Brigitte Maillard, L’Au-delà du monde
Dans ce recueil intitulé, L’au-delà du monde, Brigitte Maillard interroge cette tension permanente entre le réel et son envers et en définitive entre la vie et la mort dont toute existence porte la déchirure à la fois éblouissante et tragique. Ce texte envoûtant et profond se propose donc d’aller « au-delà », dans cette zone frontière entre le visible et l’invisible que la poésie, selon sa propre définition, ne cesse d’interroger :
Au-delà du monde
Il y a quelque chose de grave et d’inattendu dans la
Vie.
Il y a un lieu dans le monde, certains diraient une utopie, où il n’y a pas….C’est un au-delà du monde.
Un fruit au cœur de l’arbre. (p.5)
En explorant ainsi la limite, on se situe « au bord de l’univers » en un étrange voyage où se dévoile une autre dimension de la réalité :
Là où il n’y a pas de forme, de son, de parfum de goût, de toucher ni d’éléments, dit Le Sûtra du Cœur. Un autre monde se dévoile. Avec le temps se dégage la réalité des représentations illusoires. La lutte est souvent rude contre la présence extravagante du Monde. C’est un renversement complet qui nous attend. (p.6)
Ainsi délestés de tout leurre par l’épreuve du temps, seule en nous demeure la pure sensation d’exister que scandent inlassablement quelques phrases épurées dont l’économie de moyens ne vise qu’à atteindre l’essentiel :
Ne plus vivre la vie
Mais la vie devenir. (p.9)
Comme une terre inconnue, cet au-delà du monde reste bien sûr impossible à appréhender puisqu’il ne peut s’atteindre qu’au prix de notre propre disparition. Cet échec toutefois est aussi un vecteur d’éblouissement qui nous porte à aimer la vie davantage encore à travers son éphémère fragilité :
De cette grâce familière
Ne veux-tu pas tenir le monde
Jusqu’à plus soif
Jusqu’à plus rien (p.10)
Ainsi perdus au milieu de nulle part, il s’agit de faire danser la beauté et d’accepter que « la réalité ne soit qu’un masque pour le devenir » avec pour seule boussole cette aspiration permanente à la lumière :
Revenons au soleil
A la joie de l’éclair
Au passé furtif
Du boulevard
Des rêves. (p.37)
Si tout n’est qu’adieu et perte, il y a là cependant matière à créer « un gai savoir » porteur d’un brin de légèreté et d’ironie :
Vivre le temps d’un fruit (p.39)
Ainsi pour Brigitte Maillard, le but ultime de toute poésie est de se heurter à cet impossible Réel « tracé par les lignes » qui parcourent sans répit ce fil ténu « au bout du rien » où douceur et douleur ne font plus qu’un. En définitive cet arrière-monde parce qu’il demeure celé nous renvoie toujours à « l’ici », seul territoire que la parole parvient à parcourir :
J’ai cherché des langages pour
Entendre le monde, m’entretenir avec lui. (p.46)
Le poète n’est plus alors qu’un simple témoin qui porte la soif d’une inatteignable transcendance. Mais cet échec même, cette fracture est ce qui nourrit l’écriture poétique dont ce texte constitue un vibrant hommage où se devine la richesse de tout un cheminement intérieur. En sa forme, il mélange harmonieusement réflexion, aphorismes, citations et même si certaines formulations sont beaucoup plus saisissantes que d’autres, il contient de très belles et saisissantes fulgurances. L’originalité de la construction, en ses ruptures de style, crée une sorte de vertige qui nous conduit progressivement vers une sorte d’épure à travers laquelle filtre cependant l’espoir d’une clarté soudaine :
Bientôt je serai dans la lumière
Pour créer le jour. (p.29)
Ce très beau recueil, nous conduit donc à cheminer vers l’inconnu, cette œuvre de toute une vie, que nous parcourons dans les pas de l’auteur jusqu’au seuil infranchissable de cet Au-delà du monde :
Je ne suis que limites tracées par des lignes
Qui suivent le cours des choses. Ligne de vie, de
Rêve ancien, qui me relie au dessin du monde.
Jusqu’à la limite singulière, au bord du monde : là
Est un visage où se dévoile la ligne imaginaire : Au-
Delà du monde.