Carmen Penn Ar Run, Il y eut des jours… et autres poèmes

Par |2023-01-06T18:44:20+01:00 5 janvier 2023|Catégories : Carmen Penn Ar Run, Poèmes|

Il y eut des jours qui ne furent pas des jours
il y eut des nuits qui ne furent pas des nuits
car les jours s’évanouirent dans le vide
tan­dis que la nuit inten­si­fi­ait leur chute
sac­ri­fi­ant tout au silence.

L’âme, elle-même, lou­voy­ait dans la vase
et les rêves stag­naient sans jamais parvenir
à attein­dre le noy­au ter­restre où l’étoile
de cristal appelait de ses douze bras
la con­so­nance humaine.

J’attendais l’algorithme du jour véritable
   la sim­plic­ité d’une bar­que affrétée par le ciel 
mais rien de désir­able ne vint calmer
l’arythmie de mon hori­zon où seul le chant
de la mer sous le déploiement des vagues.
avec ma soli­tude se risquait à l’amble.

Je ramas­sais des galets polis à la perfection
ils étaient menus comme les cris que ma respiration
sus­pendait à la ver­ti­cale de mes aspirations
    des dents de lait, pensai-je !

Dans ma folie d’écrire
les mots ne lèvent pas des cailloux
ni ne sec­ouent la boîte des dents, petites
sur les consciences
tout n’est que mur de feuilles
et l’arbre est caduc — bientôt
il per­dra son rideau vert -
peut-être ver­rons-nous, cet hiver
son œil pâle se fendre de mil­liers de fenêtres
pour peu qu’on ose con­sid­ér­er les vides.

Chaque feuille du décor
est à saisir telle que branche l’offre
qu’elle soit par­faite­ment configurée
ou que ses con­tours soient grignotés.
Le cray­on de bois est plus tranchant
qu’un canif, il entaille l’écorce de l’âme
feuil­lage pour y graver des ini­tiales — des jours !
Il con­signe les existences
dans la per­sis­tance de la beauté

                            **

Celle qui a per­du la mer 

Je suis celle qui a per­du la mer et creuse le sillon.
Je suis celle qui con­tem­ple les nues et tisse des arcs-en-ciel.
Par l’alchimie du verbe je ressus­cite mes sœurs,
les filles de Nérée,
et les séraphins trans­fusent leur ardeur.
C’est d’un même chant que s’élèvent nos voix
afin que vibre sur la Planète une impo­si­tion plus légère
     une lumière ray­on­nante et joyeuse
conçue                                         en terre plénière. 

                           ** 

Soir de novem­bre aux Sables d’Or

Glacial — le vent giflant sur la plage d’or -
et le sable grinçait        sous l’ivoire des dents
Souf­fle coupé et chardons bleus
au fond des gorges             ouvertes

La lune allumait les vagues déferlantes 
— une ligne de démar­ca­tion frétillante
entre la mol­lesse de la grève et la mer létale -
Dans la tur­bu­lence   la feinte de l’air dure

L’homme plus frag­ile qu’un oyat de la dune
en terre noire ne peut align­er ses pas
ni choisir la voie qui résiste au vent
Il marche dos offert   à la pres­sion de la bise

On entendait la plainte des amants naufragés
Vent et chant funèbre hurlaient leur tristesse

                                ** 

Psy­chose

Elle avait déchiré le voile et elle souffrait,
infin­i­ment. Ses maux grif­fés dans le silence
d’une cham­bre de jeune fille trou­blaient son âme

Elle ne pos­sé­dait de la vie que mille voix
qui la  han­taient, la lais­sant là sur le carreau
brisée, par­mi les tes­selles de ses rêves.

Seule, elle écrivait :

« Citadelle enflam­mée au bout du mirage…
Et l’avenir se retourne
Sur les pas de l’homme qui marche… »

N’oubliez pas l’enfant que le lait de l’existence
n’a pas nour­ri. Sa vie était de famine
et sa mort cer­taine. L’esprit avait fui la citadelle.

N’emmenez pas l’enfant, elle n’est pas oubliée,
elle dort dans la mémoire des vivants qui l’aiment,
son absence est un éveil que les pleurs trahissent.

Seule, elle dansait :

« Noé a brûlé son Arche
Et la jun­gle s’est faite reine
Au milieu des catacombes… »

Les songes qui l’habillent sont des parchemins
où s’égarent les élans de joie dans les suintements 
d’un monde déchiré de sauvagerie qui lui est interdit.

