La coll. POESIE XXI de chez Jacques André éditeur se veut sobre, les textes y sont « nus, sous l’éclairage sans concession d’une typographie elle-même dépourvue d’artifices. Seule la chaleur du papier, ivoiré et bouffant, va permettre aux mots de reposer sur une surface douce, profonde et bienveillante. » L’éditeur nous prévient, rien ne sera de trop dans cette collection et, dès l’abord, on entre si l’on peut dire, « au cœur d’une voix ». C’est, avec Patrick Argenté, un enfant désabusé qui parle. La poésie ne sauvera pas le monde, ni même « son » monde
Patrick Argenté, Dernier cri, Jacques André éditeur, 2018.
sauvera pas
son homme
elle s’apparente plutôt au
royaume de poudre de
perlimpinpin dans les pages
du misselOu mi-poivre pour jeu
de mots baroque facile
éternuement
Il s’agit de jouer
encore un
peu mourras
plus tard
Mourir n’est rien, parler c’est jouer à la vie, à la mort et s’ouvrir au poème serait s’éveiller au sommeil :‘
j’entends tout tu vois quand
je dors
Bien plus, il s’agit de « conter des riens », d’aimer les cloportes, d’être attentif
à la présence ténue
têtue de la lampe
cette loupiote de la conscience inconsciente qui s’éteint si je me réveille :
je me lève la lampe
est ensommeillée
Il m’est arrivé, en lisant, de penser au premier St-John Perse, celui d’Eloges :
Maintenant laissez-moi, je vais seul.
Je sortirai, car j’ai affaire : un insecte m’attend pour traiter
Sauf qu’ici, peu sont pris à témoin, que le poète n’a affaire qu’avec lui-même et que l’humour (noir) affleure en permanence :
si les morts qui sont bien cuits
revenaient
Le poète n’emploie pas de grands mots mais des petits, il ne peut pas grand-chose au monde si ce n’est rester présent, à travers la présence, la précision des mots.
on ne possède rien
En revanche,
on
voudrait coller son nez à la
cloison chaude du monde
Et on aborde à « Dernier cri », le deuxième ensemble du recueil, partie donnant son titre au tout. Pas facile de parler de Calais, de la Jungle, des réfugiés venus de Syrie, du monde entier pour s’entasser là. Un regard poète n’est pas de trop pour donner corps à ces « ombres » qui sont aussi des vies et des histoires, qui sont d’autres « nous ».
si n’avions plus
que maisons de cendres l’âme est légère
de peu de poids peu de matière (…)
serions alignés dans les ruelles morts déjà (…)je garde dans mes paumes l’odeur irréconciliable
de ces hommes transis
Le poète, témoin de peu de poids mais conscience aiguë du monde, depuis sa fenêtre, chante avec peu de mots. En les élidant, il s’élide. Ce deuxième ensemble déteint, si l’on peut dire, sur le troisième, « D’où vient le bleu » dont le titre semble promettre plus de sérénité et de beau temps mais qui évoque aussi la noirceur du monde. Ce troisième ensemble est hanté par ce thème de l’homme à sa fenêtre, son
appétit de voir
féroce
homme qui, néanmoins, ne voit rien. Cette méditation sur la fenêtre est très inspirée, très belle, très ample, ouvrant l’âme vers le dedans du dehors ou le dehors du dedans, la « fenêtre » évoquant Baudelaire tout aussi bien que les écrans contemporains, quels qu’ils soient. Sauf qu’une fenêtre peut rester fermée ou bien s’ouvrir. Être à la fenêtre, c’est
aimer cette
appartenance au
courant d’air.nous ne tenons à rien qui soit
plus solides que nuages si
ce n’est notre goûtensablé de la terre et
notre entêtement à
ne pas nous dissoudre
Le poète est donc cet homme à sa fenêtre qui regarde depuis cette frontière entre dehors et dedans le monde comme il va, comme il ne va pas. Lieu ni d’espoir ni d’angoisse, et pourtant :
je n’attends rien je suis à ma fenêtre
peut-être que nous n’aurons plus jamais de quoi ouvrir notre simple compassion ni nos volets
mais « la vie n’attend rien de moi » (…)
En somme, voici une poésie belle et sans illusion, sans trop d’amertume non plus, sur « le rôle du poète ». Une conscience modeste et lucide, un cri se faisant le simple écho du grand cri du monde.
Présentation de l’auteur
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- Revue Mot à Maux Numéro 19 - 2 juillet 2022
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- Marc Nagels, Sauvages - 5 avril 2022
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- Revue Mot à Maux Numéro 19 - 1 mars 2022
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- Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde - 19 octobre 2021
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- Gérard Bocholier, J’appelle depuis l’enfance - 6 décembre 2020
- Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond , Chambre avec vues précédé de Arguments pour un graveur (mythographies) - 26 novembre 2020
- Lambert Schlechter, Je n’irai plus jamais à Feodossia, Proseries, Le murmure du monde / 9 - 6 juin 2020
- ( Avant-)dernier cri de Patrick Argenté - 15 octobre 2019