Sous la cicatrice une blessure, sous la blessure, la peau du temps

Toutes les fron­tières frois­sées, emparées, et cette pre­mière aube, cica­trice ouverte, blessure recon­nue dans « le creux du sil­lon vase femme… ». Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian place l’écriture sur la fron­tière même — un objet à pass­er, enjam­ber. La fron­tière entre l’aube et le ciel, entre indi­go et cyan, la fron­tière-fusion du corps et de l’esprit. La vie de toutes les aubes recommencées : 

 

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian, Aper­ture du silence, PhB édi­tions, Paris, 2018, 56 pages, 10 €.

« L’aube hébétée/ Péristyle habité de la trace des nuits. » On pense irré­sistible­ment, à la lec­ture de  Aper­ture du silence, au tableau de Gus­tave Courbet nom­mé « L’origine du monde », un tableau chaste, n’en déplaise, qui mon­tre le silence de l’aperture, sa promesse d’éternité.

En chem­i­nant dans le corps infil­tré de tous les « sables » roulant dans les veines, sables des temps digérés par le corps, croît « … la rumeur démesurée / des aper­tures ances­trales ». La poésie de Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est celle du corps sac­ri­fié, elle fouaille le corps « Aux pieds des dunes les falais­es / Mon­tagne au flanc d’une rosée ». Les aper­tures ances­trales réson­nent en chant, comme le musi­cal bruit de fond de l’espace est le cri de la nais­sance à jamais nais­sante. Ou encore un fameux « … trem­ble du mur­mure des veines sous nos chairs », pour dire que mur­mure et silence sont choses pareilles et portées par les veines (les cordes) de l’espace infini.

Le corps en représen­ta­tion. Pous­sière d’éternité. Et cet autre corps recher­ché, celui de l’autre soi-même, femme ou homme caché dans un vers ouvrant la per­spec­tive « D’épouser la tex­ture de ta peau / D’emmuré ». Le recueil si chan­tant, si plein des couleurs d’aubes, tisse le tis­su du corps éten­du à l’espace, conçu comme une sidéra­tion, la cica­trice tou­jours recom­mencée d’une blessure ini­tiale, d’un corps dont il faut se vêtir. Ô mère, dis-moi qui je mange ? Quelle peau arrachée du tré­fonds des étoiles est ma peau écartée ?

Le poème de Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est eucharistie. Après que « …l’odeur de femme cette robe d’augure » signe le sexe du monde, la table est dressée, fab­riquée d’étoiles, et se déroule alors « La scène close sous le velours / D’avoir avalé qui tu es », puis le « Je suis allé vers toi / Comme linceul à l’éternité ». Le souf­fle de l’esprit s’empare des mem­branes, des ramures, des eaux souter­raines jusqu’à sat­ur­er les rimes, mul­ti­pli­ant les aubes dans son out­re d’azur.

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Philippe Thireau

 Philippe Thireau vit en France. Il est régulière­ment pub­lié (essais, réc­its, poésie, théâtre… ) depuis 2008. Bib­li­ogra­phie : Le bruit som­bre de l’eau, Z4 édi­tions, La diag­o­nale de l’écrivain, 2018 Ben­jamin Con­stant et Isabelle de Char­rière, Hôtel de Chine et dépen­dances, Cabédi­ta, 2015 Le Voyageur dis­tant ou Bon­jour Stend­hal, adieu Beyle, Jacques André édi­teur, 2012 Le Sang de la République, Cêtre, 2008                          THÉÂTRE Cut, Z4 édi­tions, 2017 Mortelle faveur et J’entends les chiens, Z4 édi­tions, 2017                           POÉSIE Soleil se mire dans l’eau (pho­togra­phies Flo­rence Daudé), Z4 édi­tions, 2017                           REVUES Cio­ran ver­ti­cal (essai) in Les Cahiers de Tin­bad n° 3 et 4, Tin­bad, 2017 Le cireur de Par­quet in Les Cahiers de Tin­bad n° 6, Tin­bad 2018 En ton sein in FPM n° 18, Édi­tions Tar­mac, 2èmetrimestre 2018   Je te mas­sacr­erai mon cœur, PhB édi­tions, 2019 Melan­cho­lia, Tin­bad, 2020