traduction de Marilyne Bertoncini
Ecrit entre mai et décembre 2015, Beatritz (forme provençale du prénom Béatrice, idéal de la femme aimée) est un livre cultivé, à savourer à plusieurs niveaux. Tout comme les poètes du Stil Novo, en effet, dont il se sent héritier, Mauro di Maria travaille dans ses vers la recherche d’une expression raffinée et d’une poésie cultivée et précieuse. Il nous propose de revisiter ici l’un des thèmes de la grande lyrique courtoise italico-provençale des 13ème et 14ème siècles à travers une recréation de l’image idéalisée de la femme aimée et de sa transformation en figure angélique.
Beatritz, Book Editore, 2017
La référence aux communes sources provençales, germaniques et italiques est prégnante à travers la déclinaison du thème de la Madonna/Midons/Minne : les ombres de Rimbaut de Vaqueiras (cité dans un précédent recueil, Salutz), la Béatrice de Dante, de toute évidence hantent ces vers… Le livre mêle également à cette image de nombreuses citations bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament, tandis que l’épigraphie porte une évidente référence à la topographe florentine, du temps de l’Alighieri à aujourd’hui, comme le rappelle le préfacier, Giuseppe Marchetti. Une vue cavalière de la ville ouvre d’ailleurs le recueil.
Outre le thème, la forme poétique choisie est elle aussi une tentative de renouvellement formel de la lyrique médiévale : ainsi des annotations aux vers sont-elles regroupées sous forme de razos , comme dans les textes provençaux, où ils proposaient à l’auditeur/lecteur des clés pour mieux pénétrer le sens thématique des poèmes. Certains poèmes encore sont reliés par le biais de la coblas capfinidas, procédé caractéristique de la poésie de langue d’Oc : ainsi, entre les poèmes XIV et XIV, le mot “image”, ou bien le mot “toi” entre les poèmes XXVII et XVIII, sont-ils répétés à l’identique, le dernier mot d’un poème servant d’incipit au suivant, selon une forme d’anadiplose.
Le poète, au fil de ses vers mélodieux, mêlant archaïsme et modernité, recrée son propre chant de troubadour : à l’amour idéal de la femme se superpose sa foi dans l’art et la poésie, qui transcende la dégradation du temps, donnant toute leur résonance de modernité à ces poèmes.
VIII
Morbide e senza peso
le mie parole a te
appoggiate nell’aria
come quelle dell’angelo annunziante
la grazia di Maria
dorate ed istoriate
su una pala d’altare trecentesca
e impresse in negativo sulla carta
solo dal fuoco a stampa del tuo sguardo
anche se hai fatto la tua scelta
e nulla può mutare
e non ti tocca il suono
della verga che spezzo col ginocchio,
anche se fai che tutto a te converga
senza che una parola
esca dalla tua bocca
VIII
Douces et impondérables
mes paroles vers toi
suspendues dans l’air
comme celles de l’ange annonçant
la grâce de Marie
dorées et historiées
sur un retable du trecento
imprimées en négatif sur le papier
par le fer rouge de ton regard
même si ton choix est fait
rien ne peut le changer
et ne te touche pas le son
de la baguette brisée sur mon genou1cette image se réfère à l’épisode du mariage de la Vierge, raconté dans Le Livre de Jean, évangile apocryphe, puis dans la Légende dorée de Jean de Voravagine, au XIII° siècle.
Tous les descendants de David avaient été convoqués par le grand prêtre, lorsque Marie eut 14 ans, en vue de l’obtenir en mariage. Chacun déposa une baguette sur l’autel et attendit le signe divin qui désignerait l’élu. Celle Joseph fleurit indiquant qu’il était choisi. L’un des prétendants rejetés réagit en brisant sa baguette. (note du traducteur),
même si tu fais que tout vers toi converge
sans qu’une parole
sorte de ta bouche
XIV
Oblio senza confini
per non accorgermi che esisti
e se non basta scalerò le vette
che s’imprimono ai cieli
dove il silenzio domina
a perdita d’occhio
sebbene sia un inganno
perché il suono pervade ogni mezzo
e in ogni mezzo giunge l’eco
delle tue palpebre
che s’aprono e si chiudono;
solo una stanza debitamente
preparata, depurata di tutto
può ospitare il nulla assoluto
tranne forse il ronzio di sottofondo
snidato solo da strumenti
d’estrema precisione
che la scienza identifica
con l’esplosione primordiale
che ha originato il mondo
ed ancora ci giunge
senza vagliare il dubbio che si tratti
del pensiero di Dio e della sua indagine
sul metodo migliore per separare
luce e buio, creare gli elementi
della vita uno ad uno
ed infine la donna a tua immagine
XIV
Oubli sans limites
pour ignorer que tu existes
et si c’est insuffisant je gravirai les cimes
qui s’impriment aux cieux
où règne le silence
à perte de vue
même si c’est un leurre
car le son pénètre tout milieu
et dans chaque milieu parvient l’écho
de tes paupières
qui s’ouvrent et se ferment ;
seule un chambre dûment
préparée, épurée de tout
peut accueillir le néant absolu
sauf peut-être le bruit de fond bourdonnant
débusqué uniquement par des instruments
d’une extrême précision
que la science identifie
comme l’explosion primordiale
qui a donné naissance au monde
et nous parvient encore
sans envisager le doute qu’il puisse s’agir
de la pensée de dieu et de sa recherche
