Christine Girard, Ruines
« ardoises brisées cassées fracturées, » ; jamais un titre n’a aussi bien évoqué le contenu du recueil… Lecture achevée, il s’agit d’un immeuble tombé en ruines. D’ailleurs, il faut attendre la page 39 pour apprendre que ce travail fut exposé à Albi en 2012 (sans doute sous forme de photographies ???).
Et c’est parti pour une quarantaine de pages descriptives qui ne disent pas que ces ruines sont consécutives à un incendie : les murs couverts de suie et l’odeur du feu sont parmi les indices. Maison d’habitation, hôtel, théâtre (mais n’est-ce pas le mot théâtre qui m’amène à penser que ?)… rien de certain ; nul ne sait avec certitude, surtout pas le lecteur !
Christine Girard procède par redites, par répétitions : l’oiseau aux longues ailes, dédales d’eaux, miroirs livides, murs couverts de suie, crissement de câbles, balançoire, plumes ou duvet, grue métallique (sans que l’on sache avec certitude qu’il s’agit d’un jouet ou d’un outil réel) ; jamais les ruines ne sont parues aussi obsédantes ! Le long travail du temps vient compléter l’accident ou la folie des hommes : « ça se fissure, se fendille, l’informe gagne défigure les lignes, l’amnésie creuse les sillons, ruine les formes » (pp 32–33). Christine Girard rappelle au lecteur que les ruines vivent : « … les cailloux parlent prennent figure deviennent tête, une simple forme l’expression d’une pierre noire … » (p 10). Ce qui contribue aux visions, aux hallucinations…
Christine Girard, Ruines, Editions Faï fioc,
48 pages, 8 euros. En librairie ou sur commande :
15 Rue Haute. 54200 Boucq. (Sur catalogue,
commande en ligne : prévoir le port).
Dans le verbe « s’égarer » (qui termine cette plaquette), il y a comme le résumé de ce qui précède, c’est-à-dire l’impossibilité de distinguer la différence entre une description de ruines et une description d’un vrai paysage, bien vivant.
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Louis Dubost, Diogène ou la tête entre les genoux
Manger, c’est philosopher… Non pas parce que Louis Dubost fut professeur de philosophie dans le civil… Mais parce qu’il l’est aussi ! J’en trouve les raisons dans les comparaisons avec l’œuvre de Botero (p 20) ! Parce que l’art est un domaine éminemment philosophique : rendre visible ce qui s’énonce par des idées… Ou à cause de l’arrosoir voltairien.
Ou tout simplement et j’aime, cet art de ce qu’il faut bien désigner comme un abécédaire, à savoir (p 9) : cette attaque qui prend modèle sur le Banquet de Platon. Mais ce livre est aussi l’occasion de portraits du grand-père qui valent leur pesant de cacahuètes. Tout comme de recettes pas piquées des hannetons car le jardinier est aussi amateur de bonne chère mais aussi de sagesse : ainsi dans Carotte on trouve cette citation que j’extrais : « Désormais, je récolterai chaque année la graine de mes carottes ouzbèkes pour retrouver autour de la table ces merveilles de notre histoire commune et cultiver un peu plus d’humanité, tout simplement » (p 29). De façon générale, Louis Dubost désigne par je ce qu’il faut se résigner à appeler l’auteur.
Tout le reste est dans la même tonalité, humoristique et distanciée. Ainsi, page 30 à l’article « Cerise », merles et autres choucas bouffent les cerises : « Cependant le merle a eu sa part, et pas la plus mince ».
Louis Dubost, Diogène ou la tête entre les genoux,
La Mèche lente éditeur, 118 pages, 16 euros. En librairie.
