Barbara AUZOU et NIALA, L’Époque 2028, Les Mots Peints
C'est bien connu : peinture (dessins, photographie ou arts graphiques) et écriture peuvent se compléter à merveille. Le visuel met le mot en exergue, lequel, à son tour, lui donne du signifiant. Il est bien entendu que chacun peut se suffire à lui-même, mais cette synergie artistique apporte indéniablement un supplément d'âme.
Presque invariablement, les livres pour enfants (mais pas seulement !) sont abondamment illustrés, souvent, de belle manière... Ce d'autant que nous vivons dans un monde multimédia. Avouons-le : n'a-t-on autrefois feuilleté notre Michel Strogoff pour découvrir d'abord les dessins avant de nous immerger dans le roman? On distinguera l'écrit à la source d'une peinture, de textes eux-mêmes inspirés par l'artiste. Bien sûr, Hugo était tout les deux à la fois, mais assez rares sont les poètes-peintres.
Nous ne parlerons pas ici des livres d'art décrivant les œuvres, parfois de manière informative mais souvent sur un mode académique ou ennuyeux : cela est un autre chapitre. Trêve d'introduction : la pédanterie nous guette... Ce bel ouvrage de la poétesse Barbara AUZOU et du peintre Alain Denefle-dit-NIALA est là, sans que nous en connaissions les racines, ni les arcanes.
Barbara AUZOU et NIALA, L'Époque 2028, Les Mots Peints, Éditions Traversées, Virton (Belgique), 2019, 133p.
D'emblée, les feux sont doubles en leurs constellations communes ou respectives : à picorer çà et là, dans un premier temps, la démarche de l'un par rapport à l'autre n'est pas évidente, ce d'autant que les poèmes et les toiles ne se font pas face mais se suivent d'une page à la suivante. Peut-être les auteurs ont-ils d'ailleurs eu raison, chaque approche gardant ainsi davantage son autonomie... Cela dit, certains termes ou titres de tableaux (jardin, chevelure verte, À la butée des étoiles) reviennent dans les textes, lesquels ne sont nullement descriptifs.
Tout contexte et toutes proportions gardés, NIALA nous fait penser à Chagall (comme le suggère Lieven Callant dans une récente recension) et à Louis Delorme, voire à Klimt (p. 59). Des personnages abondants et suspendus, des couleurs chaleureuses enchantent le rêve et "collent" magnifiquement au foisonnement imaginaire de l'écrivain. On peut lire sur Internet que NIALA serait classé comme un artiste primitif moderne (sans lien, d'ailleurs avec l'Art Deco) : laissons les docteurs de l'art se disputer sur les termes, l'essentiel étant bien l'émotion.
Plongeons dans les poèmes ou la prose poétique mise à la verticale de Barbara AUZOU.
C'est dans un fracas de mots perdus
que l'heure sanguine se disloque
étalant un baume de silence inquiétant
sur les morsures du sel ou du vent
promesse rauque d'un lendemain de chaleur
où la vipère attend.
Textes d'heureuse facture, intuitifs, pudiques, parfois dissonants comme une musique de Stravinsky (on n'est pas loin de Chagall) mais sonnant "juste", riches en images inconscientes (vraiment ?) ou subliminales (cette professeure de lettres modernes s'est-elle imprégnée des surréalistes ?) Toujours est-il que la plume reste en permanence inspirée et forme avec les tableaux un duo homogène et étonnant. Poèmes de liberté, poèmes d'amour, aussi :
Et, déjà, au ciel du lit, le vent tournait lentement
(Quel forfait pour un printemps ! )
qui rendraient plus rouges et plus sucrés
les fruits de l'amour au brûlant compotier.
Ou encore, parmi tant d'autres, ces lignes fortes, cadencées, exprimant les souffrances et le destin...
Toutes les femmes savent cela :
l'impérieux besoin de rentrer chez elles
et de se baigner dans leurs eaux ;
et de l'ombre et de la lumière l'âpre combat,
et la permanence du sang sur la clef perdue
au fond d'un champ
Beauté électrique du verbe, sachant que la plume de Barbara AUZOU est souvent exigeante envers le lecteur. Oui, la beauté mène l'obscur à la lumière (p.129). AUZOU et NIALA ont beaucoup de talents. Trop, peut-être ? Ne pas être trop génial, plaidait le peintre Armand Niquille.
On ne s'en plaindra pas. Ce livre édité par Traversées fera date. Salut les Artistes !