Bruno Doucey, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti

La poésie féminine en Haïti, une anthologie qui suit le fil séculaire du genre sur cette île où il ne doit pas être évident d’être poète, encore moins femme.

Un gros volume de belle couleur scindé en cinq parties qui suivent un ordre chronologique, trente-cinq poétesses, présentées aussi en fin de volume grâce à une biographie, et une préface de l’éditeur Bruno Doucey. Un supplément non négligeable complète ce volume  : un CD qui nous offre “33 voix de la poésie féminine haïtienne”.

Haïti c’est d’abord une histoire complexe et sanglante. Cette île qu’on appelle  "Perle des Antilles", est aujourd'hui un état indépendant. La colonisation en a fait le seul pays francophone indépendant des Caraïbes. Son histoire, de colonisation en dictatures, et les catastrophes naturelles qui s’abattent régulièrement sur elle, ont encore récemment, marqué ses habitants. Le séisme de 2010 pour mémoire, survenu le 12 janvier,  tremblement de terre d'une magnitude de 7,0 à 7,3, a fait plus de 230 000 morts et 220 000 blessés. Un pays pauvre désormais à reconstruire, une fois de plus.

Bruno Doucey, Terre de femmes, 150 ans de poésie
féminine en Haïti, éditions Bruno Doucey, collection
Tissages, 2019,296 pages, 19€50.

Les poètes de langue créole ou/et francophones sont très nombreux à Haïti. Parmi les plus connus ayant écrit directement en français au moins une partie de leurs textes, on peut citer  Jean Metellus. Et les femmes ? Bruno Doucey nous montre justement qu’il existe une poésie féminine foisonnante et d’une extrême beauté. La table des matières nous interpelle. On remarque que nous avons peu de traces des poétesses de la première moitié du 20 ème siècle... Pas de traces ou pas de possibilité pour les femmes de laisser émerger leurs écrits ? 

La première partie de cette anthologie “Avant 1915” témoigne de la rareté de la survivance des écrits poétiques féminins de ce début de siècle. De Virginie Sampeur, une des deux poétesses (avec Ida Faubert), nous pouvons lire ce si beau poème "L'Abandonnée", qui ouvre l'anthologie.

 

Virgine Sampeur, L'Abandonnée, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, Bruno Doucey.

"De 1915 à 1934",  seconde partie sous-titrée "S'il me fallait, au monde présenter mon pays", nous présente plus de noms, huit, et ce poème de Marie-Thérèse Colimon, « Mon pays », qui contient les quelques mots qui sont repris en présentation de cette partie.

 

Marie-Thérèse Colimon, Mon pays, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, Bruno Doucey.

La troisième partie, "De 1935 à 1956, Non, je ne me tairai pas…",  nous offre la toujours si magnifique poésie d’Evelyne Trouillot. Mais tous les textes proposés sont des morceaux choisis parmi certainement les plus beaux de ce que peux proposer la poésie féminine haïtienne… Pour exemple, ce poème de Marie-Célie Agnan…

Marie-Célie Agnan, Poème de ma mère, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, Bruno Doucey

Il y a aussi ce poème, "La Fidélité non plus” qui introduit cette troisième partie, avec Yanick Jean, poétesse, romancière et peintre décédée en 2010, que les éditions canadiennes Mémoire d’encrier contribuent aujourd'hui à sortir de l’oubli.

 

Yanick Jean, La Fidélité non plus, Terre de femmes, 150 de poésie féminine en Haïti, Bruno Doucey.

La quatrième partie, "1957 – 1986, Nous nous appliquons à dessiner une porte de sortie”, propose des voix qui sont arrivées jusqu’à nous plus facilement, grâce à la proximité temporelle, certainement. Savannah Savary, Marie-Marcelle Ferjuste, Judith Pointejour, Elvire Maurouard, Maggy De Coster, et Stéphane Martelly y figurent, avec des textes extraits de différents recueils.

Stéphane Martelly, Départs, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, éditions Bruno Doucey.

Kerline Devise, Ma Nudité, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, éditions Bruno Doucey.

La dernière partie, "Après 1986, La langue de ma mère se tord en ma bouche", ne propose que deux noms, peut-être ceux qui émergent d’un période relativement proche, qui n’a pas laissé le temps nous révéler d’autres figures emblématiques. Nedjmhartine Vincent et Murielle Jassinthe clôturent donc cette somme dense et riche qui constitue cette anthologie.

Nous le voyons, le parti pris n’est pas linguistique, les versions proposées le sont en français, pas en créole. Le tour d’horizon n’est est pas moins complet et hétéroclite, et laisse toute latitude au lecteur de s’immerger dans la culture haïtienne. Cette anthologie nous permet une plongée dans la poésie de cette île qui a une histoire tourmentée perceptible dans le choix des textes. La place des femmes apparaît aussi implicitement ici. Car les pépites offertes témoignent de ce que ces voix de femmes ont majoritairement échappé au public. Ne l’oublions pas les anthologies sont habituellement la tribune d’une poésie masculine qui occulte bien souvent les œuvres de poétesses que Bruno Doucey met ici un point d’honneur à soutenir, rendre perceptibles, et même parfois réhabiliter. Une belle somme agrémentée par les lectures des 33 textes présents sur le CD qui accompagne cette belle publication.