Béatrice MARCHAL : « R. Rognet ou l’ailleurs qui veut vivre »
suivi de Richard ROGNET : « Lutteur sans triomphe ».
Livre double donc : Béatrice Marchal signe un essai où elle essaie de voir clair dans l’œuvre de Richard Rognet « Ce n’est donc pas moins de vingt-cinq années de poésie, soit une quinzaine de livres, dont la présente analyse va tenter de dégager les lignes de force essentielles… » (p 13).
« Non qu’il veuille dissimuler sa propre homosexualité » (p 14)… Le mot est lâché ; Rognet est homosexuel, non qu’il le revendique ou qu’il le proclame : il n’est pas un partisan… Le nœud central semble être atteint quand Béatrice Marchal écrit : « Une femme intérieure au poète, le Transi auquel il s’identifie, six filles venues de la mythologie antique ou de grandes œuvres littéraires… tout se passe comme si, par le recours à ces figures essentielles dans la quête d’une identité perçue comme plurielle, l’insaisissable moi avait besoin d’être saisi, partiellement, temporairement, pour redevenir insaisissable et ainsi de suite. Richard Rognet revendique ainsi l’importance majeure de la métamorphose dans son œuvre… » (p 55). Et le second livre qui suit l’essai de Béatrice Marchal, est un recueil de poèmes de Richard Rognet, « Lutteur sans triomphe » ; mais pas n’importe lequel puisqu’il fut édité en 1997, obtint le prix Apollinaire et demeura épuisé jusqu’à nos jours.
Béatrice MARCHAL & Richard ROGNET : «Richard Rognet
ou l’ailleurs qui veut vivre » et « Lutteur sans triomphe ».
L’herbe qui tremble, éditeur ; 282 pages ; 18 euros.
Revenons à l’essai de Béatrice Marchal. C’est à une véritable traque qu’elle se livre, son étude est exhaustive, sa lecture minutieuse : moi multiple, émiettement douloureux de sa personne semblent être les caractéristiques qui se dégagent de l’œuvre… La seconde partie de l’essai, intitulée Une identité liée à l’espace et au temps prétend aller plus loin des caractéristiques précédentes. Béatrice Marchal déclare : « De façon générale, l’incapacité du poète à coïncider avec lui-même correspond avec une conception de l’espace et du temps » (p 77). Dès lors la démarche de Béatrice Marchal va se confondre avec une lecture exhaustive de livres de poésie de Richard Rognet comme Le Transi, Je suis cet homme, Recours à l’abandon, Seigneur Vocabulaire, La jambe coupée d’Arthur Rimbaud, Juste le temps de s’effacer et de Ni toi ni personne… Soit des livres de poèmes remontant en terme de publications à un laps de temps qui va de 1985 à 2002 (sauf un inédit à ce jour). Il est sans doute difficile, voire impossible de résumer en quelques mots ce que les livres mettront plus de quinze ans à élaborer comme réflexion car cette dernière aura pu évoluer durant cette période… La troisième partie de l’essai est intitulée « La poésie comme accès au réel », là encore, la lecture de Béatrice Marchal est minutieuse. L’écrivaine commence par un paragraphe ayant pour titre (p 115) « La dénonciation d’une poésie coupée du réel » ; elle est convaincante. Elle relève dans « Lutteur sans triomphe » ces vers : « contente-toi d’un monde mort, / parle sans peur, sans effroi, / de décombres, de clef perdue » (p 135) : c’est que la poésie est morte, victime des attaques répétées du poète contre des conceptions « de la poésie comme ornement et artifice » ( p 118). C’est ainsi qu’elle aboutit à une tentative de redéfinition de la poésie comme énigme (p 138) caractérisée par l’hermétisme, le besoin d’une vision nouvelle, la nécessité des mots pour se construire une identité, la dérision anti-dogmatique à l’égard des procédés stylistiques… La difficulté de cette conception de la poésie réside dans le fait qu’elle est le refus de la quête de l’éternité pour le remplacer par le perpétuel devenir (p 171). Mais je n’aurai rien dit de cette foudre sur laquelle se tient en équilibre Richard Rognet…