Étrangère à la jun­gle elle se pare de grâce,
s’excuse de ne pou­voir annot­er à l’encre
du réel les signes qui chavirent son arbre de vie

Seule, elle pensait :

« Les ordures fleuris­sent par tous les temps
Et la dent arrache les pétales.
Pour manger l’âme hostie ! »

À la lisière de l’éternité je tends
des feu­tres de couleurs, dans l’espoir que fleurisse
une  thérapie douce, avant l’extinction des étoiles fragiles.

                                    **

Fenêtres ouvertes une nuit d’été

La pelouse compte sur ses doigts d’herbe
les étoiles que les rêves d’août étourdissent

Les fenêtres lais­sent courir dans la maison
l’énigme du som­meil. L’ar­bre s’en brouille

Les sons, les couleurs migrent dans la nuit
la vie ser­pente d’un nid d’hi­ron­delle au cosmos

La tran­shu­mance résonne dans l’immobilisme

                                **

Les cor­beaux

Les gouttes d’eau
sur les ailes des corbeaux
sont autant de boules de cristal
que la flèche des regrets amène
depuis nos nuits cataleptiques

On laboure le ciel
et s’envole l’âme des arbres
                            en par­adis
On déracine le calvaire
ain­si se plantent les maisons
dans l’immobile
d’un espace béton­né d’ennui

et les vieilles routes s’oublient
au bout d’une impasse
tan­dis que la vie             cherche
sa voie autour des ronds points

Les gouttes d’eau labourent le ciel
et du miroir de son granit
le cal­vaire reflète un champ
que les cor­beaux colonisent

                          **

Automne en friche

Elle a retourné la terre de ses sentiments
il ne reste plus rien de ses tourments
pas la moin­dre résur­gence n’offre son accroche
à la lumière blanche du jour naissant.

Main­tenant son jardin est devenu plage
où roule la joie, s’encoquille l’espérance
qu’il suf­fit de ravir – tré­sor à collectionner
puis à livr­er aux caress­es intemporelles.

Même celles du temps gris, celles du temps lourd
du temps à pren­dre comme il vient, comme il s’en va
comme on détresse ses angoiss­es, comme on agite
un mou­choir de rêve pour dis­pers­er ses larmes.

Sur la plage n’être que roseau sans racine
laiss­er nos pieds explor­er les pas­sions fertiles
les fris­sons remon­ter le long de notre tige
      une colonne où file l’énergie, aérienne.

Au-delà des nuages elle cueille la lumière
elle danse sur sa par­celle défrichée.
Où qu’elle s’aventure se coule un tapis
de sable blond comme l’or de l’automne.

Ne pas croire cette gym­nas­tique facile
les coups de vent vien­nent ampli­fi­er la lame
au fond de laque­lle trépi­de le dé de l’espoir.
Elle danse, sim­ple gram­inée, sœur des oyats.

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Carmen Penn Ar Run

Car­men Pen­narun vit en Bre­tagne et elle est mem­bre de l’Association des Écrivains de Bre­tagne. Le monde de l’enfance (elle était enseignante) et la nature lui ont ouvert les portes de l’imaginaire.

Bib­li­ogra­phie 

Elle a tout d’abord dédié ses mots aux jeunes lecteurs, ain­si a vu le jour, en 2010, « Ray­on de Lune » pub­lié chez Planète Rêvée.

« Tisane de thym au jardin d’hiver », un recueil de poésie pub­lié par Les pen­chants du roseau, est venu, en 2013, courber les mots de la vie par pointes  de douceur.

« Nuit celte, land mer », en 2016, a été pub­lié chez Stellamaris.

L’auteur a accom­pa­g­né elle-même jusqu’à leur édi­tion sept autres ouvrages dont « Rose Gar­den », un recueil de nou­velles de 2014. Deux autres recueils de poésie sont sur le point d’être édités.

Car­men Pen­narun a pub­lié égale­ment dans divers recueils col­lec­tifs (Lit­térales N°10, Flammes vives, Macadam, Plumes de poésie…), ain­si que dans plusieurs revues (Lélixire, Fenêtre sur poésie, Pos­si­bles, Tra­ver­sées, Lune en car­ré…). Le blog lit­téraire, « Let­tres Cap­i­tales », par trois fois, a accueil­li ses mots.

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