Si le philosophe Jean-Paul Sartre fait voisiner chou-fleur avec mousse et pourriture dans L’Existentialisme est un humanisme, Louis Dubost ajoute : « Peut-être le philosophe (…) garde-t-il un souvenir désagréable de la cantine de la Rue d’Ulm » (p 33). Au texte « Chenille », Louis Dubost est coquin : « Les chenilles du chou ne supportent pas la foulée d’une jeune femme nue au temps de ses règles » (p 31), mais il attribue la citation à un philosophe démocritéen ! Tout y passe ; la mécréance du jardinier (p 37), les fantasmes (p 38), même la phrase finale de l’épilogue que je ne résiste pas au plaisir de citer : « Dans la journée, le jardinier prendra en mains l’outil adapté aux réponses possibles » (p 113) ce qui est un signe de sagesse.
Les termes métaphysique, existentialiste, philosophe ; l’expression impératif catégorique indiquent la philosophie. Mais Louis Dubost ne se borne pas à cela : il se réfère aux politiciens (et aux politiciennes), Ségolène Royal et Jean-Marc Ayrault, ça date un peu les textes ! Seul le latin d’opérette (de botanique ou d’entomologie) fait encore sourire : les deux Pyrrhocoris apterus soudés l’un à l’autre font rigoler l’auteur (p 57) : Louis Dubost ne manque pas d’humour ! Ce qui n’empêche pas les grandes questions du style « Les limaces ont-elles une âme ? » (p 67). Et je ne dirai rien des comparaisons avec des chanteurs, des poètes ou des cinéastes (p 81). J’aime cette citation : « La pauvreté partage des richesses que les riches ignorent » (p 90).
Cet abécédaire est placé sous le signe de l’humour. Qui est Diogène qui donne son titre au livre , c’est un philosophe de la Grèce antique, l’un des élèves les plus célèbres de l’école cynique d’Antisthène. Nous passerons allègrement sur le cynisme de Diogène ; disons simplement que Louis Dubost retient le côté provocateur de Diogène de dénonciation des conventions sociales. C’est pourquoi le jardinier ne peut trouver le bonheur que dans l’accord profond avec la nature, revue et corrigée par le jardin…
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Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé
Recueil-Bilan : je me prends à songer que ce ne soit pas le dernier (cela n’est pas le dernier, car quand on est tombé dans la poésie, c’est pour la vie).
Et cela commence par une brève pièce de vers où la vie est comparée à un fruit : « comme si je voulais / que ma vie / soit un fruit / tout entier entré / dans son noyau » (p 7). Mais ce vers « jusqu’à à ton consentement à mourir » (p 14), m’amène à penser que c’est peut-être le dernier ! Ce qui serait dommage car Jean-François Mathé sait écrire les variations du temps qui passe…
Me viennent à l’esprit ces mots de Marie-Hélène Prouteau : « Il s’agit d’apprendre à vivre légèrement appuyé à la mort » puis « Le sentiment de la perte inéluctable qui nous attend est présent mais tenu à distance » (in TERRES de FEMMES, à propos du précédent recueil de Jean-François Mathé, Prendre et Perdre). Tout est dit ; tout est en cette mise à distance qui traverse ces vers ou ces proses qui composent le recueil. J’oubliais : « J’avance dans les mots / comme dans les herbes qui s’écartent » (p 20) puis « ces mots qui voudraient crier » (p 22), je les prononcerai…
Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé,
Le Silence qui roule éditions, 48 pages, 12 euros.
Sur commande (Editions le Silence qui roule ;
26 Rue du chat qui dort. 45190 BEAUGENCY).
Si les verbes descriptifs abondent, ceux qui traduisent les relations avec la femme aimée sont nombreux ; mais, les verbes qui traduisent la vision ou ceux qui traduisent l’acceptation sont plus rares. Ceci n’enlève rien à l’aspect bilan du recueil… Je suis particulièrement sensible à la beauté de ce tercet (p 16) : « Tu dors ? C’est un mensonge : / ton sommeil n’est qu’un fard / sur de la mort posé » ; il dit bien, à mots couverts, ce qu’il entend proclamer…
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