C’est une excellente idée que d’avoir réédité « Lutteur sans triomphe » dont il faut féliciter le professionnel du livre de poésie, car ce recueil était épuisé depuis de longues années. Fut-ce un effet du prix qu’il obtint ? Je note les nombreuses questions que le poète se pose (p 186). Je remarque le pronom on : (p 187) qui désigne-t-il ? Le poète ou qui d’autre ? L’allitération lui sert aussi de moyen pour lutter contre les mots choisis (p 190). Je note de nombreux substantifs de genre féminin dans les vers de Richard Dognet (« la lutteuse », p 215 ; « ma provocante », p 210) ; mais je rapproche cette présence de l’introduction de Béatrice Marchal où je relève cette phrase : « De sa volonté de s’adresser à tous, le poète évite d’opposer systématiquement hétérosexualité et homosexualité » (p 16). J’aime ce ton de la conversation, j’aime cette faculté qu’a Richard Rognet de passer d’un poème à l’autre, j’aime ces pavés de prose de semblable longueur à un ou deux vers près, j’aime ces vers qui font sensiblement le même mètre (ah, ce ton de la conversation !), j’aime cette modestie : « et je dis que mes simagrées / qui m’apparentent aux galopins / valent bien mes poèmes, » (p 236). J’aime tout, quoi ! M’intéresse même le charabia du poète (p 252) et ses cris d’orfraie.
Ce livre est une vraie réussite : j’apprend beaucoup à sa lecture. Et je découvre un véritable poète… A lire le poème de la page 260 (et tant d’autres !), je m’interroge : l’homosexualité de Richard Rognet est-elle si vérifiée que cela ? Ou la citation de Béatrice Marchal à laquelle je me réfère est-elle avérée ? Ou je me projette ?
Richard JEFFERIES : « L’Histoire de mon coeur ».
Traduit de l’anglais et présenté par Marie-France de Palacio, celle-ci souligne dès les premières lignes de sa préface le manque de (re)connaissance de Jefferies en France. « L’histoire de mon cœur » est une auto-biographie spirituelle (p 8). Cette déambulation littéraire à travers l’œuvre de Jefferies ne serait rien sans les références (nombreuses) à Thoreau, à Thomas Hardy jusqu’à préciser que « le rapport complexe de la Nature et la culture, établie par l’homme, entre la Nature et le temps, est ainsi au cœur de L’Histoire de mon cœur, comme des écrits tardifs de Jefferies… » (p 12).
Concernant Thoreau, elle souligne les ressemblances entre Thoreau et Jefferies dans lesquelles il faut compter la condition humaine, l’ordre établi, le fait de vivre retiré du monde, la solitude et l’indépendance. Thoreau et Jefferies (p 15) ont en partage « le même tempérament mystique, le même mépris des traditions et conventions, ou encore le même amour passionné des bois, des champs et des cours d’eau, ainsi que le même talent d’écriture pour consigner leurs observations ». Elle ajoute : « En fait, pourquoi ne pas concilier le réalisme de Jefferies, son matérialisme même et son aspiration à une forme diffuse de transcendance ? » (p 31). Mais Jefferies rejette absolument toutes les religions (p 37). Cependant, Jefferies pense que l’homme qui éprouve le changement autour de lui atteint en fait l’éternité en s’arrêtant au plaisir de la sensation présente (p 40). On le voit, le lecteur se trouve en plein dans le problème de la permanence de l’être…
Richard Jeffries, Histoire de mon coeur,
Arfuyen, paris.
L’essai de Richard Jefferies peut alors commencer. L’aspect cosmique n’est pas négligé que ce soit sur le plan spatial (« Me couchant dans l’herbe, je parlais en mon âme avec la terre, le soleil, l’air et la mer à distance… », (p 49) ou sur le plan temporel (« … je portais un regard rétrospectif … jusqu’aux temps anciens des fougères arborescentes, du lézard volant dans les airs, du lézard-dragon se vautrant dans l’écume de la mer… », p 62). « J’ai vu si peu de bonne statuaire, c’est un regret pour moi ; néanmoins, ce que j’ai vu est au-delà de tout autre art » (p 67) : c’est là, tout simplement, que je pense toucher les limites de Jefferies ; que penserait-on de lui aujourd’hui, si on lisait sous sa plume, son goût pour l’art contemporain ? Mais le sens de l’écriture n’est jamais bien loin : « J’ai toujours envie d’écrire « psyché » à la place du mot « âme », mais le résultat est gauche » (p 48). Il me faut honnêtement dire que Richard Jefferies croit à l’immortalité de l’âme , même si je suis athée : « Au moins, pendant ma vie, je me suis réjoui à l’idée de l’immortalité et de propre âme » (p 79). Et ce ne sont pas les lignes qui suivent qui me feront changer d’avis !
