Bernard Grasset, Brise
Dans le premier livre des Rois, le prophète Elie rencontre Celui que son cœur cherchait dans le murmure d’une brise légère.
Brise : c’est le titre de ce recueil ; or, après cette brève rencontre, Dieu dit à Elie : « repars par le chemin du désert ».
Ce chemin, c’est une quête qui traverse tout le recueil de Bernard Grasset, le poète met ses pas dans ceux d’Elie, il parcourt un chemin d’exil et emmène le lecteur à sa suite ; dès le premier poème, il nous invite à : « Partir s’arracher/… marcher ». Toute vie est chemin et le plus souvent parcouru dans le « feu de l’exil ».
Le poète comme le prophète habite la terre, guette le secret, la Présence et sait que dans le désert on trouve aussi la manne. Il nous emporte en cette communion de la terre et du ciel, en ce partage du pain et du vin. S’associent ici le pain du souvenir : la manne et « le vin de l’avenir » ; résonnent alors comme un écho des paroles christiques : « ceci est mon corps, ceci est mon sang ».
La brise ne cesse de traverser ce recueil, qu’elle soit « la brise du soir » ou regardée « dans les bruns feuillages », elle est toujours : « brise de l’enfance ».
Bernard Grasset Brise Jacques André éditeur coll. Poésie XXI, 2020, 44 p. 13 €.
Cette brise venue à la rencontre d’Elie avant l’injonction qui lui sera faite de repartir sur le chemin du désert, souffle encore aujourd’hui « au secret de l’homme » et inspire toujours les mots du poème. Le recueil s’achève sur ces vers :
La brise souffle encore
Au secret de l’homme,
Et les pages de la vie
S’exhalent en poème
En ce recueil, nous cheminons sur des chemins d’Orient, en des déserts habités par des bergers et des rois qui découvrent un jour ensemble dans une auberge qu’est né le Signe de vérité. De l’Ancien Testament au Nouveau Testament, le poète nous guide sur les traces du prophète Elie qui se désaltère près du torrent de Kerith à l’est du Jourdain. Elie qui préfigure le Christ dont la présence bien que tue est si forte ; dans l’avant-dernier poème on y retrouve le pain et le vin, le mont des Oliviers, la croix dressée, la pierre du tombeau bien sûr et les aromates apportés à l’aube du troisième jour ; on est bien devant le tombeau à la rencontre de ce souffle de l’Esprit qui fera courir celle qui l’entend, pour aller porter la bonne nouvelle d’un « cœur brûlant » :
Le blé et la vigne
Ombres d’oliviers,
Les mots saignent
A l’heure de veiller.
La croix et la nuit,
Coupe de silence,
Sur le mont solitaire
Il n’est plus qu’un cri.
La pierre et le souffle,
Aromates de l’aube,
Courir, murmurer,
Ô cœur si brûlant.
La grande force de ce recueil, c’est de mener sur ces chemins de spiritualité tout homme, qu’il croit au ciel ou qu’il n’y croit pas, qu’il connaisse ou pas les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament ; car le chemin d’Elie c’est aussi le chemin de tout homme, les paysages bibliques sont en osmose avec ceux d’Occident ; le peuplier et le chêne côtoient le sycomore et le figuier.
Le poète est comme le prophète, un témoin, il est donc appelé à témoigner de ce souffle et de cette lumière qu’il a rencontrés et il se doit comme le fait Bernard Grasset « d’écrire la lumière ».
Quelques poèmes extraits du recueil :
Partir, s’arracher,
Alliance d’étoiles,
Présence voilée.
Sable du désert,
Tente d’exil,
Marcher, se souvenir.
Chêne, éclat de midi,
Temps d’hospitalité,
Trois d’hospitalité,
Trois ombres s’approchent.
La déchirure, le puits,
Promesse de miel,
La vie devient chemin.
(p.11)
Les ailes et le temple,
Une flèche de lumière,
Les îles du silence,
Le poème s’embrase.
Un joug solitaire,
L’amandier et le cœur,
Oracle d’enfance,
Bâtir, semer.
La roue de l’exil,
Le livre de miel,
Sur les ossements gris
Viennent les grands vents.
(p. 21)
Barques et filets,
Lac scintillant,
Tu écoutes et devines.
Le monde de l’ombre,
La soif des signes,
Quitter le néant.
C’est l’heure pourpre,
Témoin et ami,
Ecrire la lumière.
Le vent souffle encore,
Proche et lointain.
Le vent du mystère.
(p.31)