Jacques Vandenschrick, Livrés aux géographes
Le gabarit classique des livres de Vandenschrick – quarante poèmes, tous dédiés à S. – est ici, une fois de plus respecté (au chouia près), avec un liminaire en 3 phases et 38 poèmes numérotés.
L’univers thématique du poète que l’on suit depuis ses débuts (1986, Vers l’élégie obscure) ressemble au domaine de la montagne, entre bergerie et hameaux désolés, où le poète nomme les fuyards, que sont nos morts ou d’autres visiteurs de lieux de brume, où l’on progresse comme au sein d’une âme et de sa mémoire.
Jacques Vandenschrick, Livrés aux géographes, Cheyne, 2018, 64p., 17€.
Rompant depuis peu avec les poèmes versifiés, le voici s’exerçant au poème en prose, avec un sens aussi fluide :
C’est pour toi que déjà, les mots appellent la neige… Ils ne savent pas non plus les réponses. Mais ils comprennent mieux les questions. (p. 50)
Un poème de Vandenschrick se reconnaît à ses métaphores où entrent, incongrus, insolites, tellement justes, des termes que l’on ne verrait pas « normalement » associés : « supplique des cordes » ou « il peine en ses provinces », ou encore « le couchant des cédilles incompréhensibles ». Le lyrisme contenu, quasi corseté par une sobriété des moyens, isole sûrement notre créateur poète, en marge d’une poésie d’aujourd’hui largement signifiante ou répétitive ou au pire précieuse. Rien de tout cela chez Jacques Vandenschrick, météore isolé dans son originalité (composition, univers, style). Cet onzième opus (tout est publié chez Cheyne) tisse une géographie, lentement et sûrement déclinée, sensuelle et mélancolique, toute de « chagrin » enfin assoupi, qui laisse venir au poème « une fille aux seins miraculeux (qui) berce un peu d’enfance… » (p.34)
Oui, son « chant délabre le cœur au bord des pierriers ».
Oui, « les mots t’aideront quand il faudra quitter l’été perdu sans remède ».
Quitter, abandonner : toujours une souffrance (qu’un R.E.M. musical énonce en son « Leaving New York »), toujours une démarche vers soi, rompant le temps ou le fléchissant en ses parages poétiques.
Notre plus grand poète belge vivant (n’en déplaise à des noms plus souvent cités) installe durablement un talent unique.
François Migeot, Des voix à travers les feuilles
Ecouter Debussy et noter, au fil des musiques, des saisons traversées, et en écho aux très belles aquarelles de Bern Wery, griffures de sens et de couleurs, l’étrange « lumière » du « temps qui se penche/ à même le monde ». L’espace recèle « la nuit (qui) ouvre lentement ses portes/ on avance dans la crue/ dans le grain d’une foule ».
Les vers relaient par leurs formes les mouvements des partitions, orchestrées par paliers, petites escales ou escaliers par lesquels se déroule le poème.
L’écoute impose de « fermer les paupières », de se laisser envahir par le calme et le rien : ces « flocons », ces « ombres », des « silhouettes » qui surgissent dans la trame des mots.
Anne Rothschild, Nous avons tant voyagé
« La mitraille des oiseaux » de Jacques Vandenschrick sert d’épigraphe au beau livre de poèmes d’Anne Rothschild, Nous avons tant voyagé.
François Migeot, Des voix à travers les feuilles, Editions de l’Atelier du Grand Tétras, 2018, 88p., 18€.
Les douleurs du siècle, des temps qui ont précédé, sous la plume de la poète, acérée, d’une économie de moyens remarquable, brassent en une épopée les « enfants fracassés », les mémoires endolories d’une Grenade blessée, la folie « (qui) cognait aux murs », l’exil, tant de « cheminements » chez l’homme, entre « mémoire des siècles » et « annonciation sans résurrection ».
Anne Rothschild, Nous avons tant voyagé, Taillis Pré, 2018, 104p., 13€.
Parfois, dans l’imparfait qui préserve des nuages, le passé, encore, sert à colorier certains rêves d’enfance. Un air de « santons » préservés ou de « gouttes de rosée », recueillies humblement, allume quelque espoir au milieu des « mots qui pèsent ». Quoique… le risque veille ou le danger, et parfois la « tramontane lâchait ses chiens et leurs abois ».
Que l’épigraphe choisie provienne d’un recueil de Vandenschrick est assez logique au fond : on retrouve les mêmes parages, la même sollicitation du « temps disloqué » ou du « lointain des choses ». Poètes d’une même génération, de la même année de guerre, chèvres selon les signes chinois, aptes à cerner la mélancolique texture du monde (citons Alain Cavalier, Blanchot… ).
