Avec “Une autre poésie italienne” : Amelia Rosselli
Ce titre est celui du blog que nous animons, et augmentons chaque mois, « sous » le site institutionnel du groupe de recherche CIRCE (Paris 3 - LECEMO), Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Culture des Échanges (domaine italo-roman).
Une autre poésie italienne par rapport à celle, largement masculine et nordique, et presque toujours écrite en langue standard centrale, que diffusent les grandes maisons d’édition de Milan et Turin ; mais aussi différente de celle que, par suite de divers avatars d’un « horizon d’entente » convenu entre opérateurs culturels des deux côtés des Alpes, les fameux passeurs officieux nous font connaître ici – et parfois même avec bonheur, pourquoi pas –, en français, selon le bon vouloir de quelques grands éditeurs (presque exclusivement parisiens). Il serait trop long, et ennuyeux peut-être, de revenir ici sur cette misère bien connue des Lettres italiennes et françaises, les unes et les autres condamnées par leur centralisme même et leur structure de pouvoir à devenir petitement « provinciales », comme on disait naguère quand Paris et Florence/Rome se croyaient naïvement encore au centre du monde. Sic transit gloria mundi : il n’y a pas si longtemps au regard de notre éternité anthropologique minuscule, le poète Guinizelli recommandait de « laisser dire aux sots / s’ils croient que le Limousin((Giraut de Borneilh (1138-1215).)) vaut davantage((Davantage qu’Arnaut Daniel, admiré de Dante (et plus tard de Pétrarque), inventeur entre autres de la sextine (1150-1200 env.).)). / Ils prêtent l’oreille au renom plus qu’au vrai / et forment ainsi leur opinion avant / que l’art ou la raison soient écoutés » (Dante Alighieri, La Comédie : Purgatoire, chant XXVI, v. 119-23). Ce dont l’élève Dante prend acte, donnant même sa voix provençale au personnage d’Arnaut Daniel qu’il va rencontrer peu après.
Un auteur exemplaire, pour nous, de cette ouverture, de cette diversité, de ce refus de mise en conformité, voire d’une forme d’insoumission à la doxa et d’insolence, est bien sûr une femme, s’étant exprimée en trois langues au moins (le français et l’anglais avant l’italien qu’elle choisira pour finir), et n’ayant appartenu à aucun courant ni école, même si la néo-avant-garde des années 1960 et l’antagoniste célèbre Pasolini ont essayé de l’annexer. Parler de cet auteur, proposer ses textes (aussi bien originaux que traduits) est devenu plus facile depuis sa mort (elle s’est jetée dans le vide un 11 février), au risque de la canonisation, entre Rimbaud (qu’elle aimait dire sororal), Campana et Artaud, même pour de jeunes publics qui la découvrent aujourd’hui. Mais Amelia Rosselli – dont j’avais édité en 1987 Impromptu, avec la Librairie italienne de Paris ‘La Tour de Babel’ (à défaut de grands éditeurs) – ne fait pas partie des poètes présents dans notre blog, tout simplement parce qu’elle n’a jamais écrit, sauf erreur de ma part, dans le domaine thématique qui oriente aussi nos choix, sommairement présentés ci-dessus : pour faire vite, la dégradation du paysage européen et ce que j’ai essayé d’exprimer une fois (en poésie) comme « désastre atmosphérique »((Dans Le nouveau recueil 81, déc. 2006 - fév. 2007. La première partie de La libellule a paru sous forme de pré-publication CIRCE il y a quelques années (une réédition d’Impromptu, enrichie de sa version anglaise, est sous presse chez Guernica, au Canada, par les soins de Gianmaria Annovì).))
Il était juste qu’elle figurât ici, en ouverture d’une possible collaboration entre notre petite équipe de jeunes chercheurs italianistes et la revue en ligne qui nous a offert généreusement son hospitalité. J’ajoute que deux membres de CIRCE impliqués dans l’opération travaillent eux-mêmes sur cet auteur, Sarah Ventimiglia (surtout attirée par l’étude du rythme) et Emilio Sciarrino, déjà spécialiste reconnu du plurilinguisme dont Amelia était et demeure l’un des principaux représentants dans le domaine ‘italique’ ou italo-roman qui est le nôtre.