Bertrand Belin, La Figure

Par |2025-03-06T06:57:00+01:00 6 mars 2025|Catégories : Bertrand Belin, Critiques|

Taraudeur des mots jusqu’à l’os, jusqu’à la brisure pour en extraire la « sub­stan­tifique moelle » des images si per­son­nelles qui en élar­gis­sent les sens, les affinent et les sculptent, les cer­nent et les déplient à la fois, dans le pli même des trau­ma­tismes de l’enfance que ce réc­it auto­bi­ographique déploie dans les plisse­ments d’une âme et d’une chair d’enfant meur­tri certes, mais dont la réécri­t­ure adulte ouvre les relec­tures mul­ti­ples, du « rhi­zome » deleuzien au vis­age d’Alain Bashung « dieu Inca », n’oublie pas jusqu’à l’exégèse de celui qui fut l’auteur, para­doxe des orig­ines peut-être, de la pre­mière forme d’autobiographie occi­den­tale qui prend une tour­nure de con­ver­sion spir­ituelle, Saint-Augustin, auteur des fameuses Con­fes­sions, une forme égale­ment assez romanesque per­me­t­tant ici la cita­tion inter­prète de l’écrivain dans le déchiffre­ment de ce qui reste d’humain, si humain, le rap­port à la Fig­ure tutélaire du Père, pour mieux sauver peut-être le Fils, le fruit de la fil­i­a­tion, « de corps et d’esprit ».

L’élégance des silences, des détours, des blancs ne doivent rien à ceux d’une aut­ofic­tion dans laque­lle le lecteur con­tem­po­rain pour­rait plac­er aisé­ment, pour se ras­sur­er sans doute, ce réc­it fon­da­teur, qui abor­de avec autant de tact que de lucid­ité les choses, moins pour évo­quer une con­ver­sion vers la lit­téra­ture ou une voca­tion de chanteur, bien qu’il s’agisse peut-être aus­si de cela en creux, dans ce corps-à-corps du per­son­nage, en l’occurrence le nar­ra­teur de l’histoire, avec la mar­que d’une Fig­ure errante, comme on pour­rait y lire la folie d’une « Triste Fig­ure », comme une Let­tre au pèrekafkaïenne qui deviendrait dans le drame famil­ial qui se joue avec ces lieux-dits, imposés, l’immeuble, en haut, à l’affrontement, en bas, à l’échappée, cer­cles d’un enfer secret dont la scène, l’auteur en est con­scient, se rejoue dans l’intime de tant d’autres familles, où se nichent autant de sen­ti­ments mêlés, de haines et d’amours mélangées, ain­si peut-être que des des­tins avortés, où la créa­tiv­ité néan­moins demeure, toute une lignée trop humaine, toute une généalo­gie d’êtres chers, dans laque­lle Bertrand Belin a inscrit son écri­t­ure, depuis les chan­sons emblé­ma­tiques jusqu’aux essais en poésie…

Lais­sons la parole alors au maître de céré­monie pour trac­er cette fil­i­a­tion où la sin­gu­lar­ité de l’anecdote atteint la grande lit­téra­ture, l’universalité des univers des lec­tri­ces et des lecteurs, où pal­pite encore la trou­blante veine d’une mère tant aimée : « De cette généalo­gie erra­tique, nous sommes les enfants recon­nais­sants et désolés. Si ce dernier mot peut être pris au sérieux. L’épopée dans l’intime dont ce frag­ment cou­vre un siè­cle, c’est la poutre sur laque­lle je pro­duis quelques cabri­oles de mon inven­tion, car inven­tion il y a et inven­tion il doit y avoir, puisque le sens ne se trou­ve pas dans les faits con­nus de moi mais dans la lec­ture que j’en fais, qui est une médecine aus­si incer­taine mais aus­si pas­sion­née que celle qui con­duisit le doc­teur Franken­stein au bout de son geste aber­rant. Un siè­cle, deux guer­res mon­di­ales, tout de même. Et je ne par­le pas des guer­res d’indépendance. Les coro­ns, je passe, la soupe à la gri­mace, ne rien pos­séder de sa fichue vie. La pre­mière femme de mon his­toire avait le nez dans son enfer. Et l’enfer est un monde clos. Il a crevé comme un abcès en même temps que péris­sant, cette pre­mière femme empor­tait sa douleur. Mais ces choses-là se refor­ment. Et des enfers, qu’importent qu’ils soient finis, enflent et dis­sol­vent des vies partout tout le temps. Ne voyons pas les choses en grand. C’est minus­cule tout ça. Ça tient dans une veine de la joue. Plus mince encore, dans la pal­pi­ta­tion de cette veine. »

