Carole Carcillo Mesrobian, À part l’élan
Poésie vivante comme le mot vivant vacille au couchant. Carole Merosbian offre, dans cet ouvrage fugueur décousu recousu, sa vision littéraire pétrie d’analogies salvatrices. Sauver le signe dans le mot ou par les mots assemblés, rendre au signe son pouvoir créateur en oubliant au détour une syntaxe contraignante, s’emploie-t-elle.
Dans ce poème de langue signe dessin fondus ensemble, poème de tous les sangs mêlés, sang de l’écriture, sang du signe signifié et signifiant par la mise en page de l’ouvrage, sang des sentiments balancés à la ligne : « Est rouge d’antilope la cicatrice de mon passage », sang des lèvres mordues : « Vermillon ma merveille tes cheveux sont bouclés. », dans ce poème qu’aurait pu aimer Philippe Soupault inventant une nouvelle manière d’écrire, le Surréalisme, qui s’enthousiasma et écrivit : « J’agissais comme un boulet de canon. » Dans ce poème meurt la littérature. Naît l’instance divine, la mort de la beauté, par la beauté écartelée retrouvée.
Dans la fulgurance des rapprochements inédits, À part l’élan, joue la musique heurtée de la complainte du corps perdu dans la géographie, elle-même soumise aux aléas de la friction :
Carole Carcillo Mesrobian, Jean-Jacques Tachdjian,
A part l’élan, La Chienne éditions, Roubaix, 2019.
Plus de rivage et le frisson
Parachevé jamais ne pille
Le matin nu à la saison
On sent bien à la lecture du texte de Carole Merosbian tout ce qu’il doit aux surréalistes mais aussi à Marinetti (école futuriste) par le rapprochement de termes hasardeux formant une dynamique nouvelle, un horizon nouveau au phrasé : du non-sens surgit l’image surréelle qui vient impacter les certitudes. Nous sommes au cœur de l’Art poétique décalotté, destiné non à conforter, non à décrire le beau, mais à questionner la fondation. La pratique de l’analogie très lointaine vient ponctuer et remodeler la sensation battant l’intelligence ; j’emploie à dessein cette forme : la sensation battant l’intelligence ! pour effrayer le sens et battre la fondation.
Il faut sans cesse remiser (sa) la raison dans la cabane des sensations pures qu’élabore la poésie de Carole Mesrobian ; une pureté infinie en émane. Sa clarté vient paradoxalement de la construction démiurge, de cette analogie lointaine déjà notée, comme dans le poème Partir vivre comme on va mourir
Mes lèvres la poussière au clos de mes paupières
Et mes perles où ton ombre
Douceur démesurée comme un mot prononcé
D’un roi de sous le nombre
Ton ombre, douceur démesurée… Il nous faut parler aussi de l’ombre portée par la mise en pages, le dessin du poème dans la page – le dessin des idées et des sensations venant renforcer le signe brut. La distance perçue entre habillage des mots, relations entre eux, phrases, dessins, occupation de l’espace et vide ponctuant le chant produit par l’ensemble est un répond scandé, musical à la mise en écriture du verbe. Ce qui inclut pleinement le travail de Carole Merosbian dans la dynamique de la poésie visuelle et littéralement typographique avec le changement incessant de corps et de modèles des lettres utilisés. On se souvient de Mallarmé, Apollinaire, les surréalistes, Dada, précurseurs de cette manière. À part l’élan, réussit cette gageure et mène ce combat de la poésie totale sur une surface plane, la page du livre. Le regret d’en rester malgré tout à ces deux dimensions est contenu dans les pages finales nommées Introduction (en miroir) et ne contenant rien d’autre que cela.
Résumons (c’est impossible mais…) ce texte par l’un de ses poèmes titré Asymptote, soit l’usage littéraire d’une donnée mathématique ancienne qui montre une droite se rapprochant en permanence d’une courbe mais ne pouvant jamais l’atteindre. C’est le chant déchirant de l’amour courbé hébété mal entendu pressé qui se résout dans un autre poème, Ouverte, par deux vers beaux
Je suis venue de lin déposer ton linceul
Sur un verbe mué
Un verbe mué ! À part l’élan invente un horizon, mais derrière l’horizon quoi ? Cette courbe file plus vite que la droite lancée pourtant à vitesse prodigieuse.
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