Le temps n’existe pas, le temps est éternité, « maintenant est l’éternité » affirme Jefferies page 87. L’ordre chronologique n’est pas respecté comme il l’écrit au début du chapitre 5. Page 127, il dit sa méfiance l’égard des systèmes de pensée, des philosophies prétendant cerner ou avoir pour sujet d’aller à la rencontre de chaque vie humaine, sinon ses doutes. Il semble maîtriser les écritures (ou leurs traductions)des peuplades les plus éloignées de son époque. J’aime ces lignes qui ouvrent le chapitre 8, « Si l’on voulait énumérer tout ce qui a été inutile, il faudrait énumérer presque toutes recherches qui ont été menées jusqu’à maintenant » (p 155). Suit alors un développement où la prudence le dispute à la notion de valeur. Ce qui prévaut, c’est qu’il n’y a pas « la moindre trace de dessein intelligent dans la direction des affaires humaines » (p 167).
Il y aurait encore bien des faits et des déclarations à relever ! Globalement et en l’état, L’histoire de mon cœur est un excellent plaidoyer écologique et sur l’organisation du monde : c’est la grandeur de l’homme et de Jefferies. A nous de jouer contre le jeu politicien dont les politiques usent et abusent pour mieux berner nos semblables et protéger leurs petits intérêts… Une note biographique sur Jefferies et une note sur le présent ouvrage complètent l’introduction de Marie-France de Palacio et l’essai.
Olivier DOMERG : « Onze tableaux sauvés du zoo ».
Jamais titre n’a aussi peu indiqué le contenu du recueil. Seul le chiffre « onze » y fait référence : onze compris dans le titre, onze comme le nombre de poèmes que comprend ce livre. L’auteur, Olivier Domerg, a consacré trois volumes à la montagne Sainte-Victoire, récemment, du point de vue de l’écriture et donne à reconsidérer généralement le relief et sa perception.
Cela commence très fort : « Dans le fond — rebord, plinthe ou contremarche -, la blanche caillasse de la chaîne de Vitrolles, long banc bicolore, bauxite et calcaire, ressort » (p 5). Et ça se termine (ou presque) par ces mots : c’est un bel « hommage consenti à la montagne et au paysage, en général » (p 100). En tout cas, la sensibilité au paysage n’est pas absente : « A midi, en pleine clarté, la montagne fumait presque, en tout cas, donnait l’impression d’une infime lévitation, voire d’une légère évaporation » (p 12). Je me suis promené dans la montagne Sainte-Victoire, je suis même allé à Vauvenargues (p 19) et j’ai vu « cette vague rousse surplombant » le château…Ailleurs, c’est le mélange des termes : « ça caille et ça schlingue » (p 7) et le mot, étonnement poétique et rimbaldien, de flache et que penser d’ovalien ? (p 11). Mais c’est un mélange de vers et de proses ! De sites industriels (l’étang de Berre, la Mède, Fos-sur-Mer) et de lieux préservés (le Pic des Mouches, la chaîne de Vitrolles).
Olivier Domerg : « Onze tableaux sauvés du zoo ».
En librairie ou sur catalogue (prévoir le port dans
ce cas). Atelier de l’agneau, 108 pages, 16 euros.
Et je n’aurai rien dit de la justification à droite, à gauche, par le milieu ; comme je n’aurai rien affirmé de cette façon qu’a Olivier Domerg d’appeler familièrement cette chaîne montagneuse la sainte, de Cézanne (incontournable quand on parle de la montagne Sainte-Victoire) : à la question « A quoi sert le Sphinx ? », la réponse ne se fait pas attendre « A rien, comme Cézanne » (p 41), c’est extrait d’un poème intitulé Dialogue des roches !
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