 Bertrand Belin, La Fig­ure, P.O.L., jan­vi­er 2025.

Présentation de l’auteur

Bertrand Belin

Bertrand Belin est un auteur-com­­pos­i­­teur-inter­prète, écrivain et acteur français, né le à Auray (Mor­bi­han).

© Crédits pho­tos EDGAR-BERG

Bibliographie 

Discographie

Albums solo

  • 2005 : Bertrand Belin, Sterne/Sony BMG.
  • 2007 : La per­due, Sterne/Sony BMG.
  • 2010 : Hyper­nu­it, Cinq7/Wagram Music
  • 2013 : Parcs, Cinq7/Wagram Music
  • 2015 : Cap Waller, Cinq7/Wagram Music
  • 2019 : Per­sona, Cinq7/Wagram Music
  • 2022 : Tam­bour Vision, Cinq7/Wagram Music

Participations

  • 1996 : Sons of the Desert : Greedy.
  • 2001 : Les enfants des autres : Graines et bulbes (gui­tare, ban­jo, violon)
  • 2002 : Sons of the Desert, Good­night Nois­es Everywhere
  • 2006 : Le grand dîn­er, hom­mage à Dick Annegarn (col­lec­tif)
  • 2007 : Réal­i­sa­tion et arrange­ments de l’al­bum ton pire cheval de Sing Sing.
  • 2008 : Fan­taisie lit­téraire (titre : Pos­tu­lons, texte d’Éric Rein­hardt (adap­ta­tion musi­cale de Bertrand Belin, à la suite du fes­ti­val Les Cor­re­spon­dances de Manosque, sur le livre-disque collectif)
  • 2010 : Trois titres inédits de Georges Brassens sur l’al­bum Pensez à moi édité par la Cité de la Musique à l’oc­ca­sion de l’ex­po­si­tion Brassens ou la liberté
  • 2015 : Inédits trois titres pour le dis­quaire day (avec H‑Burns et Jonathan Moraly)
  • 2016 : 50 ans Sar­avah : La Bicy­clette (voix, arrangements)
  • 2018 : The Lim­iñanas – Shad­ow Peo­ple. Titre : Dimanche.
  • 2018 : Claron McFad­den et Bertrand Belin dans Calami­ty / Bil­ly Opéra de Ben John­ston et Gavin Bryars mis en scène par Jean Lacorner­ie avec les Per­cus­sions Claviers de Lyon
  • 2019 : Arlt : Soleil enculé (vio­lons)
  • 2019 : L’épée : Dreams (textes, chants)
  • 2019 : Vanes­sa Par­adis : Best of (texte du sin­gle : Vague à l’âme sœur)
  • 2019 : Buzy : album Cheval fou titre Où vont mourir les baleines (musique et featuring)
  • 2020 : Rodolphe Burg­er : Envi­rons (fea­tur­ing sur Les Dans­es anglais­es)
  • 2021 : Plaisir de France : Ser­pent (chant, auteur)
  • 2022 : Lau­rent Bar­dainne et Tigre d’Eau Douce : Oiseau (chant, auteur)
  • 2023 : Gaë­tan Rous­sel album Éclect!que : Prom­e­nade (chant en duo)
  • 2024 : The Lim­iñanas : J’adore le monde (chant, auteur)

