mots sur une œuvre picturale, la peinture est muette ou plutôt elle est une parole qui se tait. Alors j’essaie de toucher le silence, ce silence qui donne accès à l’invisible… Mais ces deux projets sont encore trop embryonnaires pour que je puisse en parler vraiment.

Présentation de l’auteur

Catherine Pont-Humbert

Catherine Pont-Humbert est écrivaine, poète, journaliste littéraire, lectrice et conceptrice de lectures musicales.

Productrice à France Culture de 1990 à 2010, elle y a réalisé de très nombreux grands entretiens (« A voix nue ») et documentaires. Depuis, elle programme et anime des rencontres littéraires à l’occasion de festivals de littérature en France et dans des pays francophones.

Elle est titulaire d’un doctorat de lettres modernes portant sur la littérature du Québec qui lui a valu une bouse de recherche du Conseil des Arts du Canada. Elle a vécu à Montréal.

Elle est par ailleurs membre du comité de rédaction de la revue Apulée (dirigée par Hubert Haddad) depuis sa création, membre de l’équipe du Festival de poésie de Sète, et membre du comité de direction du PEN Club français.

Bibliographie 

Elle est l’auteur d’essais, de récits, et de livres de poésie. Elle a notamment publié Carnets de Montréal, éditions du Passage, 2016, La Scène (récit), éditions Unicité, 2019, Légère est la vie parfois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), éditions la rumeur libre, 2021, Chemins (livre d’artiste avec des encres de Jean-Luc Guinamant), éditions Transignum 2022, Noir printemps (poésie), éditions la rumeur libre, 2023, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil. Une épopée poétique (prose poétique), éditions La tête à l’envers, 2025 (prix Vénus Khoury-Ghata, première sélection du prix Mallarmé).

Sa poésie est parue en revues (Apulée, Les cahiers du sens, Siirden, Verso, Concerto pour marées et silence, Recours au poème), dans des anthologies (« Feu » éditions Henry, « Du corps du poète au corps poétique » jeudidesmots.com, « Europoesia », « l’Athanor des poètes », « Voix vives de Méditerranée » …). Elle est régulièrement invitée dans des festivals de poésie en France et à l’étranger.

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