Ce numéro mar­que un tour­nant, la fin d’un cycle,  ain­si que le souligne André Ughet­to dans son édi­to. une ultérieure pos­si­bil­ité de renou­veau pour la revue éponyme de l’oiseau sans cesse renaissant.

En effet, la revue, avec ce numéro 20, accom­plit sa cinquième année d’ex­is­tence : belle longévité dans la qual­ité main­tenue l’équipe de rédac­tion, à la suite de Sud, et Autre Sud. C’est aus­si la cinquième et dernière attri­bu­tion du Prix Léon-Gabriel Gros. Cette année la lau­réate est Valérie HUET, dont est pub­lié l’in­té­gral­ité du recueil, Dans la Blancheur des signes. 

Le numéro s’ou­vre sur “Une lec­ture pour Dans la Blancheur des signes”, de Karim De Brouck­er. La poésie de Valérie Huet (ici, une série de très brefs poèmes – comme ceux de ses qua­tre précé­dents recueils — dont les titres décli­nent toute une gamme pré­cieuse de nuances de couleurs) devrait, écrit-il, être lue “à rebours” du phénomène de synesthésie esthé­tique baude­lairi­enne à laque­lle elle fait penser, nous invi­tant plutôt à voir chaque col­oris exprimé par le titre comme “l’é­ma­na­tion, la tran­scrip­tion d’une ren­con­tre, d’un sou­venir, d’un spec­ta­cle, de tel moment fugace, telle impres­sion intérieure ou extérieure, fugi­tive ou non”.

Cette blancheur, qui fait penser au “cygne” mal­lar­méen et au sym­bol­isme déca­dent, est peut-être aus­si fusion de toutes les couleurs dans la lumière, dev­enue fusion de toutes les sen­sa­tions dans les poèmes, pour lesquels le terme “à rebours” choisi par le cri­tique sem­ble très appro­prié. Cette poésie raf­finée est parée en effet des mille iri­sa­tions du paon, de mille nuances d’im­per­cep­ti­bles sen­sa­tions, dont on lit peut-être la con­cré­tion poé­tique dans l’é­cho (par­fois para­dox­al, énig­ma­tique, ou humoris­tique) entre un titre et un mot, l’al­litéra­tion poïé­tique à l’oeu­vre dans ce qui amène le lecteur à une rêveuse dérive analogique, entraîné dans le sil­lage de ces fort jolis bibelots sonores soigneuse­ment éti­quetés, qu’on imag­ine bien dans le décor de Des Esseintes, et qu’on ouvre avec goru­man­dise pour en goûter la saveur, le par­fum. On cit­era ain­si la sen­su­al­ité sucrée de “Vanille fraise” :

 

Avec son ongle rose elle défroisse la feuille,

puis lente­ment se couche

et mange le chocolat.

 

 

qui s’op­pose à la sécher­esse ellip­tique de “Poil de chameau”:

 

Sans don­ner de réponse

(j’é­tais convalescente),

je suis retournée sur les chemins de sable.

 

 

Ailleurs, la couleur débor­de – comme l’in­verse allitéra­tion d’ex-ister”, du pis­senlit du titre aux épices dans “Jaune Pissenlit”:

 

Exis­ter rouler non sans épices

du sens de l’être

la racine vers le haut.

 

Cer­tains poèmes, comme “Rose bal­ais”, s’an­non­cent comme un macabre fait-divers  dont l’hu­mour noir et la bru­tale briéveté rap­pel­lent les chroniques de Félix Fénéon :

 

Elle sort les gâteaux du four,

coupe un morceau de jambon, 

tue les enfants aus­si sec,

net­toie les vitres.

 

tout comme “Gris rosé” joue à être l’amorce d’un réc­it – mélo­drame, ou thriller psy­chologique non dénué d’une touche de comédie : 

 

Le col de son chemisi­er large­ment défait, 

la voi­sine aux chaussons,

descend l’escalier. 

 

 

Le poème “Bleu gitane” qui sem­ble procéder par “con­t­a­m­i­na­tion” de l’im­age pub­lic­i­taire jadis ornant les paque­ts de cig­a­rettes four­nit peut-être un indice de la nais­sance de ces textes : 

 

De la chem­inée comme la fumée,

la fumée d’un feuillage, 

je m’en­v­ole. 

 

de même que  “Gris pous­sière”  révéle peut-être le chem­ine­ment ménag­er de l’imag­i­na­tion aspi­rant le réel pour le trans­pos­er dans les vers : 

 

Dis­traite­ment con­cen­trée, je suis les traces

et sans cesse me revient l’aspirateur 

des journées.

