Bon­jour Claire BARRÉ. Vous venez de faire paraître un livre, inti­t­ulé Phrères, aux édi­tions Robert Laf­font, avec pour fig­ure cen­trale un poète mécon­nu du siè­cle dernier, Roger Gilbert-Lecomte. Pourquoi ce choix ?

Bon­jour et mer­ci de m’offrir cet espace de parole pour évo­quer Roger Gilbert-Lecomte, un poète essen­tiel à mes yeux. Je l’ai « ren­con­tré » quand j’étais encore ado­les­cente, dans un Mag­a­zine Lit­téraire sur les Pas­sions fatales. Et c’est une véri­ta­ble pas­sion qui s’est allumée en moi, à la lec­ture de ces pre­miers vers que je décou­vrais alors, de ce vis­age, aus­si, qui sem­blait me dévis­ager avec insis­tance. Comme si je le recon­nais­sais instan­ta­né­ment. Qu’il m’appelait en me dis­ant : « Réveille-toi. » Une pas­sion, oui. Mais plus éveilleuse que fatale.

À l’époque, au tout début des années 90, il était le grand absent de l’histoire lit­téraire. Impos­si­ble, ou presque, de retrou­ver sa trace. Un poète bâil­lon­né, en quelque sorte. Exclu.

Mais ma pas­sion était en marche, dévo­rante. Il me fal­lait tout décou­vrir de lui. Inter­net n’existait pas. La quête commençait.

C’est dans la librairie Gal­li­mard, boule­vard Ras­pail, que je retrou­vai – enfin – sa trace : le tome 2 de ses œuvres com­plètes : ses poèmes. Je pus acheter égale­ment le livre de Roland Dumas, « Plaidoy­er pour Roger Gilbert-Lecomte », un livre expli­quant le com­bat que Pierre Minet, fidèle par­mi les fidèles, mena, aux côtés de l’avocat, pour pou­voir pub­li­er cer­taines œuvres de Lecomte, gardées sous clé par une héri­tière abu­sive, qui jugeait ce poète trop amoral à son – petit – goût. Et c’est dans les rayons de cette librairie que je pus me pro­cur­er mon pre­mier livre de René Dau­mal, son sub­lime recueil, « Le Contre-Ciel ».

Prof­i­tons de l’arrivée de Dau­mal pour répon­dre un peu plus pré­cisé­ment à votre ques­tion. Pour être tout à fait franche, je ne pense pas que Lecomte soit l’unique fig­ure cen­trale de « Phrères ». Si le titre est au pluriel, c’est que j’ai voulu, dans ce roman, évo­quer l’amitié fon­da­trice et fon­da­men­tale de Roger Gilbert-Lecomte et René Dau­mal. Les Phrères incandescents.

J’en dis­cu­tai, il y a peu, avec Jean-Philippe de Tonnac, qui a écrit un mer­veilleux livre sur Dau­mal, « René Dau­mal, l’archange », et nous avons con­staté que, le plus sou­vent, les ado­ra­teurs des Phrères sim­plistes, se divisent en deux grandes colonnes qui parais­sent irré­c­on­cil­i­ables : il y a les fer­vents défenseurs de Roger Gilbert-Lecomte — poète sans doute plus sul­fureux et trag­ique — qui voient le départ de Dau­mal vers d’autres sphères comme une trahi­son suprême, et puis, il y a les dau­maliens, qui con­sid­èrent par­fois les pre­miers écrits de Dau­mal et son ami­tié avec Lecomte comme des sortes d’erreurs de jeunesse, d’aveuglements qui seront suiv­is par un éveil véritable.

J’ai voulu, dans ce roman, revenir aux racines, aux orig­ines. Si ces deux poètes parais­sent, peut-être, à pre­mière vue, fon­cière­ment dif­férents, Dau­mal étant sans doute un poète « blanc » et Lecomte un poète « noir », il me sem­ble que c’est leur ren­con­tre qui les a forgés, qui a ense­mencé la terre fer­tile, qui leur a per­mis de devenir ceux qu’ils allaient être, qui leur a per­mis de naître à eux-mêmes. Les sépar­er, les dis­soci­er, me sem­ble absurde. Certes, leurs chemins ont fini par s’éloigner, mais ils restent, à mes yeux, les brins d’un même ADN. Les deux faces d’un même miroir. Ou plutôt : les deux facettes d’un même dimanat. Et ne voir les choses qu’en blanc et noir me sem­ble une injus­tice faite à la poésie qui fait resplendir, entre ces deux extrêmes, toutes les nuances de l’Arc-en-Ciel.

