Bertrand Belin, La Figure

Taraudeur des mots jusqu’à l’os, jusqu’à la brisure pour en extraire la « substantifique moelle » des images si personnelles qui en élargissent les sens, les affinent et les sculptent, les cernent et les déplient à la fois, dans le pli même des traumatismes de l’enfance que ce récit autobiographique déploie dans les plissements d’une âme et d’une chair d’enfant meurtri certes, mais dont la réécriture adulte ouvre les relectures multiples, du « rhizome » deleuzien au visage d’Alain Bashung « dieu Inca », n’oublie pas jusqu’à l’exégèse de celui qui fut l’auteur, paradoxe des origines peut-être, de la première forme d’autobiographie occidentale qui prend une tournure de conversion spirituelle, Saint-Augustin, auteur des fameuses Confessions, une forme également assez romanesque permettant ici la citation interprète de l’écrivain dans le déchiffrement de ce qui reste d’humain, si humain, le rapport à la Figure tutélaire du Père, pour mieux sauver peut-être le Fils, le fruit de la filiation, « de corps et d’esprit ».

L’élégance des silences, des détours, des blancs ne doivent rien à ceux d’une autofiction dans laquelle le lecteur contemporain pourrait placer aisément, pour se rassurer sans doute, ce récit fondateur, qui aborde avec autant de tact que de lucidité les choses, moins pour évoquer une conversion vers la littérature ou une vocation de chanteur, bien qu’il s’agisse peut-être aussi de cela en creux, dans ce corps-à-corps du personnage, en l’occurrence le narrateur de l’histoire, avec la marque d’une Figure errante, comme on pourrait y lire la folie d’une « Triste Figure », comme une Lettre au père kafkaïenne qui deviendrait dans le drame familial qui se joue avec ces lieux-dits, imposés, l’immeuble, en haut, à l’affrontement, en bas, à l’échappée, cercles d’un enfer secret dont la scène, l’auteur en est conscient, se rejoue dans l’intime de tant d’autres familles, où se nichent autant de sentiments mêlés, de haines et d’amours mélangées, ainsi peut-être que des destins avortés, où la créativité néanmoins demeure, toute une lignée trop humaine, toute une généalogie d’êtres chers, dans laquelle Bertrand Belin a inscrit son écriture, depuis les chansons emblématiques jusqu’aux essais en poésie…

Laissons la parole alors au maître de cérémonie pour tracer cette filiation où la singularité de l’anecdote atteint la grande littérature, l’universalité des univers des lectrices et des lecteurs, où palpite encore la troublante veine d’une mère tant aimée : « De cette généalogie erratique, nous sommes les enfants reconnaissants et désolés. Si ce dernier mot peut être pris au sérieux. L’épopée dans l’intime dont ce fragment couvre un siècle, c’est la poutre sur laquelle je produis quelques cabrioles de mon invention, car invention il y a et invention il doit y avoir, puisque le sens ne se trouve pas dans les faits connus de moi mais dans la lecture que j’en fais, qui est une médecine aussi incertaine mais aussi passionnée que celle qui conduisit le docteur Frankenstein au bout de son geste aberrant. Un siècle, deux guerres mondiales, tout de même. Et je ne parle pas des guerres d’indépendance. Les corons, je passe, la soupe à la grimace, ne rien posséder de sa fichue vie. La première femme de mon histoire avait le nez dans son enfer. Et l’enfer est un monde clos. Il a crevé comme un abcès en même temps que périssant, cette première femme emportait sa douleur. Mais ces choses-là se reforment. Et des enfers, qu’importent qu’ils soient finis, enflent et dissolvent des vies partout tout le temps. Ne voyons pas les choses en grand. C’est minuscule tout ça. Ça tient dans une veine de la joue. Plus mince encore, dans la palpitation de cette veine. »

 Bertrand Belin, La Figure, P.O.L., janvier 2025.

Présentation de l’auteur

Bertrand Belin

Bertrand Belin est un auteur-compositeur-interprète, écrivain et acteur français, né le 7 décembre 1970 à Auray (Morbihan).

© Crédits photos EDGAR-BERG

Bibliographie 

Discographie

Albums solo

  • 2005 : Bertrand Belin, Sterne/Sony BMG.
  • 2007 : La perdue, Sterne/Sony BMG.
  • 2010 : Hypernuit, Cinq7/Wagram Music
  • 2013 : Parcs, Cinq7/Wagram Music
  • 2015 : Cap Waller, Cinq7/Wagram Music
  • 2019 : Persona, Cinq7/Wagram Music
  • 2022 : Tambour Vision, Cinq7/Wagram Music

