Brigitte Gyr, Partition tombée en poussière

Brigitte Gyr a un don pour dire l’énigme, elle le sait :

aujourd’hui comme hier
nous traçons
ce que par avance 
tel un pacte sacré
nous renonçons
à          connaître

 

Est-ce pourquoi son écriture m’enchante – au sens fort du mot. Avec elle, j’entre dans un univers où les choses comme les êtres ont le tremblé que j’aime ; et ses images, ses figures sont toujours inattendues, elles nous ouvrent à des musiques nouvelles, des sensations qu’on n’avait pas connues. On a le sentiment qu’elle suit son phrasé, autant qu’elle le guide. D’où la profonde légèreté de son écriture ?

D’après Partition tombée en poussière, son dernier recueil dédié à sa mère la pianiste Suzanne Gyr (qui réalisa de 1944 à 1947 une série de 53 disques 78 t/mn pour His Master’s Voice), une exécution aurait eu lieu un premier de l’an – peut-être afin d’inaugurer la première année d’une vie nouvelle ? Voilà ce que j’imagine. Il avait fallu

couler ce que l’on nomme mémoire
dans une cuve façon ciment 
s’empêcher de penser

 

Brigitte Gyr, Partition tombée en poussière, La Rumeur libre, collection Plupart du temps, 2021, 84 pages, 15 €.

Mais on ne se débarrasse pas si facilement de sa mère, elle revient toujours :

sur fond tranché dans le vif
j’ai aperçu son visage arrêté sur un accord
l’épaisseur de cette mémoire
l’épaisseur de cette mémoire
                     gelée
                     cette année-là
m’est revenue
                     en vrac

… mais pas les accords dont la petite fille, couchée sous le piano, résonnait tout entière. Elle écrit  quelque part que sa mère craignait les mots et que ses doigts parlaient pour elle… 

Est-ce pourquoi ses poèmes s’égrènent sur le fond d’une désolation dont on aurait perdu la mémoire ? 

jamais ne se descelle
la tombe
close sur un tout premier secret

Une désolation que la beauté de l’écriture contredit… et je pense au blues (rien de classique pourtant !), de chanter leur malheur les esclaves retrouvaient une vie.

du plus profond de ma mémoire confuse
remonte parfois comme un présage
l’avant scène
le trac qui glaçait ses doigts 
hantait les fauteuils rouges 

Rouges comme « le rideau couleur sang »... Le guichet a fermé, écrit Brigitte Gyr. Tous les guichets se ferment un jour ou l’autre. Elle semble ne pas pouvoir s’en consoler. Mais

il me reste en partage
à épeler des notes
                sans solfège
à écrire
               sans grammaire

 

Présentation de l’auteur

Brigitte Gyr

Brigitte Gyr est née à Genève. Après ses études  (droit et sciences politiques) elle  pratique en tant qu’avocate. Puis s’établit à Paris, où parallèlement à son travail d’écriture (poésie,     nouvelles, théâtre, livres jeunesse), elle travaille comme traductrice et anime des ateliers d’écriture.  Elle participe à des festivals en France et à l'étranger.

Bibliographie 

Brigitte Gyr a publié une quinzaine d’ouvrages en poésie, dont de nombreux livres d’artiste notamment : Parler nu éditions Lanskine (prix Charles Vildrac 2012 de la SGDL) ; Incertitude de la note juste, éditions Lanskine 2014 ; (premio di Ligrio, Rome : 2015), le vide notre demeure (La Rumeur libre). Brigitte Gyr écrit pour le théâtre (La Dictatrice, 2017) et pour la jeunesse (Editions du Rocher/ Los Païs d’enfance), ainsi que des nouvelles (publiées en revues : Bozzetto (Suisse), Matrix (Allemagne), Harfang, Siècle 21… Elle figure dans de nombreuses anthologies françaises, et bilingues. Ses poèmes sont traduits en plusieurs langues (allemand, italien, anglais, espagnol, hébreu, grec, arabe, slovène.

Poèmes choisis

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