Pour en revenir à ma quête, je trou­ve admirable, juste­ment, que lorsqu’on décou­vre Lecomte, on ne peut pas ne pas ren­con­tr­er Dau­mal, et inverse­ment. Ils sont liés. Et, à tra­vers eux, on fait rapi­de­ment la con­nais­sance de leurs autres phrères : Roger Vail­land, bien sûr, La Stryge, Pierre Minet, mais aus­si tous les mem­bres de leur revue lit­téraire Le Grand Jeu, qui compte des écrivains, des poètes, des pein­tres, des pho­tographes, des dessi­na­teurs. Dans leurs écrits se trou­vent égale­ment les poètes, penseurs et artistes qu’ils admi­raient. Ils nous don­nent envie de nous plonger dans une recherche effrénée. For­ment une sorte de spi­rale à plusieurs entrées et ouvrent des portes, nous entraî­nent dans un tourbillon.

C’est cette force du groupe, aus­si, cette union sacrée, cette sorte d’opéra fab­uleux à plusieurs voix/voies que je trou­ve admirable et enthousiasmante.

Par la suite, tou­jours guidée par ma pas­sion, j’ai fait de belles ren­con­tres « réelles », dans ce monde en trois dimen­sions régi par les règles – presque – intrans­gress­ibles de l’espace et du temps : la veuve de Pierre Minet, Madame Renée Minet, qui m’a offert le tome 1 des œuvres com­plètes de Lecomte, alors introu­vable ; mais aus­si Artür Har­faux, l’un des mem­bres du Grand Jeu, Michel Ran­dom, l’un des spé­cial­istes de leurs œuvres, et, plus récem­ment, Jean-Philippe de Tonnac.

Ces poètes, Lecomte et Dau­mal, ont changé, mod­elé ma vie. Ils m’ont ouvert des portes et per­mis de chang­er de cap, d’attraper le gou­ver­nail de mon exis­tence pour affron­ter les tem­pêtes, avec le regard fixé sur ces « phares » précieux.

 

 

Votre livre se passe à Reims en 1925, l’an­née du bac des qua­tre ado­les­cents qui, par la suite, fonderont Le Grand Jeu. Pourquoi avoir choisi de racon­ter les prémices de ce mou­ve­ment fondamental ?

L’idée était de revenir aux orig­ines, donc. Au moment de l’ensemencement. Il y a longtemps que je voulais écrire quelque chose sur eux, pour trans­met­tre un peu de cette pas­sion qui m’a forgée. J’ai réfléchi pen­dant plusieurs années avant de trou­ver un angle d’approche. Leurs vies, leurs œuvres sont si rich­es, que je savais que je ne pour­rais pas tout dire. Il me fal­lait trou­ver une petite porte d’entrée et m’y gliss­er, pour bra­quer un pro­jecteur sur eux.

J’ai choisi d’évoquer leur jeunesse, dans une tem­po­ral­ité très lim­itée (le roman se passe sur onze jours), pour ten­dre le réc­it, ren­dre compte de l’incandescence, de l’urgence. Revenir aux prémices du Grand Jeu, oui, explor­er leur pre­mier mou­ve­ment, le Sim­plisme : mais secret, celui-là, haute­ment ini­ti­a­tique. Une sorte de société secrète et poé­tique. À la vie, à la mort. Leur pre­mière prise de parole. On les décou­vre ado­les­cents, bril­lants, amis jusqu’à la fibre de l’âme, cher­chant à don­ner un sens à leurs vies, à ne pas s’endormir dans le con­fort de l’habitude. Ils inven­tent, cherchent, expéri­mentent. Se frot­tent à l’existence, jusqu’à en saigner.

C’est un roman sur l’amitié. Et leur ami­tié n’a sans doute jamais été aus­si pro­fonde et puis­sante – créa­trice – que dans ces années-là. Elle était le socle pre­mier. La pierre fon­da­trice. C’est elle qui leur a per­mis de délaiss­er les voies pré-tracées pour se plonger dans une vie créé sur-mesure – à leur démesure.

