( Avant-)dernier cri de Patrick Argenté

Par |2019-10-15T19:55:14+02:00 15 octobre 2019|Catégories : Patrick Argenté|

La coll. POESIE XXI de chez Jacques André édi­teur se veut sobre, les textes y sont « nus, sous l’éclairage sans con­ces­sion d’une typogra­phie elle-même dépourvue d’artifices. Seule la chaleur du papi­er, ivoiré et bouf­fant, va per­me­t­tre aux mots de repos­er sur une sur­face douce, pro­fonde et bien­veil­lante. » L’éditeur nous prévient, rien ne sera de trop dans cette col­lec­tion et, dès l’abord, on entre si l’on peut dire, « au cœur d’une voix ». C’est, avec Patrick Argen­té, un enfant dés­abusé qui par­le. La poésie ne sauvera pas le monde, ni même « son » monde

Patrick Argen­té, Dernier cri, Jacques André édi­teur, 2018.

sauvera pas
son homme 

 

elle s’apparente plutôt au

 

roy­aume de poudre de 
per­limp­in­pin dans les pages 
du missel

Ou mi-poivre pour jeu 
de mots baroque facile
éternuement 

 

Il s’agit de jouer

 

encore un 
peu mourras 
plus tard 

 

Mourir n’est rien, par­ler c’est jouer à la vie, à la mort et s’ouvrir au poème serait s’éveiller au sommeil :‘

 

j’entends tout tu vois quand 
je dors 

 

Bien plus, il s’agit de « con­ter des riens », d’aimer les clo­portes, d’être attentif

 

à la présence ténue 
têtue de la lampe 

 

cette lou­pi­ote de la con­science incon­sciente qui s’éteint si je me réveille :

 

je me lève la lampe 
est ensommeillée 

 

Il m’est arrivé, en lisant, de penser au pre­mier St-John Perse, celui d’Eloges :

 

Main­tenant lais­sez-moi, je vais seul.
Je sor­ti­rai, car j’ai affaire : un insecte m’attend pour traiter 

 

Sauf qu’ici, peu sont pris à témoin, que le poète n’a affaire qu’avec lui-même et que l’humour (noir) affleure en permanence :

 

si les morts qui sont bien cuits
revenaient 

 

Le poète n’emploie pas de grands mots mais des petits, il ne peut pas grand-chose au monde si ce n’est rester présent, à tra­vers la présence, la pré­ci­sion des mots.

 

on ne pos­sède rien

 

En revanche,

 

on 
voudrait coller son nez à la 
cloi­son chaude du monde 

 

Et on abor­de à « Dernier cri », le deux­ième ensem­ble du recueil, par­tie don­nant son titre au tout. Pas facile de par­ler de Calais, de la Jun­gle, des réfugiés venus de Syrie, du monde entier pour s’entasser là. Un regard poète n’est pas de trop pour don­ner corps à ces « ombres » qui sont aus­si des vies et des his­toires, qui sont d’autres « nous ».

 

si n’avions plus 
que maisons de cen­dres l’âme est légère 
de peu de poids peu de matière (…) 
seri­ons alignés dans les ruelles morts déjà (…) 

je garde dans mes paumes l’odeur irréconciliable
de ces hommes transis 

 

Le poète, témoin de peu de poids mais con­science aiguë du monde, depuis sa fenêtre, chante avec peu de mots. En les éli­dant, il s’élide. Ce deux­ième ensem­ble déteint, si l’on peut dire, sur le troisième, « D’où vient le bleu » dont le titre sem­ble promet­tre plus de sérénité et de beau temps mais qui évoque aus­si la noirceur du monde. Ce troisième ensem­ble est han­té par ce thème de l’homme à sa fenêtre, son

 

appétit de voir 
féroce 

 

homme qui, néan­moins, ne voit rien. Cette médi­ta­tion sur la fenêtre est très inspirée, très belle, très ample, ouvrant l’âme vers le dedans du dehors ou le dehors du dedans, la « fenêtre » évo­quant Baude­laire tout aus­si bien que les écrans con­tem­po­rains, quels qu’ils soient. Sauf qu’une fenêtre peut rester fer­mée ou bien s’ouvrir. Être à la fenêtre, c’est

 

aimer cette 
appar­te­nance au 
courant d’air. 

nous ne tenons à rien qui soit 
plus solides que nuages si 
ce n’est notre goût 

 ens­ablé de la terre et 
notre entête­ment à 
ne pas nous dissoudre 

 

Le poète est donc cet homme à sa fenêtre qui regarde depuis cette fron­tière entre dehors et dedans le monde comme il va, comme il ne va pas. Lieu ni d’espoir ni d’angoisse, et pourtant :

 

je n’attends rien je suis à ma fenêtre 

peut-être que nous n’aurons plus jamais de quoi ouvrir notre sim­ple com­pas­sion ni nos volets 

 

mais « la vie n’attend rien de moi » (…)

 

En somme, voici une poésie belle et sans illu­sion, sans trop d’amertume non plus, sur « le rôle du poète ». Une con­science mod­este et lucide, un cri se faisant le sim­ple écho du grand cri du monde.

 

 

Présentation de l’auteur

Patrick Argenté

Après des études de Let­tres à Rennes, Patrick Argen­té pour­suit une car­rière d’en­seignant pen­dant quelques années. Puis il exerce plusieurs pro­fess­sions dans le tra­vail social et la for­ma­tion pour adultes. Aujour­d’hui il con­sacre la majeure par­tie de son temps à l’écriture.

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

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Alain Nouvel

1998, pre­mier recueil de poèmes : Trois noms her­maph­ro­dites, puis deux nou­velles : Octave Lamiel, dépuceleur suivi de Edouard et Alfred au val de l’eau. En 1999, suiv­ent His­toires d’ISLES, Con­tre-Voix, Mots ani­més recueil d’aphorismes, et, en 2000, Maux ani­maux, recueil de six nou­velles, aux édi­tions « L’Instant per­pétuel ». En 2001, pub­li­ca­tion aux édi­tions « La Chimère » créées pour l’occasion de D’Etrangère, puis Dames des trois douleurs en 2004, Vari­a­tions sur une femme don­née, et reprise en 2005, Con­tre-voies en 2008 et Nou­velles d’Eurasie en 2009. En 2014, il com­pose avec sa com­pagne des chan­sons qu’ils inter­prè­tent tous deux. Maud Leroy des « Édi­tions des Lisières », pub­lie Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest, un recueil de sept nou­velles sur les Baron­nies provençales où il vit désor­mais. Une suite à ces sept nou­velles voit ensuite le jour avec pour titre Anton. Sur les bor­ds de l’Empire du milieu (texte sur la Chine où A. Nou­v­el a vécu qua­tre ans, de 1981 à 1985, longtemps resté inédit mais dont cer­tains extraits étaient parus dans la revue « Corps écrit », numéro 25, de mars 1988 : Vues de Chine), paraît pour la fête du Print­emps 2021. Les deux ouvrages aux édi­tions « La Chimère ». Il col­la­bore régulière­ment, désor­mais, à la revue « Recours au poème ». En 2020, les édi­tions « La Cen­tau­rée » à Rennes, ont pub­lié un pre­mier recueil : Pas de rampe à la nuit ? suivi, en 2021 de Comme un chant d’oubliée.

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