Tourner, Petit précis de rotation, titre du livre de Béatrice Machet, est une allusion au Précis de décomposition de Cioran, précise la quatrième de couverture. Mouvements, courbes et cercles, traversent en effet chacune de ses pages au fil d’une impressionnante exploration. L’infinitif du verbe tourner y revient tel un leitmotiv figurant un centre irradiant dans les coins et les recoins de la vie et du vivant, sous toutes ses formes.
Il n’est pas de facette du mot, quel que soit le domaine, qui ne soit ici tournée et retournée. Visions de spirales d’étoiles enroulées au faîte de la nuit. Vols d’oiseaux essaimés dans la nuée. Mât sacré du soleil où s’accroche le regard. Film de la pensée qui se déroule en notre for intérieur. Navigation des mers poursuivie tout autour de la terre entre deux pôles. Retours très loin à l’aube d’un passé que l’on visite à rebours. Jusqu’au tour des machines avec lesquelles on fraise on façonne du lisse. Car tourner renvoie aussi au mouvement des poulies et des roues. Tourner, ce sont également de vertigineux slaloms, ou encore les orbites, où se mettent astres et satellites.
Tourner le dos, dit Béatrice Machet, adossant l’humain à la mer, comme le lieu où s’originent les êtres et les choses, présence elle-même d’une infinie mouvance, auprès de l’irrépressible élan qui nous porte, les mains jusqu’au sang. Ici, on l’a compris, les paysages ne se laissent jamais figer dans ce qui serait l’abstraction d’une simple figure. Ils volent en éclats, pris au scalpel de l’écriture, qui défait, découpe et décortique, jusqu’à la substantifique moelle. Le lecteur est lui-même happé dans sa chair vive par des mots qui scrutent sans répit, et saisissent à l’intérieur de leurs mailles, sensations et significations, décomposent l’instant, entre diastole et systole, diffracté dans les interstices des pulsations du monde. Sens dessus-dessous la tête. Et le voyage se poursuit, cercle tracé, virage pris aux confins d’une géométrie circulaire qui se découpe en filigrane derrière nos existences en ce monde. Elle s’esquisse, se dérobe, réapparaît, semblable puis autre, au fil de mots qui sont autant de chemins tournés et détournés pour la rejoindre, elle et ce qu’elle recouvre d’une face cachée. L’espace ouvre à la terre un envers possible.
Béatrice Machet, Tourner, Petit précis de rotation, Tarmac éditions, 70 pages, 15 euros.
Tourner. Autour des langues et entre. Parcourir d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, le colimaçon par où remonter les étages de Babel. Car Les langues encerclent le monde. Et en explorer les infinies girations, c’est tenter de lever les myriades de voiles qui enveloppent sa rotondité.
Béatrice Machet, fine connaisseuse des nombreux poètes amérindiens qu’elle a traduits en français, a‑t-elle cherché à faire écho avec les roues et les cercles de vie si présents dans ces cultures ? Quoi qu’il en soit, la quête qu’elle poursuit dans ce livre ramène le lecteur au cœur de la vie et à ses battements primordiaux. Son écriture s’incarne dans la multiplicité des registres du vivant, depuis le plus concret, comme celui d’une simple baratte à beurre, jusqu’au mythe d’Orphée, jouant pour Eurydice. En lisant Tourner, Petit précis de rotation, on se rappelle aussi que l’écriture de Béatrice Machet a pris naissance dans sa pratique de la danse. C’est son rythme qu’elle convoque avec ses arabesques, ses sauts et ses glissés, jusqu’à accomplir une éblouissante fusion.
Une expérience de l’évaporation puis de la condensation. Les bonnes intentions distillées redescendues en pluie. Fine. Pénétrante qui vrille la réalité. Du verbe désirer. / Cela fera-t-il présence ? Un livre à lire et à relire, dans le chatoiement des reflets et des ombres qui s’y déploient.
Présentation de l’auteur
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