C’est là que tout s’est joué. Le Grand Jeu n’aurait jamais existé sans ce pre­mier cer­cle. Cette com­mu­nion spir­ituelle entre ado­les­cents qui rêvaient le monde, et ce faisant, créaient de nou­veaux possibles.

Il me sem­blait beau de les cueil­lir à cet instant pré­cis : ils vivent encore à Reims, sont lycéens, et rêvent de mon­ter à Paris pour détrôn­er les sur­réal­istes. Ils n’ont pas encore été abîmés par les désil­lu­sions, se sen­tent invin­ci­bles, croient en leur idéal. Et pour­tant, le dés­espoir guette, déjà, leur tourne autour comme un vautour.

 

 

Sous le titre de votre livre est inscrit le mot “roman”. Vous vous êtes appuyée pour­tant sur les archives offi­cielles de Gilbert-Lecomte et Dau­mal. Quelle part de romanesque avez-vous instillé ?

Oui, c’est indé­ni­able­ment un roman. Une fic­tion. Mais une fic­tion sincère, qui tente de rester fidèle à l’esprit, si ce n’est à la let­tre. Si je me suis nour­rie, depuis de nom­breuses années, de leurs écrits, de leurs volu­mineuses et mag­nifiques cor­re­spon­dances, des biogra­phies qui ont été faites sur eux, je me suis per­mis d’inventer cer­taines choses. De me gliss­er der­rière les portes fer­mées, de plonger dans leurs psy­chés, de don­ner du sens à des silences, à des choses qui, à l’époque, n’avaient peut-être pas encore cette résonnance.

Je pose un regard sur eux, alors qu’ils ont dix-sept ans, mais mon regard est mod­i­fié – for­cé­ment – par ce que je sais de leurs par­cours, et qu’ils ignorent, bien sûr. J’ai plusieurs coups d’avance. Je pro­jette en eux des pen­sées, des écrits, qui ne naîtront par­fois que des années plus tard. J’anticipe. Car je voulais, encore une fois, par­ler d’eux, les met­tre en lumière. Je m’adresse à des lecteurs qui, pour cer­tains, ne savent rien d’eux, et je souhaitais don­ner toutes les clés néces­saires. Retran­scrire l’essence de ces poètes, plutôt que la stricte vérité his­torique. Je ne suis pas his­to­ri­enne, ni biographe, mais roman­cière. J’interprète. Je tisse une intrigue. Je tends les enjeux.

 

 

On sait que les ado­les­cents du Grand Jeu se con­frontaient à la vie par des expéri­ences lim­ites, comme l’usage des drogues ou la pra­tique de la roulette russe. Vous avez inscrit votre roman dans cet épisode de la roulette russe. Quelle part d’in­ven­tion, ici, justement ?

Les Phrères Sim­plistes, adeptes de Rim­baud, expéri­men­taient « le dérè­gle­ment de tous les sens ». Ils usaient et abu­saient de drogues, oui, fai­saient des rêves éveil­lés pour se retrou­ver dans le pays des songes, rete­naient leur res­pi­ra­tion pour attein­dre des états-lim­ites, dans un désir de « voy­ance poé­tique ». Ils flir­taient avec les fron­tières qui sépar­ent la vie et la mort, dans une démarche artis­tique et métaphysique.

L’épisode de la roulette russe a existé. C’est un fait his­torique. Et l’acte s’est à peu près déroulé comme décrit dans le roman.

La fic­tion vient des enjeux, que j’ai ajoutés, tis­sés. Lecomte et Dau­mal ont peut-être, dans la réal­ité, con­sid­éré cette roulette russe, comme une sim­ple bravade à la mort. Comme un jeu. Ter­ri­ble. « C’est encore à qui perd gagne. »

Je fais de cet acte la métaphore de leur ami­tié et de leur future sépa­ra­tion. Je lie cet événe­ment avec un autre : le fait qu’en fin d’année, Dau­mal et Vail­land par­tiront à Paris, alors que Lecomte – inca­pable de s’opposer à son père – restera à Reims, ce qu’il vivra comme une pre­mière défaite.