Participations

  • 1996 : Sons of the Desert : Greedy.
  • 2001 : Les enfants des autres : Graines et bulbes (guitare, banjo, violon)
  • 2002 : Sons of the Desert, Goodnight Noises Everywhere
  • 2006 : Le grand dîner, hommage à Dick Annegarn (collectif)
  • 2007 : Réalisation et arrangements de l'album ton pire cheval de Sing Sing.
  • 2008 : Fantaisie littéraire (titre : Postulons, texte d'Éric Reinhardt (adaptation musicale de Bertrand Belin, à la suite du festival Les Correspondances de Manosque, sur le livre-disque collectif)
  • 2010 : Trois titres inédits de Georges Brassens sur l'album Pensez à moi édité par la Cité de la Musique à l'occasion de l'exposition Brassens ou la liberté
  • 2015 : Inédits trois titres pour le disquaire day (avec H-Burns et Jonathan Moraly)
  • 2016 : 50 ans Saravah : La Bicyclette (voix, arrangements)
  • 2018 : The Limiñanas – Shadow People. Titre : Dimanche.
  • 2018 : Claron McFadden et Bertrand Belin dans Calamity / Billy Opéra de Ben Johnston et Gavin Bryars mis en scène par Jean Lacornerie avec les Percussions Claviers de Lyon
  • 2019 : Arlt : Soleil enculé (violons)
  • 2019 : L'épée : Dreams (textes, chants)
  • 2019 : Vanessa Paradis : Best of (texte du single : Vague à l'âme sœur)
  • 2019 : Buzy : album Cheval fou titre Où vont mourir les baleines (musique et featuring)
  • 2020 : Rodolphe Burger : Environs (featuring sur Les Danses anglaises)
  • 2021 : Plaisir de France : Serpent (chant, auteur)
  • 2022 : Laurent Bardainne et Tigre d'Eau Douce : Oiseau (chant, auteur)
  • 2023 : Gaëtan Roussel album Éclect!que : Promenade (chant en duo)
  • 2024 : The Limiñanas : J'adore le monde (chant, auteur)

Collaborations

  • Avec Delphine Volange :
    • Monceau
    • Et le ciel était toujours sans nouvelles
    • Sublimons
    • Sirènes (parolier)
  • Avec Chet : La Magie
  • Avec Vanessa Paradis : Vague à l'âme sœur

Réalisation

  • Bastien Lallemant : Le Verger (album)
  • Greg Gilg : 14:14 (album)

Théâtre

Acteur

  • 2014 : Spleenorama (Marc Lainé), théâtre de la Bastille
  • 2015 : Low/ Heroes un Hyper-Cycle Berlinois (Renaud Cojo), Philharmonie de Paris
  • 2018 : Calamity / Billy, opéra mis en scène par Jean Lacornerie, musique de Gavin Bryars, avec les Percussions Claviers de Lyon (d)
  • 2022 : En travers de sa gorge de et mise en scène Marc Lainé, Comédie de Valence

Cinéma

Acteur

Courts métrages

  • 2006 : Pour de vrai de Blandine Lenoir
  • 2013 : Peine perdue d'Arthur Harari : le chanteur

Longs métrages

  • 2011 : Les Chants de Mandrin de Rabah Ameur-Zaïmeche : violon
  • 2017 : Ma vie avec James Dean de Dominique Choisy : Maxence
  • 2018 : Autour de Luisa d'Olga Baillif : Julien
  • 2021 : Tralala d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu : Seb Rivière
  • 2021 : Playlist de Nine Antico : le narrateur
  • 2023 : L'Amour et les Forêts de Valérie Donzelli : David
  • 2024 : Le Roman de Jim d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu : Christophe

Compositeur

Courts métrages

  • 1999 : Avec Marinette, de Blandine Lenoir
  • 2000 : Sans autre, t'es rien, de Philippe Jullien (avec Néry et Nicolas Delbart)
  • 2001 : Pas de pitié, de Blandine Lenoir
  • 2004 : Dans tes rêves, de Blandine Lenoir (avec Kool Shen)
  • 2005 : Ma culotte, de Blandine Lenoir
  • 2006 : Pour de vrai, de Blandine Lenoir

Longs métrages

  • 2014 : Zouzou, de Blandine Lenoir
  • 2017 : Aurore, de Blandine Lenoir
  • 2018 : Ma vie avec James Dean, de Dominique Choisy
  • 2019 : Moi, grosse (téléfilm), de Murielle Magellan
  • 2020 : La Campagne de France, de Sylvain Desclous
  • 2021 : Tralala d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu
  • 2022 : Annie colère de Blandine Lenoir
  • 2024 : Juliette au printemps de Blandine Lenoir
  • 2024 : Le Roman de Jim d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu

Publications

  • Sorties de route, Vanves, La machine à cailloux, coll. « Collection Carré », 2011, 80 p. 
  • SOS, Save our souls (photogr. Caroline Pottier), Grane, éditions Créaphis, 2013, 96 p. 
  • Till (ill. Valérie Archeno), Arles, Actes Sud, 2014, 104 p. 
  • Requin, Paris, P.O.L, 2015, 192 p. 
  • Littoral : roman, Paris, P.O.L, 2016, 96 p. 
  • Grands carnivores, Paris, P.O.L, 2019, 176 p. 
  • Vrac, Paris, P.O.L., 2020, 160 p. 
  • La Figure, Paris, P.O.L., 2025, 280 p. 

Distinctions

  • Festival du court métrage de Clermont-Ferrand 1999 : meilleure musique de film dans la compétition nationale pour Avec Marinette
  • Grand prix du disque de l’Académie Charles-Cros 2010 : prix de la chanson pour Hypernuit
  • Prix Raoul-Breton 2016

Poèmes choisis

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