 

“Rose pam­ple­mousse”, qui clôt ce recueil, a la beauté des poèmes de médi­ta­tion zen : sa couleur se reflète dans tout ce qui précéde, dont on sait que l’on aura plaisir à y goûter de nou­veau, dans le calme décor cré­pus­cu­laire évo­qué, où il luit d’une lueur d’aurore : 

 

Il me plaît d’être assise.

Le monde frémit

tamise la lumière

men­ace la nuit.

 

Ce numéro 20 pro­pose égale­ment deux poèmes de Léon-Gabriel Gros, extraits des Elé­gies augu­rales (1949–1952), et suiv­is d’un hom­mage à trois poètes dis­parus. Bruno Doucey et Marie-Chris­tine Mas­set évo­quent la mémoire de Jean Jou­bert, à tra­vers une let­tre du pre­mier et un hom­mage de la sec­onde, qu’ac­com­pa­gne le poème inau­gur­al du recueil Les Lignes de la main (Seghers, 1955) : “Il dis­ait”. Daniel Fab­re évoque François Bor­des, tan­dis que Bar­bara Wahl et Emmanuel Cat­tin nous par­lent de Jean Wahl. 

 

La rubrique “Archipel” pro­pose des textes de Jean-Blot et de Thier­ry Laget, ain­si que “Cinécure”, de Pierre Stéphane Murat et Jean-Romain Pinguet, opposant avec brio – et à deux plumes —  les deux pôles du ciné­ma : “la con­tem­pla­tion, née de la pein­ture, et la frénésie, due à l’art du mon­tage”. La con­tem­pla­tion est du côté du “lent métrage” Un jour pousse l’autre de Bernard Boy­er, salué par Pierre-Stéphane Murat comme un “Ozu de l’Oisans” fil­mant à la façon doc­u­men­taire de Depar­dieu le quo­ti­di­en de deux frères, témoins d’un monde qui bien­tôt ne sera plus que sur ces images : “Faits et gestes imm­muables aux­quels on assiste, rythme sere­in et mélan­col­ique d’un monde qui se sait révolu”. De l’autre côté se tient le dernier Mad Max, tout de bruit et fureur, bras­sant avec suc­cès (aus­si et avant tout du point de vue com­mer­cial) les rêves et aspi­ra­tions de son époque : “cat­a­logue com­mer­cial des valeurs uni­formes d’une époque glob­al­isée, amnésique et autoréféren­tielle, avide de sen­si­bil­ité et de sensations.”

Le numéro se clôt comme à son habi­tude sur une série de lec­tures  de recueils récents de poésie et de pub­li­ca­tions de réc­its, théâtre, essais, par Marie-Claude Mas­set, Marc-Paul Pon­cet, André Ughet­to Fabi­en Abras­sart, Nico­las Jaen, Philippe Leucks, François Kas­bi, Daniel Aran­jo, Nico­las Rouzet, Charles Jacquier et Corinne Jutard. La 4ème de cou­ver­ture met  — en vers, et sans men­songe, un point d’orgue autant qu’un point final à la lec­ture, avec le trou­blant “vert men­the” de Valérie Huet :

 

Dans la blancheur des signes,

les signes de la neige glacée de la nuit tombent

avant l’aube.