Cet acte – fou – accélère, à mes yeux, le proces­sus d’éclosion de leurs per­son­nal­ités. Cha­cun des deux poètes, liés par ce pacte de mort, se révèle, s’approche, pas à pas, de son iden­tité pro­fonde. S’éloigne, donc, aus­si, de ce Phrère, si proche et si différent.

 

 

Pou­vez-vous nous par­ler de la fig­ure fémi­nine de ce livre, la belle Pulchinella ?

C’est ain­si que les Phrères avaient surnom­mé l’une de leurs cama­rades, qui s’appelait, en réal­ité Hélène. On sait que Lecomte et Vail­land étaient tous deux amoureux d’elle et que Lecomte a essayé – en vain – de couch­er avec elle, n’obtenant que des bais­ers et des caress­es, trop sages à son goût.

Dans le roman, Pulchinel­la représente un peu toutes les filles dont ils ont été amoureux. Il me sem­blait impor­tant d’avoir, aus­si, un regard féminin posé sur eux. Un regard amoureux. (Le mien, peut-être ?) Je suis par­tie du per­son­nage réel et l’ai réin­ven­té (on sait peu de choses sur elle). Si la vraie Pulchinel­la est par­tie à Paris, avec Dau­mal et Vail­land, j’en fais, dans le roman, une pas­sion­née de Reims, sa ville natale. Elle représente la vie qu’aurait pu avoir Lecomte s’il n’était pas « tombé en poésie » : elle aurait pu être la femme de sa vie, mais pas de cette vie-là. Une autre vie, dans un autre espace-temps. Il doit la quit­ter et elle en a con­science. La roulette russe mar­que, pour elle, la fin de l’espoir de l’amour. S’il est prêt à mourir, alors qu’elle l’aime, c’est que leur his­toire est foutue d’avance. Mort-née. Cet acte lui per­met donc de faire son deuil – un peu bru­tale­ment, certes – et de revenir à sa pas­sion : les vit­raux. J’ai imag­iné un per­son­nage mû par un rêve de vie qui lui est pro­pre, je ne voulais pas d’une oie blanche, jolie mais bête, incon­sis­tante. Il fal­lait que la ten­ta­tion de vivre une vie « nor­male » soit forte, séduisante. Que Lecomte et Dau­mal soient fous de cette jeune fille, métaphore sans doute de la pul­sion de vie.

 

 

Et du titre, Phrères ?

Au pluriel, donc, car c’est un roman sur l’amitié. La Phra­ter­nité ami­cale. Le titre est à la fois sim­ple, et mys­térieux pour ceux qui ne con­naî­traient pas Lecomte, Dau­mal et Vail­land. Dans ce mot, tout est dit, à mon sens. C’est le cœur du livre.

 

 

Votre écri­t­ure sem­ble en phase avec l’e­sprit qui ani­mait ces poètes, au point que par­fois, on croit être dans l’archive ou la cita­tion avant de se ren­dre compte que c’est du Claire BARRÉ. Ecrivez-vous des poèmes ?

J’ai essayé d’écrire dans une sorte de prose poé­tique flu­ide, pour leur ren­dre hom­mage, oui. Le rythme des phras­es, leur musi­cal­ité, me sem­blait essen­tielle. J’ai écrit beau­coup de poèmes quand j’étais ado­les­cente, mon rêve était d’ailleurs de devenir poétesse, mais je n’en écris plus. Je suis à peu près per­suadée que ça revien­dra un jour. Mais beau­coup plus tard. Le cré­pus­cule répon­dra à l’aube, sans doute. Avec un regard autre. Neuf.

 

 

Avoir choisi, en 2016 (bien que vous l’ayez écrit avant), de met­tre en avant la rad­i­cal­ité de ces poètes hors norme, est-ce le signe que l’âme humaine actuelle aurait un besoin vital d’authentique ?

L’âme humaine, actuelle, passée et future – bien que ces notions ne cor­re­spon­dent pas for­cé­ment à l’intemporalité pro­fonde de l’âme – a tou­jours, je crois, un besoin vital d’authenticité. Le Beau, le Bien, le Vrai. L’idéal. Oscar Wilde dis­ait : « Vivre est la chose la plus rare. La plu­part des gens se con­tente d’exister. » Ces poètes nous ouvrent des portes qui nous aident à vivre.

