Béatrice Bonhomme, est poète, critique littéraire, professeur des Universités et directrice de la Revue NU(e), revue de poésie et d’art, fondée en 1994, qui a consacré, actuellement, 81 numéros à la poésie contemporaine, dont plusieurs sont consacrés à des poètes femmes. Cette revue paraît désormais en ligne sur POESIBAO. Elle œuvre, depuis 1994, pour une meilleure reconnaissance de la poésie contemporaine. Infatigable autant que discrète, elle est une voix, et une présence, précieuses pour que ce genre encore en retrait soit audible, visible, c’est à dire offert à l’humain, afin de prendre son sens ultime, qui est de dire, dans sa polysémie constitutive, l’unité possible. Deux revues Poésie-sur-Seine et Coup de soleil lui ont été consacrées (2020–21). Un livre sur l’œuvre poétique de Béatrice Bonhomme Le mot, la mort, l’amour chez Peter Lang est paru en 2012. Cette année elle est la lauréate du Prix Mallarmé, pour son recueil, Monde, genoux couronnés. Elle présente, pour Recours au poème, ce recueil et elle évoque ses raisons d’écrire pour exister, résister et créer cet idéal de fraternité qui l’anime.
Présentation, par l’autrice, du livre de poèmes Monde, Genoux couronnés
J’ai édifié huit chants, huit séquences car j’aime la perfection du chiffre 8, dont on peut vérifier l’harmonie octogonale dans certains monuments. L’idée est celle d’une architecture avec une dimension chiffrée qui va vers l’être que nous portons en nous.
Deux initiatrices accompagnent le cheminement, deux figures tutélaires féminines.
Il y a d’abord une séquence portant sur le lien symbiotique au monde : « Devenir d’arbre ».
Puis la grand-mère intervient qui donne la couture, la broderie, le tissage : « Le Cœur de la brodeuse », plus tard dans le recueil, la mère donne la fascination pour la lecture et les mots : « Le Matin des mots ». A la fin du recueil, l’être intérieur nous attend dans sa lumière et sa nudité.
Dans l’intervalle, ce que j’essaie d’exprimer, c’est la relation au monde, la porosité à tous les règnes de la nature. Le lien au cosmos, à tous les êtres les plus humbles, les plus minuscules, cette place essentielle de liberté dans une affirmation d’un monde qui ne serait pas seulement dominé par l’humanité, mais respectueux et sensible à toutes les formes de vie.
Cette partie résiste à une forme de pensée qui a fait la démonstration de son danger foncier pour le monde et par contrecoup pour l’homme. Elle résonne avec le titre qui évoque un monde asservi et mis à terre, genoux en terre, comme un cheval aux « genoux couronnés » et que l’on va abattre (le terme « couronnés » faisant allusion également aux années du corona virus et à ce qui va vers la contagion, l’épidémie et la guerre).
Enfin, j’évoque l’ouverture à l’autre avec ses difficultés, ses ombres mais aussi ses lumières. C’est sur terme de « lumière » que s’achève le recueil après un parcours à travers l’être au monde.
Béatrice Bonhomme, Monde, genoux couronnés, Editions Collodions, 2023.
EXISTER PAR LES MOTS
Si je reviens sur mon parcours, je sais que je suis poète bien avant tout le reste. Avant d’être revuiste, critique littéraire ou professeure. Bien avant, même si tout ensuite va se lier. Comme j’ai désiré les mots en tant que poète et que les mots m’ont permis d’habiter le monde, je suis ensuite devenue une passeuse de mots mais cela c’est un second mouvement. Le premier mouvement, pour moi, c’est la poésie. La poésie commence très tôt. Elle ne cesse de m’accompagner, depuis l’enfance. C’est une chanson intérieure qui se poursuit dans ma tête, un rythme et un être au monde. Mon premier poème, je devais avoir 5 ans : « Le soleil, le soleil est à toi » ou encore « Papillon, papillon, bats les soldats de la prairie, papillon, papillon, mon ami ». Cela ne veut pas dire grand-chose mais tout le temps, dans ma vie, il y a ce chant, cette musique des mots qui est là.
Le fil déclencheur de mon amour des mots, la première expérience, a été celle de l’apprentissage de la lecture. Ma mère m’apprend à lire dans la colline, au bord d’une petite route. Elle m’assoit sur ses genoux, et elle me tend le livre de lecture. De ce premier mot qu’un jour je parviens à déchiffrer naissent la magie et l’impression d’avoir à soi le monde entier. Ce mot et de lui la puissance de saisir. C’était comme si je possédais les petites églantines du bord du chemin, l’aéroport qui se construit un peu plus loin sur la mer, cette matinée éclatante de soleil. A cet âge, je ne fais pas de différence entre les éléments et les mots, le mot « soleil » brille sur la page, le mot « bleu » comprend la mer et le ciel. Ensuite, chaque fois que j’ai approché un texte littéraire, un poème, j’ai éprouvé la même sensation de merveille et j’ai eu envie de transmettre cet éblouissement. C’est ce désir des mots qui marque tout mon cheminement.
