Barry Wallenstein : Tony’s Blues (extrait)
Tony, héros de la suite de poèmes publiée sous le titre de "Tony's blues"1 est un personnage urbain, loser marginal et rêveur, auquel la ville de New-York a fourni le cadre - dans ce que Chantal Dupuy-Dunier2 décrit fort justement comme un "poème-BD, feuilleton, film américain avec un rythme de blues pour la bande-son3" - nous vous proposons de le redécouvrir ici, trois ans après sa publication en France, à travers deux extraits :
Tony's Blade
Blade imagines it has memories
(sad blade, so delusional).
Its hesitation, shyness, on the table
signals nothing. Or mind
has moved it that way.
Blade is without conscience
riding beneath the table's edge—
no glint—
more shadow there than flash.
It slides easily
along an angerless morning.
It never propels the hand.
It knows the natures of string,
of apple, and peach,
and the stuck lock.
The neighbor's tires are safe
not for slashing,
but, to tell the truth,
some days blade needs sharpening.
Le couteau de Tony
La lame s'imagine qu'elle a des souvenirs
(pauvre lame complètement délirante).
Qu'elle hésite, qu'elle soit gauche sur la table
ne veut rien dire. Ou bien l'esprit
l'a déplacée.
La lame sans conscience
se promène sous le bord de la table —
pas de réflexion —
pas plus d'ombre en elle que de lucidité.
Elle glisse aisément
le long d'un matin sans colère.
Jamais elle ne propulse la main.
Elle connaît la nature des liens,
celle des pommes et des pêches,
et de la serrure bloquée.
Les pneus du voisin sont intacts,
pas tailladés,
mais, soyons clairs,
la lame, parfois, doit s'aiguiser.
*
Tony the Pothead
Tony reads the news
smokes a joint
bites his lip hard, spins
and goes out to see the stylist;
have his hair turned red.
—It's about time
his inner voice sings.
—Why so dull for so long?
He doesn't hear a thing.
Walking with a new head
within the city's tendrils,
he's a bobbing red flame,
an aspect; electric boots and
a belt that shines have him flying.
In all this
Tony forgets what he's read:
he left hand column of print
fades to blue;
the right hand column
too fades to blue.
But a memory on page 7
holds him like a damp finger
on fresh ice.
Images of waste unconfuse—briefly:
nuclear mountains in the suburbs
waves of poison overflowing
his stash obscured, even his charm
by the images, cold and funny
as in Death.
Smoke drifts by from around the corner
lifting Tony, slightly, wafting him home.
Tony, fumeur d'herbe
Tony lit le journal
fume un joint
se mord un bon coup les lèvres, pirouette
et sort voir le coiffeur :
il veut avoir les cheveux rouges.
— il était temps
chantonne sa voix intérieure.
— Si terne, si longtemps, pourquoi ?
Il n'entend absolument rien.
Avec sa nouvelle tête, il se promène
dans les vrilles de la ville,
flamme rouge qui s’agite,
pure apparence : bottes électriques et
ceinture brillante le font planer.
Avec tout ça
Tony oublie ce qu'il a lu :
la colonne imprimée de gauche
vire au bleu;
la colonne de droite
s’efface aussi, et devient bleue.
Mais un souvenir à la page 7
le colle sur place comme un doigt mouillé
sur de la glace.
Très clairement des images d'immondices– en bref:
montagnes nucléaires dans les banlieues
trop-plein de vagues toxiques sur
ses doses, éclipsées, tout comme son charme
par ces images, étranges et froides
comme la Mort.
La fumée qui dérive du coin de la rue
emporte Tony, comme une plume, jusque chez lui.
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notes :
1 -Barry Wallenstein, Tony's Blues, édition numérique bilingue, traduit par Marilyne Bertoncini, Recours au Poème éditeurs, 2014 (indisponible)
2 - Chantal Dupuy-Dunier, "L'Envers des contes de fées", in Terre à Ciel
http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2014/12/barry-wallenstein-tonys-blues-par-chantal-dupuy-dunier.html
3 - poète et performer, Barry Wallenstein dit ses textes accompagnés de jazz - le CD Tony's Blues, qui regroupe la plupart des textes retenus pour l'édition bilingue, est toujours disponible ici : https://musicians.allaboutjazz.com/tonys-blues-barry-wallenstein