Il y eut des jours qui ne furent pas des jours
il y eut des nuits qui ne furent pas des nuits
car les jours s’évanouirent dans le vide
tandis que la nuit intensifiait leur chute
sacrifiant tout au silence.
L’âme, elle-même, louvoyait dans la vase
et les rêves stagnaient sans jamais parvenir
à atteindre le noyau terrestre où l’étoile
de cristal appelait de ses douze bras
la consonance humaine.
J’attendais l’algorithme du jour véritable
la simplicité d’une barque affrétée par le ciel
mais rien de désirable ne vint calmer
l’arythmie de mon horizon où seul le chant
de la mer sous le déploiement des vagues.
avec ma solitude se risquait à l’amble.
Je ramassais des galets polis à la perfection
ils étaient menus comme les cris que ma respiration
suspendait à la verticale de mes aspirations
des dents de lait, pensai-je !
Dans ma folie d’écrire
les mots ne lèvent pas des cailloux
ni ne secouent la boîte des dents, petites
sur les consciences
tout n’est que mur de feuilles
et l’arbre est caduc — bientôt
il perdra son rideau vert -
peut-être verrons-nous, cet hiver
son œil pâle se fendre de milliers de fenêtres
pour peu qu’on ose considérer les vides.
Chaque feuille du décor
est à saisir telle que branche l’offre
qu’elle soit parfaitement configurée
ou que ses contours soient grignotés.
Le crayon de bois est plus tranchant
qu’un canif, il entaille l’écorce de l’âme
feuillage pour y graver des initiales — des jours !
Il consigne les existences
dans la persistance de la beauté
**
Celle qui a perdu la mer
Je suis celle qui a perdu la mer et creuse le sillon.
Je suis celle qui contemple les nues et tisse des arcs-en-ciel.
Par l’alchimie du verbe je ressuscite mes sœurs,
les filles de Nérée,
et les séraphins transfusent leur ardeur.
C’est d’un même chant que s’élèvent nos voix
afin que vibre sur la Planète une imposition plus légère
une lumière rayonnante et joyeuse
conçue en terre plénière.
**
Soir de novembre aux Sables d’Or
Glacial — le vent giflant sur la plage d’or -
et le sable grinçait sous l’ivoire des dents
Souffle coupé et chardons bleus
au fond des gorges ouvertes
La lune allumait les vagues déferlantes
— une ligne de démarcation frétillante
entre la mollesse de la grève et la mer létale -
Dans la turbulence la feinte de l’air dure
L’homme plus fragile qu’un oyat de la dune
en terre noire ne peut aligner ses pas
ni choisir la voie qui résiste au vent
Il marche dos offert à la pression de la bise
On entendait la plainte des amants naufragés
Vent et chant funèbre hurlaient leur tristesse
**
Psychose
Elle avait déchiré le voile et elle souffrait,
infiniment. Ses maux griffés dans le silence
d’une chambre de jeune fille troublaient son âme
Elle ne possédait de la vie que mille voix
qui la hantaient, la laissant là sur le carreau
brisée, parmi les tesselles de ses rêves.
Seule, elle écrivait :
« Citadelle enflammée au bout du mirage…
Et l’avenir se retourne
Sur les pas de l’homme qui marche… »
N’oubliez pas l’enfant que le lait de l’existence
n’a pas nourri. Sa vie était de famine
et sa mort certaine. L’esprit avait fui la citadelle.
N’emmenez pas l’enfant, elle n’est pas oubliée,
elle dort dans la mémoire des vivants qui l’aiment,
son absence est un éveil que les pleurs trahissent.
Seule, elle dansait :
« Noé a brûlé son Arche
Et la jungle s’est faite reine
Au milieu des catacombes… »
Les songes qui l’habillent sont des parchemins
où s’égarent les élans de joie dans les suintements
d’un monde déchiré de sauvagerie qui lui est interdit.
Étrangère à la jungle elle se pare de grâce,
s’excuse de ne pouvoir annoter à l’encre
du réel les signes qui chavirent son arbre de vie
Seule, elle pensait :
« Les ordures fleurissent par tous les temps
Et la dent arrache les pétales.
Pour manger l’âme hostie ! »
À la lisière de l’éternité je tends
des feutres de couleurs, dans l’espoir que fleurisse
une thérapie douce, avant l’extinction des étoiles fragiles.
**
Fenêtres ouvertes une nuit d’été
La pelouse compte sur ses doigts d’herbe
les étoiles que les rêves d’août étourdissent
Les fenêtres laissent courir dans la maison
l’énigme du sommeil. L’arbre s’en brouille
Les sons, les couleurs migrent dans la nuit
la vie serpente d’un nid d’hirondelle au cosmos
La transhumance résonne dans l’immobilisme
**
Les corbeaux
Les gouttes d’eau
sur les ailes des corbeaux
sont autant de boules de cristal
que la flèche des regrets amène
depuis nos nuits cataleptiques
On laboure le ciel
et s’envole l’âme des arbres
en paradis
On déracine le calvaire
ainsi se plantent les maisons
dans l’immobile
d’un espace bétonné d’ennui
et les vieilles routes s’oublient
au bout d’une impasse
tandis que la vie cherche
sa voie autour des ronds points
Les gouttes d’eau labourent le ciel
et du miroir de son granit
le calvaire reflète un champ
que les corbeaux colonisent
**
Automne en friche
Elle a retourné la terre de ses sentiments
il ne reste plus rien de ses tourments
pas la moindre résurgence n’offre son accroche
à la lumière blanche du jour naissant.
Maintenant son jardin est devenu plage
où roule la joie, s’encoquille l’espérance
qu’il suffit de ravir – trésor à collectionner
puis à livrer aux caresses intemporelles.
Même celles du temps gris, celles du temps lourd
du temps à prendre comme il vient, comme il s’en va
comme on détresse ses angoisses, comme on agite
un mouchoir de rêve pour disperser ses larmes.
Sur la plage n’être que roseau sans racine
laisser nos pieds explorer les passions fertiles
les frissons remonter le long de notre tige
une colonne où file l’énergie, aérienne.
Au-delà des nuages elle cueille la lumière
elle danse sur sa parcelle défrichée.
Où qu’elle s’aventure se coule un tapis
de sable blond comme l’or de l’automne.
Ne pas croire cette gymnastique facile
les coups de vent viennent amplifier la lame
au fond de laquelle trépide le dé de l’espoir.
Elle danse, simple graminée, sœur des oyats.