 
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Marilyne Bertoncini

Biogra­phie Enseignante, poète et tra­duc­trice (français, ital­ien), codi­rec­trice de la revue numérique Recours au Poème, à laque­lle elle par­ticipe depuis 2012, mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Phoenix, col­lab­o­ra­trice des revues Poésie/Première et la revue ital­i­enne Le Ortiche, où elle tient une rubrique, “Musarder“, con­sacrée aux femmes invis­i­bil­isées de la lit­téra­ture, elle, ani­me à Nice des ren­con­tres lit­téraires men­su­elles con­sacrées à la poésie, Les Jeud­is des mots dont elle tient le site jeudidesmots.com. Tit­u­laire d’un doc­tor­at sur l’oeu­vre de Jean Giono, autrice d’une thèse, La Ruse d’I­sis, de la Femme dans l’oeu­vre de Jean Giono, a été mem­bre du comité de rédac­tion de la revue lit­téraire RSH “Revue des Sci­ences Humaines”, Uni­ver­sité de Lille III, et pub­lié de nom­breux essais et arti­cles dans divers­es revues uni­ver­si­taires et lit­téraires français­es et inter­na­tionales : Amer­i­can Book Review, (New-York), Lit­téra­tures (Uni­ver­sité de Toulouse), Bul­letin Jean Giono, Recherch­es, Cahiers Péd­a­gogiques… mais aus­si Europe, Arpa, La Cause Lit­téraire… Un temps vice-prési­dente de l’association I Fioret­ti, chargée de la pro­mo­tion des man­i­fes­ta­tions cul­turelles de la Rési­dence d’écrivains du Monastère de Saorge, (Alpes-Mar­itimes), a mon­té des spec­ta­cles poé­tiques avec la classe de jazz du con­ser­va­toire et la mairie de Men­ton dans le cadre du Print­emps des Poètes, invité dans ses class­es de nom­breux auteurs et édi­teurs (Bar­ry Wal­len­stein, Michael Glück…), organ­isé des ate­liers de cal­ligra­phie et d’écriture (travaux pub­liés dans Poet­ry in Per­for­mance NYC Uni­ver­si­ty) , Ses poèmes (dont cer­tains ont été traduits et pub­liés dans une dizaine de langues) en recueils ou dans des antholo­gies se trou­vent aus­si en ligne et dans divers­es revues, et elle a elle-même traduit et présen­té des auteurs du monde entier. Par­al­lèle­ment à l’écri­t­ure, elle s’in­téresse à la pho­togra­phie, et col­la­bore avec des artistes, plas­ti­ciens et musi­ciens. Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr * pub­li­ca­tions récentes : Son Corps d’om­bre, avec des col­lages de Ghis­laine Lejard, éd. Zin­zo­line, mai 2021 La Noyée d’On­a­gawa, éd. Jacques André, févri­er 2020 (1er prix Quai en poésie, 2021) Sable, pho­tos et gravures de Wan­da Mihuleac, éd. Bilingue français-alle­mand par Eva-Maria Berg, éd. Tran­signum, mars 2019 (NISIP, édi­tion bilingue français-roumain, tra­duc­tion de Sonia Elvire­anu, éd. Ars Lon­ga, 2019) Memo­ria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l’autrice, ed. PVST. Mars 2019 (pre­mio A.S.A.S 2021 — asso­ci­azione sicil­iana arte e scien­za) Mémoire vive des replis, texte et pho­tos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – novem­bre 2018 L’Anneau de Chill­i­da, Ate­lier du Grand Tétras, mars 2018 (man­u­scrit lau­réat du Prix Lit­téraire Naji Naa­man 2017) Le Silence tinte comme l’angélus d’un vil­lage englouti, éd. Imprévues, mars 2017 La Dernière Oeu­vre de Phidias, suivi de L’In­ven­tion de l’ab­sence, Jacques André édi­teur, mars 2017. Aeonde, éd. La Porte, mars 2017 La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016 Labyrinthe des Nuits, suite poé­tique – Recours au Poème édi­teurs, mars 2015 Ouvrages col­lec­tifs — Antolo­gia Par­ma, Omag­gio in ver­si, Bertoni ed. 2021 — Mains, avec Chris­tine Durif-Bruck­ert, Daniel Rég­nier-Roux et les pho­tos de Pas­cal Durif, éd. du Petit Véhicule, juin 2021 — “Re-Cer­vo”, in Trans­es, ouvrage col­lec­tif sous la direc­tion de Chris­tine Durif-Bruck­ert, éd. Clas­siques Gar­nier, 2021 -Je dis désirS, textes rassem­blés par Mar­i­lyne Bertonci­ni et Franck Berthoux, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? Mars 2021 — Voix de femmes, éd. Pli­may, 2020 — Le Courage des vivants, antholo­gie, Jacques André édi­teur, mars 2020 — Sidér­er le silence, antholo­gie sur l’exil – édi­tions Hen­ry, 5 novem­bre 2018 — L’Esprit des arbres, édi­tions « Pourquoi viens-tu si tard » — à paraître, novem­bre 2018 — L’eau