Bilal Moullan, Noyé et autres poèmes

Par |2022-07-06T08:21:53+02:00 1 juillet 2022|Catégories : Bilal Moullan, Poèmes|

J’ai marché jusqu’au bord de la mer, là où la 
riv­ière, glacée par la plage de galet, se déverse 
dans un tor­rent doux-salé.
J’ai cru qu’à l’embouchure tout prendrait un 
sens. Dieu, l’u­nivers. Et même toi. Je me suis 
allongé dans le lit de la riv­ière, le roulis des 
vagues me berçait en s’écras­ant à mes pieds…
Et j’ai regardé le ciel en atten­dant la fin du monde.
Un pêcheur a sor­ti un pois­son de l’eau. Plus 
loin, un rire a per­cé le ron­ron­nement des 
vagues. Une femme a posé sa tête sur l’épaule 
de son parte­naire. Et moi ? Et moi je ne me suis 
même pas noyé.
J’ai  fini par regarder en arrière. J’é­tais loin. 
J’au­rais voulu mourir ici. Me noy­er sans le faire 
exprès. Qu’on me pleure, qu’on se rap­pelle de 
moi comme de celui qui était si brave, si triste, 
qui a tout essayé. Avant d’aller tout gâcher.
Et j’ai rebrousé chemin. Sain et sauf, juste 
mouil­lé. La riv­ière n’a rien gardé de moi. Ni 
l’empreinte de mes pas, ni ma pisse, ni les galets 
que  j’ai ric­oché. La mer avait tout emporté. La 
vie  repre­nait son cours.

Papil­lons de nuit

on s’est réveillé
en défaisant les plis
du matin
ceux qui ont fait les ombres
de la nuit

la tresse enroulée de nos corps
enjam­bés dans les draps
de mes bras

les entrelacs de nos cils
où dor­ment encore
des restes de noir

un bat­te­ment
et s’envolent
les derniers papil­lons de nuit

 

Le par­avent

Son regard se perdait
au-délà du paravent.

Dis­crète­ment, je le con­tour­nais pour voir ce qu’elle scru­tait ain­si. Rien.
Rien de vis­i­ble. Pas pour moi. Elle regar­dait le bois.
A tra­vers le bois.
L’autre ver­sant du paravent,
celui où l’on met de côté les choses invis­i­bles à soi-même
qui réa­parais­sent de temps en temps
dans les regards absents.

Ses yeux étaient rivés à l’intérieur.

Par­fois ils tres­sail­laient de droite à gauche
comme si elle com­mandait de cet imper­cep­ti­ble mou­ve­ment des ordres à des objets secrets.

 

Aux jours meilleurs

quel est le prix
de ces sourires charnus
bouffis
qui défor­ment tes traits
rav­agent ton visage
du poids du bonheur

il pèse sur toi quand tu ris

comme l’a­mant passager
qui a servi à  noy­er
la solitude

per­son­ne ne voit
les cicatrices
que lais­sent les sacrifices
offerts aux jours meilleurs
et le rire que tu portes
comme un creux

 

Tout brûler

je crois qu’il fau­dra tout brûler
mon amour
tout
pas seule­ment les télé­phones la télé le canapé
tout
la mai­son la voiture
les papiers surtout
je crois qu’il faut tout brûler mon amour
tout
on dira aux enfants que  c’est un jeu
on dansera
je ne sais pas
on leur dira que c’est pour Dieu
un feu de joie
ils nous en voudront pas
il faut  tout brûler mon amour
sinon on vieillira
le cul bor­dé par la télé
à soutenir les dis­cours de ceux qui font tout
pour empêch­er que les autres aient
ce qu’on n’a jamais su prendre
on peut tout recommencer
se réinventer
mais il faut tout brûler mon amour
tout

 

Présentation de l’auteur

Bilal Moullan

Je suis né en 1994 et je vis à l’île de la Réu­nion d’où je suis orig­i­naire. La poésie, c’est une affaire qui me pour­suit depuis que je sais écrire. J’aime écrire le com­mun, l’or­di­naire et finale­ment la fragilité et l’ur­gence inhérente au quotidien.

Après m’être essayé aux études lit­téraires et ciné­matographiques, j’ai  fait le choix de devenir édu­ca­teur spé­cial­isé et d’évoluer dans un milieu pro­fes­sion­nel où, juste­ment, l’ur­gence et les fragilités sont de l’or­dre du commun.

Actuelle­ment, j’ai mis ma jeune car­rière d’é­d­u­ca­teur entre par­en­thèse pour me con­sacr­er pleine­ment à l’écriture.

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