Que Bernard Mazo « le passeur », celui au cha­peau, que tout ama­teur de poésie a déjà croisé au moins une fois, écouté aus­si, lu peut-être, fasse l’objet d’un numéro de la revue Phoenix est bien­venu. Ce n’est que jus­tice. Pour le passeur, bien sûr. Pour le poète aus­si. C’est une forme de recon­nais­sance, com­mencée d’ailleurs par l’attribution du prix Max Jacob en 2010 pour son recueil La cen­dre des jours (édi­tions Voix d’encre, 2009). Mazo a la répu­ta­tion d’être un homme généreux. Pourquoi pas ? Je veux bien le croire. Je ne le con­nais pas. Qu’il soit un poète généreux, de cela je suis sûr : je le lis.

Dans la revue Phoenix, Jean Pon­cet mon­tre l’importance de la rela­tion du poète à l’Algérie, là où il a passé 27 mois de guerre, lieu du trau­ma­tisme, Mazo le dit, mais aus­si de la lec­ture des poètes, de l’écriture. De la décou­verte de la cul­ture de l’autre aus­si, de l’illumination que peut représen­ter une telle décou­verte. Le miroir de l’autre, c’est le lieu du chem­ine­ment de celui qui regarde et partage. Ce n’est pas rien un tel événe­ment dans une vie :

En effet, j’ai eu « vingt ans dans les Aurès » comme le per­son­nage du film de Jean Vau­ti­er, au titre éponyme. J’ai passé vingt-sept mois là-bas, au nom d’une cause qui n’était pas la mienne, triste rêveur éveil­lé qui, sans le sec­ours de la poésie, aurait pu som­br­er dans le dés­espoir car on me volait ma jeunesse ! Il n’en reste pas moins qu’à évo­quer cette péri­ode si loin­taine déjà, je ravive une blessure jamais cica­trisée, celle d’une cul­pa­bil­ité entê­tante par rap­port aux « exac­tions » – tor­tures, « corvées de bois », exé­cu­tions som­maires de pris­on­niers, etc – per­pétrées par cer­tains mil­i­taires français, aveu­gles déra­pages indignes du pays des « droits de l’homme », et aus­si le rap­pel de ce qu’était réelle­ment le colo­nial­isme en Algérie et son corol­laire : le paupérisme, qui frap­pait toute la pop­u­la­tion maghrébine du pays. Je porte désor­mais au cœur, et à jamais, comme une secrète meur­tris­sure, cette Algérie mar­tyrisée de ma jeunesse.

[B. Mazo, entre­tien avec Jean Orizet, revue Phoenix n°3, juil­let 2001]

En soubasse­ment de cette œuvre il y a la guerre d’Algérie. Et la renais­sance lumineuse, para­doxale aux yeux de beau­coup sans doute, qui en a découlé. Une lumière qui appa­raît dans les encres du plas­ti­cien et poète Hamid Tibouchi, les lavis qui accom­pa­g­nent les poèmes du dernier recueil de Bernard Mazo, Dans l’insomnie de la mémoire. Qui con­naît le trau­ma­tisme de la guerre dans l’œuvre de Mazo et cer­tains poèmes de Tibouchi, ceux de Parésie par ex, ver­ra à juste titre que cette asso­ci­a­tion de deux poètes est un acte poli­tique. Le recueil dit l’insomnie dans la mémoire.

La poésie de Mazo est ain­si poésie de l’ouverture, ten­due au dessus de la Méditer­ranée, bruisse­ment de la poésie des autres comme aime à le dire le poète. Elle paraît ancrée dans l’Histoire, dans les lieux. Ce n’est qu’apparence : si elle s’ancre là, c’est pour traduire un état plus ample de l’homme, l’état de l’humain et des his­toires dans l’Histoire. Celui des liens. La poésie est ce qui nous relie. Jean Orizet mon­tre bien cela.

La « terre natale » de Mazo, c’est le Poème. Et le Poème est dans l’homme.
Alors, Dans l’insomnie de la mémoire, Mazo nous entraîne dans la frag­ile res­pi­ra­tion du poème :

C’est notre vorac­ité envers tout ce qui est con­damné à mourir qui nous rend telle­ment mal­adroits, telle­ment apeurés jusqu’à en être privés de parole face à la beauté dés­espérée du monde.

Puis dans la déchirure :

 

Si tout se délite
par l’aveuglement des hommes
com­bi­en serons-nous à la fin

Sur cette terre démembrée
fis­surée saccagée

Com­bi­en serons-nous à survivre
à l’éclat soudain meur­tri­er du soleil

 

Ensuite, l’exil et la cica­trice.

Avant de porter la parole retrou­vée comme l’on porte un coup d’estoc, une poésie qui « sait mieux que quiconque qu’aucun des mots qu’elle profère n’est innocent ».

Vient alors ce brasi­er de soli­tude où :

 

Le poète possède
ce pou­voir mystérieux
de déchiffrer
ce qu’on ne voit pas
au-delà du visible
cette ombre indéfinissable
de la beauté cachée
à l’arrière des choses

car la poésie est cela qui, dit le poète, se penche sur

la part
la plus obscure
de nous-mêmes

 

On quitte alors Mazo sur un long ensem­ble con­duisant au silence.

Autour de la paru­tion de :

Bernard Mazo, Dans l’insomnie de la mémoire, Lavis de Hamid Tabouchi, Voix d’Encre, 2011, 19 euros.

Revue Phoenix n° 3, juil­let 2001, dossier con­sacré à Bernard Mazo. Avec des con­tri­bu­tions de Jacques Ancet, Lionel Ray, Max Alhau, Jean Orizet, Jacques Lovichi, Abdel­mad­jid Kaouah, Jean Poncet.

www.revuephoenix.com

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