 

 

Votre livre paraît en même temps, qua­si­ment, qu’un beau vol­ume, pub­lié en Poésie/Gallimard, des poèmes de Roger Gilbert-Lecomte. Trou­blante synchronicité ?

Trou­blante, oui. Quel beau signe. Les Phrères ne cessent de renaître. Ils sont comme le Phénix. Les édi­tions Ypsilon ont édité aus­si, il y a peu, des Cor­re­spon­dances mag­nifiques (Lecomte/Daumal, mais aus­si Lecomte/Léon Pierre-Quint, Daumal/Léon Pierre-Quint). Les édi­tions Prair­i­al ont réédité « La vie l’amour la mort le vide et de vent » de Roger Gilbert-Lecomte. Basarab Nico­les­cu a, quant à lui, pub­lié un livre sur Dau­mal et son enseigne­ment auprès d’Alexandre de Salz­mann, aux édi­tions Le Bois d’Orion, Jean-Philippe de Tonnac vient de pub­li­er un arti­cle sur René Dau­mal dans la revue Ultreïa, sans par­ler du fait que les œuvres de Lecomte et Dau­mal sont traduites dans de nom­breuses langues et qu’ils sont très appré­ciés, en Cal­i­fornie, par exem­ple, car con­sid­érés comme des précurseurs de la Beat Generation.

Les Phrères n’ont pas fini de nous sur­pren­dre, ni de renaître.

 

 

L’his­toire du Grand Jeu est mécon­nue, s’é­tant écrite dans l’om­bre du sur­réal­isme avec son pape hyper-médi­a­tique André Bre­ton. Pour­tant, en 3 numéros pub­liés entre 1928 et 1930, le qua­trième n°, en épreuve en 1932 n’ayant été pub­lié, incom­plet, qu’à l’oc­ca­sion de la reparu­tion de la série com­plète, par Jean-Michel Place en 1977, son influ­ence est-elle appelée, selon vous, à nour­rir la con­science de l’hu­man­ité qui vient, davan­tage que le sur­réal­isme qui relèverait du passé ?

Je n’ai rien con­tre le sur­réal­isme qui com­porte, en son sein, de grands artistes. Il me sem­ble que cha­cun a sa place. L’art est une immense chaîne qui remonte aux temps immé­mo­ri­aux et qui s’étendra jusqu’au bout de la dernière his­toire de l’Humanité. Les sur­réal­istes en sont un mail­lon, les poètes du Grand Jeu en sont un autre. L’un n’exclut pas l’autre, bien au con­traire. Ils sont liés. Mais il est vrai qu’il y a, dans Le Grand Jeu, un souf­fle d’Éveil qui peut nous par­ler en ces temps troubles.

 

 

En notre époque par­ti­c­ulière­ment vio­lente et menaçante à une échelle sans équiv­a­lent par le passé, le poème La guerre sainte, de Dau­mal relève-t-il d’une vision con­ju­ra­trice par anticipation ?

« La guerre sainte » se pose à l’inverse de celles que prô­nent les fous de Dieu, à mon sens, car la guerre de Dau­mal est une guerre que l’on se livre à soi-même, pour lut­ter con­tre nos illu­sions tenaces, nos masques intimes. C’est un poème de paix. D’amour. Un amour intran­sigeant, exigeant. Mais un poème qui ne pousse en aucun cas à tuer les autres, à les juger. Il s’agit de se juger soi-même pour s’extraire des pièges des pen­sées pré­fab­riquées. Pour s’émanciper de nos craintes et de nos bulles de con­fort. Pour attein­dre l’être dis­simulé der­rière le paraître.

 

 

Dernière ques­tion, Claire BARRÉ : en quoi le poème peut-il aujour­d’hui, tel que vous l’avez com­pris à tra­vers les hommes du Grand Jeu, être essen­tiel au monde mon­di­al­isé auquel nous appartenons ?

Le poème est essen­tiel car il est uni­versel, juste­ment. Il est ce qui nous lie, au plus pro­fond, à notre human­ité. Il est le chant pre­mier. Celui qui dit l’harmonie. L’unité cachée der­rière l’apparente mul­ti­plic­ité des êtres et des choses.

 

 

Mer­ci chère Claire Barré.

C’est moi qui vous remercie.

 

image_pdfimage_print
mm

Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.