entre nos doigts, Antholo­gie sur l’eau, édi­tions Hen­ry, mai 2018 — Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approx­i­matif , 2016 — Antholo­gie du haiku en France, sous la direc­tion de Jean Antoni­ni, édi­tions Aleas, Lyon, 2003 Tra­duc­tions de recueils de poésie — Aujour­d’hui j’embrasse un arbre, de Gio­van­na Iorio, éd. Imprévues, juil­let 2021 — Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André , avril 2021 — Un Instant d’é­ter­nité, Nel­lo Spazio d’un istante, Anne-Marie Zuc­chel­li (tra­duc­tion en ital­ien) éd ; PVST, octo­bre 2020 — Labir­in­to delle Not­ti (ined­i­to — nom­iné au Con­cor­so Nazionale Luciano Ser­ra, Ital­ie, sep­tem­bre 2019) — Tony’s blues, de Bar­ry Wal­len­stein, avec des gravures d’Hélène Baut­tista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ?, mars 2020 — Instan­ta­nés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, édi­tions Imprévues, 2018 — Ennu­age-moi, a bilin­gual col­lec­tion , de Car­ol Jenk­ins, tra­duc­tion Mar­i­lyne Bertonci­ni, Riv­er road Poet­ry Series, 2016 — Ear­ly in the Morn­ing, Tôt le matin, de Peter Boyle, Mar­i­lyne Bertonci­ni & alii. Recours au Poème édi­tions, 2015 — Livre des sept vies, Ming Di, Recours au Poème édi­tions, 2015 — His­toire de Famille, Ming Di, édi­tions Tran­signum, avec des illus­tra­tions de Wan­da Mihuleac, juin 2015 — Rain­bow Snake, Ser­pent Arc-en-ciel, de Mar­tin Har­ri­son Recours au Poème édi­tions, 2015 — Secan­je Svile, Mémoire de Soie, de Tan­ja Kragu­je­vic, édi­tion trilingue, Beograd 2015 — Tony’s Blues de Bar­ry Wal­len­stein, Recours au Poème édi­tions, 2014 Livres d’artistes (extraits) La Petite Rose de rien, avec les pein­tures d’Isol­de Wavrin, « Bande d’artiste », Ger­main Roesch ed. Aeonde, livre unique de Mari­no Ros­set­ti, 2018 Æncre de Chine, in col­lec­tion Livres Ardois­es de Wan­da Mihuleac, 2016 Pen­sées d’Eury­dice, avec les dessins de Pierre Rosin : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/ Île, livre pau­vre avec un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Pae­sine, poème , sur un col­lage de Ghis­laine Lejard (2016) Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015) A Fleur d’é­tang, livre-objet avec Brigitte Marcer­ou (2015) Genèse du lan­gage, livre unique, avec Brigitte Marcer­ou (2015) Dae­mon Fail­ure deliv­ery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crog­nier, artiste graveuse d’Amiens – 2013. Col­lab­o­ra­tions artis­tiques visuelles ou sonores (extraits) — Damna­tion Memo­ri­ae, la Damna­tion de l’ou­bli, lec­ture-per­for­mance mise en musique par Damien Char­ron, présen­tée pour la pre­mière fois le 6 mars 2020 avec le sax­o­phon­iste David di Bet­ta, à l’am­bas­sade de Roumanie, à Paris. — Sable, per­for­mance, avec Wan­da Mihuleac, 2019 Galerie Racine, Paris et galerie Depar­dieu, Nice. — L’En­vers de la Riv­iera mis en musique par le com­pos­i­teur Man­soor Mani Hos­sei­ni, pour FESTRAD, fes­ti­val Fran­co-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the Riv­er » — Per­for­mance chan­tée et dan­sée Sodade au print­emps des poètes Vil­la 111 à Ivry : sur un poème de Mar­i­lyne Bertonci­ni, « L’homme approx­i­matif », décor voile peint et dess­iné, 6 x3 m par Emi­ly Wal­ck­er : L’Envers de la Riv­iera mis en image par la vidéaste Clé­mence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Ban­lieue» Là où trem­blent encore des ombres d’un vert ten­dre – Toile sonore de Sophie Bras­sard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf La Rouille du temps, poèmes et tableaux tex­tiles de Bérénice Mollet(2015) – en par­tie pub­liés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/ Pré­faces Appel du large par Rome Deguer­gue, chez Alcy­one – 2016 Erra­tiques, d’ Angèle Casano­va, éd. Pourquoi viens-tu si tard, sep­tem­bre 2018 L’esprit des arbres, antholo­gie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novem­bre 2018 Chant de plein ciel, antholo­gie de poésie québé­coise, PVST et Recours au Poème, 2019 Une brèche dans l’eau, d’E­va-Maria Berg, éd. PVST, 2020 Soleil hési­tant, de Gili Haimovich, ed Jacques André, 2021 Un Souf­fle de vie, de Clau­dine Ross, ed. Pro­lé­gomènes, 2021