Barry Wallenstein, Tony’s blues
Tout est insolite dans ce minuscule recueil de 12 cm sur 16,5 cm de l’éditeur « Pourquoi viens-tu si tard ? »
Seize poèmes de Barry Wallenstein sont sélectionnés par la poète-traductrice Marilyne Bertoncini. Qui est donc ce Barry ? Un poète radical américain spécialisé dans la « drastique dislocation ». Si radical qu’on ne sait trop ce que Barry disloque, sans doute notre french vision du monde... Tous ses poèmes concernent un certain Tony, un Américain marginal. La traduction de son périple est une prouesse réussie de jargon à jargon. Tony donc, je reprends, s’adresse à sa mère, à son père (un travailleur des abattoirs qui lui fait traverser dans l’enfance « une rivière de sang »), à son créateur (His creator) et tout le tintouin. Il a ses préférences à lui (dont fraises à la crème et bordel) et sait « différer » son rêve. Son quotidien parfois teinté de fiction : le tailleur Squeaky « fait des manteaux / qui couvrent les crimes » et offre à Iris 0’ Fay « une robe » où il a « cousu un sourire ». Lu dans la langue originelle, ça rythme, ça pulse (multiplication des tirets longs de coupe préservés dans la traduction) comme un phrasé de jazz.
Barry Wallenstein, Tony’s blues, poèmes choisis et traduits par Marilyne Bertoncini, gravures Hélène Bautista, 92 pages, Edition Pourquoi viens-tu si tard ? mars 2020, 10 €.
De fait, la lectrice lit d’abord in american tous les poems by Barry avant d’accéder enfin à leur traduction réussie. Découvrir ce gars US qui a le « martel en tête » comme dirait la traductrice (Tony takes a hammer to his head) » n’est pas une mince affaire. « T’es un beau gros salaud de ta mère », traduit-elle pour un « slick / sick motha hubba ». De poème en poème, on arrive au jour « où rien ne va plus », où tout merde en quelque sorte. Est-ce la veille du crime annoncé dans le poème suivant. « Tony rassemble tous les possibles marginaux de la condition humaine, précise Chantal Dupuy-Dunier dans la postface. Être poète en fait évidemment partie ». Comme il se voit lui-même, Tony est « un marcheur, un fonceur, / un sauteur ». Si on le plonge dans l’eau, il nagera et si on le met KO, « il fera dodo ». Un bel esprit de contradiction, somme toute !
Les eaux-fortes en camaïeu aquatinte grisé, d’Helen Bautista inventent un personnage solitaire qui se fond dans la brume, s’endort sur son ombre ou se détriple au hasard des pages. Une évanescence opportune !