De l’héritage tranché
que léguerons-nous à nos enfants
outre la rose des questions
et la soif d’un horizon ouvert aux quatre vents ? (p.81)
- Christophe Pineau-Thierry, Sentier débutant - 21 décembre 2024
- Francis GONNET, Sous la pierre des nuits - 9 décembre 2024
- Christine Guinard, Vous étiez un monde - 20 novembre 2024
- Mathias Lair, Quel est ce bonheur enfoui - 21 octobre 2024
- Cécile Guivarch, Si elles s’envolent - 6 septembre 2024
- Quatre revues poétiques - 7 juillet 2024
- Claudine Bohi, Un couteau dans la tête - 6 avril 2024
- Jacques Robinet, Clartés du soir - 6 mars 2024
- Georges Cathalo, Noms propres au singulier - 6 janvier 2024
- Philippe Longchamp, Dans la doublure - 21 décembre 2023
- Denis Emorine, Comme le vent dans les arbres - 6 décembre 2023
- Valérie Canat De Chizy, La langue des oiseaux - 20 octobre 2023
- Cécile Guivarch, Sa mémoire m’aime - 5 septembre 2023
- Danielle Fournier, Icis, je n’ai pas oublié le ciel - 6 juin 2023
- Denis Emorine, Foudroyer le soleil - 4 décembre 2022
- Angèle PAOLI, Marcher dans l’éphémère - 18 novembre 2022
- Amedeo Anelli, Vincent Motard-Avargues, Pierre Dhainaut - 21 octobre 2022
- Cécile OUMHANI, La ronde des nuages - 6 octobre 2022
- André Ughetto, Les Attractions inéluctables - 21 septembre 2022
- Anthologie de la poésie belge — 3 - 3 septembre 2022
- REVUE PHOENIX — NUMERO 35 - 6 juillet 2022
- Marianne van Hirtum, La vie fulgurante - 30 mai 2022
- Christophe Pineau-Thierry, Nos matins intérieurs - 20 mai 2022
- Anthologie de la poésie belge — 2 - 5 mai 2022
- Denis EMORINE, Vers l’est ou dans l’ornière du temps / Verso l’est o nel solco del tempo - 20 mars 2022
- Anthologie de la poésie belge — 1 - 6 mars 2022
- Sabine Péglion, Dans le vent de l’archipel - 28 décembre 2021
- Denis Emorine, Romance pour Olga - 21 décembre 2021
- Albertine BENEDETTO, Sous le signe des oiseaux - 19 octobre 2021
- Denis Emorine, Mots déserts, suite russe, Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage - 6 septembre 2021
- Evelyne Deferr, Soudain sans retour - 5 juillet 2021
- REVUE PHOENIX — NUMERO 35 - 21 mai 2021
- Marie-Christine MASSET, L’oiseau rouge - 20 avril 2021
- La revue Mot à Maux - 21 février 2021
- Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage - 6 février 2021
- Rémi Checchetto, Laissez-moi seul - 21 avril 2020
- Michel VOLKOVITCH, Poètes grecs du 21e siècle - 6 novembre 2019
- Anne-Lise Blanchard, épitomé du mort et du vif - 14 octobre 2019
- Michel Baglin, Un présent qui s’absente, Entre les lignes - 6 septembre 2019
- Autour de Jacques Vandenschrick, François Migeot, Anne Rothschild - 29 mars 2019
- Marc DUGARDIN, Notes sur le chantier de vivre - 6 avril 2018
- Yves Mabin Chennevière, Errance à l’os - 1 mars 2018
- Yves Mabin-Chenevière, Errance à l’os - 26 janvier 2018
- Véronique Wautier, Continuo - 26 janvier 2018
- PHOENIX 24, invité Titos PATRIKIOS - 2 septembre 2017
- Yves NAMUR, Les Lèvres et la soif - 21 avril 2017
- Marc DUGARDIN, Lettre en abyme - 21 mars 2017
- Etienne ORSINI, Répondre aux oiseaux - 17 février 2017
- Paolo UNIVERSO, Dans un lieu commun j’ai fini par te trouver, poésie - 25 janvier 2017
- Maurice CAREME, Sac au dos - 2 janvier 2017
- Quatre revues poétiques - 21 décembre 2016
- Trois poètes du divin – Bobin – Lemaire – Bocholier - 21 décembre 2016
- Christophe DAUPHIN, Un fanal pour le vivant - 30 novembre 2016
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- Fil de lecture de Philippe Leuckx : autour de Graveline, Zweig et Pasolini - 3 novembre 2015
- Guy ALLIX : “Le sang le soir” - 26 octobre 2015
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- François Bordes, Le logis des passants de peu de biens précédé de L’âge obscur - 14 juin 2015
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- Revue ARPA, n°110–111 - 1 février 2015
- Laurent Cennamo, Pierres que la mer a consumées - 8 octobre 2014
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