Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre

« L’impossible distance irréductible de l’existence »

Un échange épistolaire poétique pour dire « l’impossible distance irréductible de l’existence ». Là où des lettres de feu pourraient suffire, et les exemples sont légion en littérature, nos deux auteurs, Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiau, ont choisi l’espace poétique de la page journalière pour exprimer l’amour total, impossible donc sacré, l’amour en l’absence des corps retenus entre les mots : leurs mots propres, les mots de l’autre  enchâssés dans ses propres mots, jour après jour. Poésie donc pour aimer à corps perdu.

Les mots habillent et déshabillent ; ils révèlent ainsi les corps absents, les brûlent dans l’incandescence d’Octobre, le mois des vendanges tardives :

Viendras-tu me chercher
Il n’y a plus d’automne capable de tomber
les feuilles de ma peine
Viendras-tu me chercher

dit la femme au terme d’un poème lettre ; et lui répond en italique :

La nuit je cherche
L’eau de tes yeux
Juste cela

 

Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre, PhB éditions, Paris, 2020, 64 pages, 10 euros.

Carole Mesrobian fait de l’énigme de l’agencement des mots la matière de son écriture ; sa poésie cérébrale, bien connue aujourd’hui, s’ordonne dans le choc des formules impossibles à résoudre (jamais dans l’aporie, leur résolution est seconde) ; les mots de Mesrobian chantent, grincent hors des règles conventionnelles… L’agencement mystérieux des sens ouvre des perspectives vastes, comme le ferait une sculpture de Moore renvoyant le vide fonder la forme. Voyez, lisez ce « Il n’y a plus d’automne capable de tomber les feuilles de ma peine. » Le vide de l’automne donne forme à la peine. Le sens est littéralement hors du champ syntaxique. Pourtant quelle force ! il y a dans cette poétique le souffle vital, natif, une forme de transcendance.

Alain Brissiaud, lui, argumente en poésie, mais jamais lourdement ; on sent une douleur sourdre dans l’acte d’aimer qui s’exprime frontalement dans sa poésie, avec une belle élégance :

 

cette nuit derrière la maison
le grand pré
s’est mis à briller plus fort

 cela au moins j’en suis sûr

 

L’allusion est directe ; dirait-on « à la fin de l’envoi, je touche », pour paraphraser Rostand/Cyrano. Elle, est bien ce grand pré dès lors que le regard amoureux de l’homme en a décidé ainsi ; il voit briller l’amour là seulement où il peut être, dans le ressenti, loin de l’aimée, la perdue :

 

notre amour n’est pas perdu
qui a écrit cela

 qui

 

Quel cri ! Vient octobre épistolaire, mois des gelées revenues, deuxième peau des poètes : deux lettres/poèmes se répondent pages 26 et 27 du recueil : celle de l’homme d’abord, de la femme ensuite ; les deux poèmes hurlent octobre ! Lui parle :

 

Langage d’octobre[…] et soudain tu es là
dans le silence
venue de loin si fatiguée
la robe déchirée
la voix éteinte
dans la bénédiction de la mémoire
où respire nos blessures
ce vieux pays

 

Il sent la fatigue d’elle qui a  fait un si long voyage dans sa mémoire à lui ; sa robe est déchirée par toutes les tempêtes bleuies sous le crâne et sa voix est éteinte ; seuls l’écriture scandée, les enroulements de la mémoire – ce vieux pays – dans la chair des mots disent l’histoire. Histoire vécue rêve le lecteur ? Histoire volée à l’imagination plaident les claviers ?

La femme répond ce même jour avec les phrases sculptées, j’insiste, de Carole Mesrobian : c’est une bataille, un combat de mots pour défaire les chemins  trop sûrs, pour agencer les couleurs, les bruits :

Octobre

[…]

Descendre jusqu’au fleuve
peut-être où oublier
le tablier d’absences qui empèse ma robe
et regarder aller sa splendeur rugueuse

 

Amour rêvé, amour des lettres. L’échange poétique épistolaire, qui conte l’amour distant dans l’espace et le temps, mais toujours présent dans les entrailles et le cœur, dit que tout amour est magie, qu’ainsi il échappe…

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

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