Pour moi, tout cela est lié. Je suis éblouie de littérature et de poésie. Les mots sont ma façon d’habiter le monde. Écrire, c’est une manière d’être en lien avec le monde et dans le partage avec l’autre. Je partage des mots des rythmes et un être au monde, une façon d’habiter le monde, une raison d’être et d’exister. Je pense que le lyrisme et la poésie sont essentiels dans notre société car ils apportent une forme de confiance dans la langue, même si c’est une confiance qui reste critique et lucide, « une langue de poésie qui se justifiât entièrement comme chant » dit Jouve. Il ne s’agit pas d’un chant naïf, il s’agit d’un amour de la langue comme lien à l’autre et au monde, comme possibilité de pensée.
Les mots ne sont pas isolés pour moi, ils font lien vers le monde, vers les images, vers l’autre. Ils sont tactiles et visuels. Le lien à la peinture est comme le lien aux mots. Mon père était peintre. Il était comme un artisan, un bricoleur, qui marouflait partout des toiles, utilisait des pigments, de la colle, des pinceaux, des palettes. Les couleurs, comme les mots, c’était de la matière, les formes habitaient le monde avec nous. Je ne faisais pas vraiment de différence entre la table de la salle à manger, un livre de lecture et un appentis où poser des pots de couleurs. J’étais parmi la peinture et les mots comme parmi les meubles auxquels on se tient pour apprendre à marcher.
La poésie pour moi justement, c’est le lien retrouvé, le lien tissé dans l’amour ou la mort, le lien à l’autre, le lien au monde. Les motifs du bleu, de la mer et de la lumière des paysages méditerranéens sont tissés, cousus ensemble et apparaissent comme dans une tapisserie, une fresque, un tissage. Ma grand-mère, assise au bord de mon lit, cousait en me faisant réciter mes leçons. Et maintenant je couds aussi le monde et les mots. C’est comme si je tricotais le monde et les mots, une maille à l’endroit, une maille à l’envers, ou que je recousais bord à bord le monde et les mots. La mer et les paysages lui sont associés, le bleu et les couleurs du paysage, la lumière, comme des matériaux de la fresque et de la tapisserie.
En poésie, il ne s’agit pas de « je » mais de « nous », de quelque chose d’universel. Ce qui est partageable par la poésie, c’est paradoxalement ce qui est le plus singulier, notre émotion, « sans mesure commune », mais qui devient commune par les mots de la poésie. La poésie semble donc inséparable d’un point de vue intime mais elle constitue en même temps un lieu commun et je le dis dans un sens positif, un lieu où nous faisons communauté. Liée à l’intime, elle est pourtant partagée par tous.
Alors s’il y a un parcours, c’est celui de l’amour des mots, du monde et des autres.
Monde, genoux couronnés
Extraits
Enfant, elle a l’habitude d’inverser les mots
De les recréer
D’en faire d’autres
Parfois trop beaux
Parfois malades ou estropiés
Elle dit : movir pour vomir
Mourir au monde.
Elle dit : mori, morituri.
∗
La mort posée sur le ciel bleu
Cela ne semble pas réel
Il fait beau une dernière fois
Comment dans cette beauté
Ce scandale ?
∗
On guette en soi en l’autre
La peur de voir le signe
Le signe fatal d’une détresse
On guette la respiration
Manquante.
∗
Le matin essoré de silence
Nous redresse comme couronnés
De sueur
Tout tourne les mondes
En attente de l’impossible
Sa propre absence irrésignée.
∗
On fait des masques blancs
Posés sur le visage comme des pansements
Arrachés
Ils gardent l’empreinte de ce qui voulait vivre
Poursuivre en nous
Encore.
∗
On ne sait plus quel jour quelle heure il est
Nuit, matin, aube à midi
Hiver ou déjà printemps
Bourgeon qui sort et vent glacé
Soleil presque bleu d’été
On se donne des repères des rituels
Puis, le temps s’unit avec le silence.
∗
Nous avons vu les coquelicots
Et les plantes jaunes pousser dans la lumière
La mer vide
Un dauphin dans la mer.
∗
Tant d’oiseaux et leurs chants
Et plus de silence aussi
Les plantes poussent vite
Pour regagner le temps.
∗
L’homme doit-il arrêter de respirer
Pour que le ciel soit bleu
La mer plus claire
Et le temps rendu au temps ?
∗
Monde cheval ailé
Planète soyeuse et crinière
Dans le vent.
Et puis monté, chevauché,
Ecrasé
Par le poids trop lourd
La bouche blessée.
∗
Monde cheval soyeux
Cheval de bleu et de lumière
Devenu bête de somme
Puis mis à bas
Genoux dans la poussière
Genoux couronnés.
Présentation de l’auteur
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- Barry Wallenstein, Tony’s blues, textes choisis et traduits par Marilyne Bertoncini, gravures Hélène Bautista - 21 mars 2020
- Ilse au bout du monde - 6 mars 2020
- Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa - 6 mars 2020
- Entre les lignes entre les mots - 6 mars 2020
- Les Chroniques du Çà et là n°16 : Poèmes au féminin - 6 mars 2020
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- Wanda Mihuleac et Alain Snyers, Roumpfs - 6 novembre 2019
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- Revue Texture, encore un peu de lui : Michel Baglin - 6 septembre 2019
- La lettre sous le bruit n°45 : hommage à Rémy Durand - 6 septembre 2019
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- Murielle Compère-Demarcy, Alchimiste du soleil pulvérisé - 1 septembre 2019
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- Un papillon dans ma boîte aux lettres : Libelle - 4 juin 2019
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