Béatrice Machet, Tirage(s) de Tête(s)

Par |2019-12-06T07:31:44+01:00 6 décembre 2019|Catégories : Béatrice Machet|

Il est des livres qui ont besoin d’être apprivoisés et qu’on laisse volon­tiers murir dans les chais pour pou­voir, par­fois beau­coup plus tard (ou jamais), par­ler de leur robe, de leur couleur… Le livre de Béa­trice Machet, au con­traire doit être enfourché avec fougue sur un coup de tête.

La pre­mière idée peut être d’aller chercher un sens, au titre pour com­mencer : tirage, est-ce le fait de tir­er pour dégom­mer comme à la fête foraine, d’allonger, ou celui de déplac­er pour déclencher un mécan­isme, prob­a­ble­ment un peu des deux à moins que ce ne soit car­ré­ment autre chose. Chez Béa­trice Machet, le poème nous oblige à nous posi­tion­ner autrement, à accepter le déséquili­bre. La mul­ti­pli­ca­tion des néol­o­gismes nous fait entr­er de plain-pied dans un univers singulier.

Si vous avez une idée der­rière la tête, mieux vaut la laiss­er au ves­ti­aire sinon vous serez plumé, et le bec et la tête, alou­ette… Pour Béa­trice, il faut que ça chante et pour ça, y’a du plexus dans l’air. Il faut aus­si que ça s’agence, se con­necte, même si les liens sont lâch­es. Elle est là pour retendre. Il faut que ça fric­tionne, que les mots-silex fassent fuser dans la tête – cette fois, celle du lecteur – des lueurs, des images, sens dessus-dessous.

 

Béa­trice Machet, Tirage(s) de Tête(s), Edi­tion Les Lieux-Dits (les cahiers du Loup bleu) — 2019.

 

                                  ça pulse aux tempes______tambouriné le 
ques­tion­nement tout le temps recyclé

                                                                                                          essoré à 1800 tours
                                minute 

 

Si  vous pensez avoir attrapé le fil de la pelote, la vitesse de l’écriture vous fait sor­tir de vos gonds. Raté ! Béa­trice Machet avoue d’ailleurs en fin de recueil que la pre­mière par­tie a été écrite « spon­tané­ment ». Il faut suiv­re… mais cha­cun peut, à con­di­tion de renon­cer aux « pourquoi », trou­ver dans cette con­struc­tion ver­bale qui tourne en orbite dans la  tête de l’auteure, trou­ver donc, analo­gies à sa taille et con­ver­gence des con­sciences. De toute façon, il est clair qu’il n’y a plus de ques­tion à la réponse que vous exigez.

Écri­t­ure, lec­ture, dans un ver­tige com­mu­ni­catif. Tu crois que ce que je crois, c’est ce qu’elle croit… ou voulu dire ? C’est une drôle de géo­gra­phie qui s’immisce dans le dis­cours et l’humain s’y débat sachant que

 

con­tre les vam­pires insa­tiables une couronne
un bon­net        un cha­peau      une capuche : C’est top
friv­o­lité le couvre-chef
                           mais                ne dit-on pas que la 
dig­nité se mesure au port de tête…
                          À tue—- comme
mar­tel dans l’air sous mon crâne sa chambre
d’échos sent le brûlé               par de quoi s’étonner

 

L’histoire qui n’en est pas une dit peut-être aus­si ce qui se passe dans la tête de l’auteure mais est-ce bien elle 

 

cette linotte bien faite qui veut du vide
n’a pu fer­mer la tête de la nuit

 

Cette pre­mière par­tie inti­t­ulée « Entre » : 16 petits objets scrip­tés autour du mot-pré­texte « tête », à décrypter, ou pas, sans atten­dre. Le temps est court.

 

***

 

Béa­trice Machet nous dit ensuite que la deux­ième par­tie du recueil a été écrite après la vis­ite dans l’atelier de la sculp­trice Dominique Assoignon-Coenen. « Head­quake » (for­mé d’après le mot earth­quake qui veut dire trem­ble­ment de terre en anglais), tout en con­ser­vant le pré­texte de tête, intè­gre l’impact de cette rencontre.

Qui con­naît Béa­trice Machet, pour­rait presque dire que ça com­mence comme un auto­por­trait, puis rapi­de­ment des images s’imposent et intro­duisent le tra­vail de la sculptrice :

 

Au rabot à la lime
raclement d’ombres con­cen­trées avant
d’exploser au cœur de la nuit dans la tête les
ombres qui ont des mains jusqu’au sang et
des poignets à échanger

 

Qui con­naît l’œuvre de cette artiste, peut com­pren­dre que sa très grande human­ité ne pou­vait qu’entrer en réson­nance étroite avec celle de Béatrice.

 

***

 

Mais attar­dons nous pour finir sur la phrase d’Herman Melville qui se trou­ve en exer­gue et que nous avons passée un peu vite pour nous jeter dans les poèmes. N’éclaire-t-elle pas la direc­tion « uni­verselle » de cette course ? Les ques­tions « raisonnables » ne s’arrêtent-elles pas au seuil, à l’inconnu de la mort ? La con­science se débat en essayant, et c’est tout le pro­pos du livre, de pos­er, avec philoso­phie ou ironie, les bonnes ques­tions sur la vie.

À lire, sans prise de tête.

 

Présentation de l’auteur

Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente (car­togra­phie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième ven­dre­di du mois une émis­sion de 40 min­utes sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse.

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Geneviève Liautard

Poète, elle est l’auteur de qua­tre recueils de poésie, a par­ticipé à des ouvrages col­lec­tifs, aime col­la­bor­er avec des plas­ti­ciens, des musi­ciens. Depuis une ving­taine d’années, nom­breuses paru­tions en revues. Trois recueils ont vu le jour sous la sig­na­ture de Mal­ib­ert, fruit d’un tra­vail à six mains.

Dernières paru­tions : Le champ d’écume- La Bar­tavelle ; Deme­terre- L’Harmattan  (Mal­ib­ert) ; Blanc, Noir, Silenceavec le cal­ligraphe et plas­ti­cien Bernard Van­malle (Livre d’artiste) ; La bien­v­enue du Rouge-queue- Édi­tions Encres Vives ; Baby Blues– Édi­tions du Petit Véhicule avec le pho­tographe Patrick Aubert.

Tra­duc­trice, elle entre­prend en 2013 la co-tra­duc­tion de l’œuvre de Jane Hir­sh­field, écrivain, poète et essay­iste améri­caine.  Sélec­tion de poèmes dans les revues Phoenix, Les Car­nets d’Eucharis, NUNC, Terre à Ciel, Soleil et Cen­dres. Novem­bre 2018 : Come, Thief/Viens, Voleur- Edi­tions Phloème.

 

 

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