Collaborations

  • Avec Del­phine Volange : 
    • Mon­ceau
    • Et le ciel était tou­jours sans nouvelles
    • Sub­limons
    • Sirènes (paroli­er)
  • Avec Chet : La Magie
  • Avec Vanes­sa Par­adis : Vague à l’âme sœur

Réalisation

  • Bastien Lalle­mant : Le Verg­er (album)
  • Greg Gilg : 14:14 (album)

Théâtre

Acteur

  • 2014 : Spleeno­ra­ma (Marc Lainé), théâtre de la Bastille
  • 2015 : Low/ Heroes un Hyper-Cycle Berli­nois (Renaud Cojo), Phil­har­monie de Paris
  • 2018 : Calami­ty / Bil­ly, opéra mis en scène par Jean Lacorner­ie, musique de Gavin Bryars, avec les Per­cus­sions Claviers de Lyon (d)
  • 2022 : En tra­vers de sa gorge de et mise en scène Marc Lainé, Comédie de Valence

Cinéma

Acteur

Courts métrages

  • 2006 : Pour de vrai de Blan­dine Lenoir
  • 2013 : Peine per­due d’Arthur Harari : le chanteur

Longs métrages

  • 2011 : Les Chants de Man­drin de Rabah Ameur-Zaïmeche : violon
  • 2017 : Ma vie avec James Dean de Dominique Choisy : Maxence
  • 2018 : Autour de Luisa d’Ol­ga Bail­lif : Julien
  • 2021 : Tralala d’Ar­naud et Jean-Marie Lar­rieu : Seb Rivière
  • 2021 : Playlist de Nine Anti­co : le narrateur
  • 2023 : L’Amour et les Forêts de Valérie Donzel­li : David
  • 2024 : Le Roman de Jim d’Ar­naud et Jean-Marie Lar­rieu : Christophe

Compositeur

Courts métrages

  • 1999 : Avec Marinette, de Blan­dine Lenoir
  • 2000 : Sans autre, t’es rien, de Philippe Jul­lien (avec Néry et Nico­las Delbart)
  • 2001 : Pas de pitié, de Blan­dine Lenoir
  • 2004 : Dans tes rêves, de Blan­dine Lenoir (avec Kool Shen)
  • 2005 : Ma culotte, de Blan­dine Lenoir
  • 2006 : Pour de vrai, de Blan­dine Lenoir

Longs métrages

  • 2014 : Zouzou, de Blan­dine Lenoir
  • 2017 : Aurore, de Blan­dine Lenoir
  • 2018 : Ma vie avec James Dean, de Dominique Choisy
  • 2019 : Moi, grosse (télé­film), de Murielle Magellan
  • 2020 : La Cam­pagne de France, de Syl­vain Desclous
  • 2021 : Tralala d’Ar­naud et Jean-Marie Larrieu
  • 2022 : Annie colère de Blan­dine Lenoir
  • 2024 : Juli­ette au print­emps de Blan­dine Lenoir
  • 2024 : Le Roman de Jim d’Ar­naud et Jean-Marie Larrieu

Publications

  • Sor­ties de route, Vanves, La machine à cail­loux, coll. « Col­lec­tion Car­ré », , 80 p. 
  • SOS, Save our souls (pho­togr. Car­o­line Pot­ti­er), Grane, édi­tions Créaphis, , 96 p. 
  • Till (ill. Valérie Archeno), Arles, Actes Sud, , 104 p. 
  • Requin, Paris, P.O.L, , 192 p. 
  • Lit­toral : roman, Paris, P.O.L, , 96 p. 
  • Grands car­ni­vores, Paris, P.O.L, , 176 p. 
  • Vrac, Paris, P.O.L., 2020, 160 p. 
  • La Fig­ure, Paris, P.O.L., 2025, 280 p. 

Distinctions

  • Fes­ti­val du court métrage de Cler­­mont-Fer­­rand 1999 : meilleure musique de film dans la com­péti­tion nationale pour Avec Marinette
  • Grand prix du disque de l’Académie Charles-Cros 2010 : prix de la chan­son pour Hyper­nu­it
  • Prix Raoul-Bre­­ton 2016

Poèmes choi­sis

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.

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