Bonnes Feuilles PO&PSY – A. Etwebi, E. Gonatas, I. Akhmetiev
Danièle Faugeras et Pascale Janot présentent trois ouvrages à paraître en janvier 2018 aux Editions Erès, Collection PO&PSY
Ashur Etwebi, Le chagrin des absents
Né à Tripoli en 1952, il est une figure majeure de la scène poétique libyenne. Appartenant à la génération des années 1970 qui a révolutionné l’écriture poétique en Libye et l’a ancrée dans la modernité, il s’en distingue néanmoins par une poésie méditative riche d’une mythologie personnelle et d’un regard lucide sur le monde, qui n’a rien perdu de sa fraîcheur et de sa capacité d’étonnement.
Médecin et ancien enseignant à la Faculté de médecine de Tripoli, il fut récemment contraint de quitter son pays pour la Norvège à la suite du saccage de sa maison par des extrémistes.
Il a à son actif neuf recueils poétiques, dont Tes amis sont passés par ici (2001), Lumière sur les êtres et les choses (2010) et La prune n’attend pas longtemps (2013). Il a établi trois anthologies consacrées au poète persan Rûmî, au poète indien Kabîr et à la poésie Haïku.
Épaminondas Gonatas, la crypte et autres poèmes
Épaminondas Gonatas (1924-2006) est né et a vécu à Athènes, où, après des études de droit, il a exercé la profession d'avocat. Mais son univers, c’est surtout la vieille demeure néoclassique en banlieue d’Athènes, entourée d’un vaste jardin, où il a vécu de longues années au milieu des livres, d’objets insolites et hétéroclites, en bonne intelligence avec les plantes et tout un petit peuple d’ animaux.
Son œuvre, aux frontières de la poésie et de la prose, se compose de sept minces ouvrages, parus entre 1945 et 2006. Seul un choix de récits, Le Désert hospitalier, a jusqu’ici été traduit en français (Kaufmann/Hatier, 1992).
À la désignation de "surréalisme", avec laquelle la critique perplexe accueille ses recueils, il répond dans La Crypte : « Je n’ ai pas d’oiseaux en cage. »
« Je ne suis pas un “faiseur de rêves”, dit-il dans l’une des rares interviews qu’il ait accordées, sur le tard. « Ce que j’écris est vécu. Et la composante fantastique que l’on trouve dans mon œuvre est en fait l’absurde, lié à l'ambiguïté du réel. »
Inlassable observateur du concret, Gonatas cherche la réalité cachée derrière les apparences. Voilà que les choses familières que nous croyions inertes se mettent à rayonner d’un éclat surnaturel, parfois inquiétant, voilà qu’elles s’animent. Des fleurs mordent, des chaussettes protestent, une poire s’échappe et se révolte. Avec une forme d’humour particulier, le poète révèle l’insaisissable mystère du monde. Dans sa "Crypte", chaque texte a la concision et l’éclat singulier d’une énigme.
Réfractaire à ce qui enferme, refusant toute étiquette, il ne s’est jamais identifié à aucun courant et s’est tenu délibérément écarté de la notoriété malgré l’intérêt du public pour ses écrits, traçant son propre chemin loin des modes et des écoles. Néanmoins fidèle à une communauté spirituelle d’écrivains et d’artistes - entre autres les poètes Miltos Sahtouris, Eggonopoulos et Papaditsas et le peintre Alexis Akrithakis, qui a crée des vignettes pour certains de ses recueils (reprises dans ce volume).
Gonatas est par ailleurs connu pour ses traductions, peu nombreuses et choisies (Flaubert, Borgès, Supervielle, Soupault, Leiris...). Mais il a surtout fait connaître en Grèce les œuvres de ceux qu’il appelait « les âmes pures », auteurs méconnus ou à demi oubliés : Antonio Porchia, Pierre Bettencourt, Ivan Goll, Wols, Georg C. Lichtenberg, Samuel T. Coleridge. En 1994, il a reçu le Prix national de traduction pour les Voix de Porchia.
Ivan Akhmetiev, rien qu’une collision de mots
Le parcours d’Ivan Akhmetiev, né à Moscou en 1950, est moins atypique qu’il n’y paraît pour un poète russe de son temps. Après des études de physique, il travaille brièvement dans un institut de recherches avant de tout abandonner pour se consacrer à la littérature à laquelle il s’initie en autodidacte. Il fréquente alors les milieux dissidents et subvient à ses besoins en devenant tour à tour boulanger, pompier chargé de la protection anti-incendie au musée de Kouskovo, gardien, concierge et chauffagiste. En décembre 1978, Akhmetiev prend part à une manifestation en faveur des droits de l’homme. Il est victime d’un internement psychiatrique forcé en 1979. En 1984, il trouve un emploi de bibliothécaire. Après la perestroïka, il exerce des activités de traducteur et de rédacteur. Dès 1991, quand le milieu de l’édition devient plus libre, il s’emploie à publier la littérature clandestine de la période soviétique. Son œuvre de découvreur et d’anthologiste lui vaut de recevoir en 2013 le prix Andreï Biely « pour services rendus à la littérature russe ».
Ivan Akhmetiev écrit depuis l’adolescence. Sa rencontre avec Vsevolod Nekrassov, le "pape" du minimalisme russe, joue un rôle majeur dans sa vie. Ses poèmes, d’abord diffusés en samizdat, sont aujourd’hui régulièrement publiés. Outre de nombreuses parutions en revue, il est l’auteur des recueils : Miniatures (1990), Des poèmes et rien que des poèmes (1993), Neuf ans (2001), Amores (2002) et Ce n’est rien ça passera (2011). Il a été traduit en anglais, arménien, bulgare, hongrois, espagnol, italien, allemand, polonais, roumain, serbe, slovaque, croate, tchèque et désormais français.
Extraits
j’attends d’être sûr
de mon bon droit
du droit au texte
parfois
une minute
on peut l’étirer
le reste du temps
je suis douloureusement absent
durant l’attente
je cesse d’attendre
on dirait même que je n’ai plus besoin
de ce que j’attends
c’est ainsi que je finis par l’obtenir
devant des gens qui me sont étrangers
je ne peux parler
ni vivre
ce qui me distingue
de beaucoup d’autres auteurs
c’est que je connais personnellement
tous ceux qui me lisent
tant de fenêtres
derrière chacune
on voudrait vivre
le soir
je regarde des films muets
aux fenêtres de l’immeuble d’en face
en écrivant dans le noir
je n’ai pas remarqué
que mon stylo n’écrivait plus
etc.