de la meilleure méthode pour séparer
lumière et ténèbre, créer les éléments
de la vie un à un
et enfin la femme à ton image
XV
Immagine fissata sulla retina
che dicono trattenga ancora luce
anche dopo la morte tissutale
ed è così che resterai con me
sotto la terra, corpo a due dimensioni
che non potrò toccare
ma protetto nell’urna delle palpebre,
mentre tu sempreviva
spargendo perle ai porci
camminerai sul suolo degli umani
con un sonaglio alla caviglia
perché ti possa udire anche da sotto
nel mio corpo percorso dal tempo
e dal tempo corrotto
XV
Image fixée sur la rétine
dont on dit qu’elle retient encore la lumière
même après la mort des tissus
c’est ainsi que tu resteras avec moi
sous la terre, corps à deux dimensions
que ne je pourrai toucher
mais protégée dans l’urne des paupières,
tandis que toi, vivace
distribuant des perles aux porcs
tu marcheras sur le sol des humains
une clochette à la cheville
pour que je puisse t’entendre même dessous terre
dans mon corps parcouru par le temps
et par lui corrompu
XXVII
Collezione di versi e di varianti
e silenzi di creta da plasmare
nell’attimo sospeso all’interstizio
fra la penna e la carta
perché la poesia è un flusso
ininterrotto ed il sangue un lontano
e mortale riflesso dell’utopia
concreta che la eterna
e del verbo divino e primigenio
non ne fa emulazione
ma tersa identità
come alla trinità l’incarnazione
che confuse la terra con il cielo
per una sola volta e nulla più
se si vuole archiviare per casuale
il vortice silente delle piume
d’ignota identità e tassonomia
che balenò nell’aria
quando arrivasti tu
XXVII
Collection de vers et de variantes
et silences d’argile à modeler
dans l’instant suspendu à l’interstice
entre la plume et le papier
parce que la poésie est un flux
ininterrompu et le sang un lointain
et mortel reflet de l’utopie
concrète qui l’éternise
et du verbe divin et premier
elle ne fait pas concurrence
mais pure identité
comme à la trinité l’incarnation
qui confondit la terre et le ciel
pour une seule fois et rien de plus
si l’on veut archiver comme fortuit
le tourbillon silencieux des plumes
d’identité et taxonomie inconnue
qui resplendit dans l’air
lorsque tu arrivas, toi
XXVIII
Tu, seconda persona singolare
d’una lingua di terre temperate
se non fosse che il clima è cambiato
e che la cima della torre
ora potrebbe stare a pelo d’erba
dove il tuo piede s’è posato;
confondere gli idiomi fu un abbaglio
perché il nodo alla gola
che a chi ti si avvicina incaglia il fiato
non è altro che il moto sommesso
delle corde vocali
che dello stesso incanto osano il suono
qualunque sia la timbrica fonetica
che la babelica condanna
ha originato, così di bocca in bocca
rasentando la sfera terracquea
passa la litanìa che ti racconta
come miracolo mostrato
anche a chi non ti vede e non ti tocca
.
.
.
XXVIII
Toi, deuxième personne du singulier
d’une langue de terres tempérées
s’il était arrivé que le climat ne change pas
et que le sommet de la tour
maintenant pourrait être à ras de l’herbe
où s’est posé ton pied ;
confondre les langues fût une bévue
parce que le noeud qui prend à la gorge
qui t’approche et lui coupe le souffle
n’est autre que le léger mouvement
des cordes vocales
qui du même enchantement osent le son
quel que soit le timbre phonétique
que la condamnation babélique
a produit, ainsi de bouche en bouche
rasant la sphère terraquée
passe la litanie qui te dit
comme miracle montré
même à qui ne te voit ni te touche
XLIII
Occhi che diedero l’idea
e furono il modello
del simbolo che emerse dal diluvio
perché è pensando alla tua iride,
se Dio è davvero onnipresente
ed onnisciente, che fu creata
l’iride da porre in cielo
con i colori a ricomporre il bianco
della sclera e la sottile curvatura
del tuo sguardo
che tiene in equilibrio l’orizzonte
con la nera pupilla
che della leva è il fulcro
e della prospettiva
che la vita asciuga
l’unico punto di fuga
XLIII
Ces yeux qui donnèrent l’idée
et furent le modèle
du symbole émergé des eaux du déluge
car c’est en pensant à ton iris,
si Dieu est vraiment omniprésent
et omniscient, que fût créé
l’iris à placer dans le ciel
avec ses couleurs pour recomposer le blanc
de la sclérotique et la courbe subtile
de ton regard
qui tient en équilibre l’horizon
avec la noire pupille
qui du levier est le pivot
et de la perspective
que la vie dessèche
l’unique point de fuite
*
Présentation de l’auteur
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- Pascale Monnin : la matière de la poésie - 6 juillet 2018
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- La Revue Ornata 5 et 5bis, et “Lac de Garance” - 3 juin 2018
- Journal des Poètes, 4/2017 - 5 mai 2018
- “En remontant l’histoire” du Journal des Poètes - 5 mai 2018
- Patrick Williamson, Une poignée de sable et autres poèmes - 6 avril 2018
- Revue Traversées - 6 avril 2018
- Daniele Beghè, Manuel de l’abandon (extraits) - 6 avril 2018
- Jean-Charles Vegliante, Où nul ne veut se tenir - 2 mars 2018
- La revue Cairns - 1 mars 2018
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- Un regard sur la poésie anglaise actuelle (1) - 9 mai 2014
Notes